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28 Days Later... (2002)
Danny Boyle

Le numérique enragé

Par Mathieu Li-Goyette
Dix ans plus tard, que reste-t-il de l'Apocalypse selon Danny Boyle? Que pourrait-il bien en rester après dix ans de fins du monde? après le remake de Dawn of the Dead? I am Legend? Contagion? The Walking Dead? Outre leur dette contractée auprès du film de 2003, ces plongées dans la fin des temps ont tôt fait de nous rappeler l'originalité profonde de 28 Days Later: sa violence viscérale, son utilisation inventive des caches, les contours veloutés de ses cadres claustrophobes ou encore le corps rachitique de Cillian Murphy, héros fragile dont l'auteur teste la résistance. Tout son projet esthétique forme un souvenir indélébile, peut-être même plus bouleversant maintenant que dix ans ont passé.

Tout comme Rent avait été mis à l'épreuve dans Trainspotting, tout comme l'astronaute souffrait du Soleil dans Sunshine ou le sportif de déshydratation dans 127 Hours, le survivant de 28 Days Later va jusqu'aux limites de son corps affaibli pour survivre à une contamination qui s'est répendue dans tout l'archipel britannique. En résulte, à l'image des meilleurs Boyle, un cinéma de l'exploration des situations critiques où il n'y a plus que l'homme pour causer sa propre perte; l'épidémie est d'origine humaine, les militaires rencontrés dans le dernier tiers sont des salauds et l'essentiel du discours du scénario d'Alex Garland tourne autour des préoccupations habituelles du film de morts-vivants.

Néanmoins, ce mort-vivant nouveau genre est plus rapide, plus dégoutant parce qu'il vomit du sang tout en se baignant dans celui de ses victimes. Il est atteint d'une rage violente, tellement violente qu'on en vient à penser que c'est l'hubris originelle qui jaillit, qui se propage et déferle sur une humanité belliqueuse. Ici, la fin des temps n'est pas relative à l'aménagement des Enfers (« When there is no more room in Hell, the dead will walk the Earth », expliquait Romero), elle survient avec la disparition de la tempérance et le triomphe de l'excès - et ce n'est pas comme si Boyle ne nous avait jamais mis en garde.

Le jugement dernier fait place à une épidémie biologique qui révèle la brutalité enfouie du genre humain. De l'imaginaire gothique, nous voilà à la métaphore d'un monde en déroute économiquement, culturellement et idéologiquement. 28 Days Later revêt un double sens: au-delà de la structure narrative qu'emprunte le film, les 28 jours du titre indiquent notre propension à nous engouffrer dans l'auto-destruction. Entre deux chèques de paie, c'est la civilisation qui s'écroule et, avec elle, l'éthique de tout un chacun. Nous ne sommes qu'à 28 jours de la déshumanisation, nous dit Boyle.

Cette fin du monde est aussi symptomatique de la fin d'un monde d'images et de faux-semblants. L'utilisation de surimpressions, de superpositions d'un plan réaliste à une toile à l'huile rappelle, par la succession des formes de représentations mises en scène, qu'il n'y a rien comme le mensonge pour réguler la collectivité et qu'en dessous de celle-ci, la barbarie sommeille, assouplie par les religions comme par la société de consommation. En ce sens, 28 Days Later fait office de synthèse de la première trilogie de Romero en ajoutant pour sa part la peur des images et de leurs artifices. Mirages du contemporain, ils prennent forment dans la direction photo grise et sans vie, dans le choix du support numérique, de la caméra DV pour filmer une fable post-analogique. À l'image du monde moderne, le numérique se dépense sans compter et procède par synthétisation du réel sous une forme pixélisée. Au fil de l'avancée de l'horreur, l'image binaire s'affirme comme un pari esthétique audacieux qui parvient à refléter l'urgence du besoin de filmer la décomposition de la société au premier rang, et ce, bien avant les clones surfaits de Blair Witch Project qui allaient déferler lors des années suivantes.

Le choix de la caméra n'est pas anodin, car au-delà de son capital symbolique, sa courte focale crée un effet d'aplat et donne, par ses limitations techniques, l'impression de plans saccadés, limitant les capacités du cadre et du téléobjectif chambranlant. S'handicapant volontairement, Boyle opte pour une imprécision capable de conjurer des images horrifiantes. Elles sont imprécises, incontrôlables. Cette accumulation de formes hétérogènes rappelle le zoom numérique, celui qui recompose le réel à coup d'algorithmes; le degré zéro de la représentation est atteint, ce nuage pixellisé où les gens meurent, c'est la fin d'un monde, mais c'est surtout le début d'un autre. Cette logique du crescendo infini et cyclique alimente sans relâche le film tout comme la bande son composée de morceaux de Godspeed You! Black Emperor qui suggère une lente accélération vers l'inéluctable dégénérescence du monde.

Pendant ce temps, la Nature reprend ses droits. Les chevaux galopent librement et les militaires blaguent sur la petitesse de l'Homme par rapport à la Terre qui lui survivra. Lorsque le jeune leader du groupe se décide à sauver sa petite amie et la jeune fille qui les accompagne, une pluie torrentielle s'abat sur la forteresse des soldats détraqués. Parvenu au bout de son périple, l'homme craque et devient aussi agressif et malin que les infectés. Sa tolérance à la violence s'en est allée, sa foi s'est dissipée. Comme l'héroïne de Descent, le héros de 28 Days Later cède finalement à la bestialité qu'il a toujours condamnée. Et une fois sa mission remplie, le monstre qu'il était devenu rentre ses crocs; la pluie l'a déjà purifié.

Les personnages sont libérés de leur animalité. Ils ont triomphé de leurs propres démons tandis que Boyle profite d'une première séquence en pellicule, armé d'un trépied et d'une maison de campagne idyllique pour clore son film, sauvé par la probité et le celluloïd.

Depuis, Danny Boyle tourne toujours en 35mm.
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Critique publiée le 10 avril 2013.