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Hanna (2011)
Joe Wright

De la théorie à la pratique

Par Jean-François Vandeuren
Inutile de dire que nous n’aurions jamais pu imaginer la tournure que finirait par prendre la filmographie de Joe Wright à la suite de ses deux premiers longs métrages. Même le récit en apparence plus moderne que le Britannique nous avait proposé en 2009 avec The Soloist, lequel détonnait déjà de la composition sublimement classique de ces films d’époque Pride & Prejudice et Atonement, ne laissait paraître aucune trace du présent Hanna. Ce quatrième effort, aussi inusité soit-il dans un tel contexte, représentait évidemment un risque énorme pour le cinéaste. Mais une telle proposition laisse également paraître la volonté d’un artiste de relever les défis s’offrant à lui plutôt que de demeurer confortablement installé dans sa zone de confort. Que cette initiative se soit avérée une réussite ou un échec, elle avait déjà au moins cela d’encourageant. Au final, Hanna termine sa course à ni l’une ni l’autre de ces deux extrémités. Il s’agit plutôt d’un exercice dont les attributs souvent impressionnants n’ont d’égal que les difficultés de Wright et de son entourage à maintenir un tel niveau de qualité du début à la fin. Le tout débute néanmoins sur une note on ne peut plus intrigante alors qu’un premier segment remarquablement mis en scène nous introduit à la jeune Hanna (Saoirse Ronan) et à son père Erik (Eric Bana), tous deux vivant isolés du reste du monde au coeur d’une forêt illuminée par une neige d’un blanc immaculé. La violence des entraînements quotidiens du duo détonnera passablement de la sérénité de ces lieux, lesquels auront fini par faire d’Hanna une machine à tuer et une véritable encyclopédie vivante. Cette vie de réclusion sera toutefois appelée à prendre fin le jour où Erik fera une bien curieuse proposition à sa fille : activer un système qui révélerait leur position aux autorités. Et une fois cette balise activée, impossible de faire marche arrière…

Nos deux complices se sépareront ainsi en se donnant rendez-vous à Berlin. La jeune fille se laissera du coup capturer par les forces militaires américaines, qui la transporteront jusqu’à une base souterraine où elle aura pour mission personnelle d’éliminer Marissa (Cate Blanchett), l’agente responsable de la mort de sa mère. Après avoir assassiné une femme qui se faisait passer pour cette dernière, Hanna s’échappera avec succès de l’immense complexe pour ensuite entreprendre un long périple à travers le Maroc, l’Espagne et l’Allemagne. Ce parcours sera évidemment loin d’être une partie de plaisir alors que, d’un côté comme de l’autre, les deux individus seront constamment pourchassés par leur cible toujours bien vivante et ses acolytes aux méthodes assez peu orthodoxes. Le voyage sera d’autant plus significatif pour l’adolescente alors que celui-ci marquera le tout premier contact qu’elle aura avec le monde extérieur après avoir été soumise depuis son tout jeune âge à un entraînement pour le moins intensif, elle dont la chevelure blonde et les yeux d’un bleu perçant évoquent continuellement ici un modèle de pureté absolue. De la découverte de la musique à celle de l’électricité, c’est sur cette curiosité grandissante et cette adaptation progressive à la civilisation et à ses dangers que repose l’essence d’Hanna. Deux éléments que les scénaristes Seth Lochhead et David Farr traitent d’une manière étonnamment efficiente, illustrant habilement la confusion de leur personnage titre face à la découverte de ce nouveau monde, et surtout de qui elle est réellement. Le duo aura d’ailleurs eu la gentillesse de placer sur le chemin de son héroïne une famille de vacanciers qui, en plus de l’aider dans sa quête, se révélera un échantillon assez révélateur des nombreuses facettes de la race humaine. Et si les deux auteurs se permettront quelques touches d’humour suffisamment senties, ces derniers ne feront fort heureusement jamais l’erreur de présenter leur protagoniste comme un diamant brut.

Bien que prévisible, le contraste entre cette première partie évoquant la puissance de deux êtres ayant effectué un retour à la nature, un thème qui aura d’ailleurs été exploré par nombre de cinémas ces derniers temps, et la suite des événements se révélera pour le moins violent. Un changement de cap qui s’effectuera dans un premier temps par le biais de la superbe introduction réservée à l’antagoniste, qui s’avère ici d’une froideur paralysante. Il y aura par la suite toute cette séquence d’évasion vibrant (un peu trop) au rythme de la trame sonore signée The Chemical Brothers. Bien qu’enlevante, la scène a parfois tendance à reprendre certains traits esthétiques davantage associés au vidéoclip qui ne lui rendent pas toujours service. Un constat qui s’applique en soi à la totalité du présent spectacle. Hanna compte évidemment sur des forces de production on ne peut plus imposantes, notamment le jeu des principaux interprètes, qui s’avère digne de mention, et la superbe direction photo d’Alwin Küchler (Sunshine, Code 46), qui confère autant la touche de poésie nécessaire aux moments plus enivrants qu’elle se révèle tout à fait apte à rendre excitante les passages plus musclés. Le problème se situe plutôt au niveau de l’assemblage de tous ces éléments à l’intérieur d’une même séquence, et ensuite dans la façon dont s’enchaînent celles-ci. Il y a des moments où Hanna réussit à atteindre une harmonie lui permettant de s’élever à un niveau des plus impressionnants, et d’autres où un désir d’en faire beaucoup trop semble s’emparer de tous les membres de la production, et vient saboter par le fait même ce fragile équilibre. Une situation menant ici à des problèmes de rythme souvent dérangeants, en particulier pour un récit évoluant en deux temps entre course contre la montre et esprit de découverte. Un mélange qui, bien que fonctionnel, est loin d’être toujours à point.

La trame narrative exploitée par Hanna n’a évidemment rien d’extraordinaire à la base. Lochhead et Farr nous servent en soi le récit d’une adolescente appelée à découvrir sa vraie nature, aux rouages duquel ils auront su mélanger les grandes lignes de cette histoire désormais classique d’expériences militaires à l’éthique particulièrement douteuse. Hanna devra d’ailleurs se jeter dans la gueule du loup (littéralement) afin de pouvoir entreprendre véritablement un parcours de vie qui, même si elle n’est pas forcément prête à faire face à la musique, s’avérera assurément moins brutal que ses premiers pas dans le monde civilisé. Cette initiative aux aspirations somme toute assez modestes aura tout de même su élever son jeu d’un cran grâce à l’énergie mise à la tâche par Joe Wright. La façon de raconter de ce dernier se révèle une fois de plus très classique, mais pleinement efficace, y allant d’images aussi léchées qu’évocatrices sans jamais pousser la note au point de noyer celles-ci dans un symbolisme trop primaire. L’histoire d’Hanna, le film, est ainsi bien différente de celle de son personnage titre alors qu’il s’agit en soi de celle d’une oeuvre réussissant malgré ses fautes à aller au bout de son potentiel, mais ne parvenant jamais à excéder les attentes. Il en ressort un divertissement dont la prémisse a tout d’une série B, mais à laquelle on réserva un traitement de première qualité. D’un autre côté, le scénario de Lochhead et Farr n’avait pas nécessairement besoin d’être plus étoffé puisque celui-ci va habilement chercher ses nuances dans les gestes et le comportement de ses protagonistes, et ce, sans jamais y aller d’une pléthore de dialogues ternes et inutilement explicatifs. Ainsi, même s’il ne repousse pas la moindre frontière ou ne propose un parcours parfait pour sa première incursion dans le cinéma de genre, Joe Wright peut néanmoins dire : « mission accomplie ».
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Critique publiée le 7 avril 2011.