ÉDITORIAL : À l'ombre de La Métropolitaine
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Amants (2020)
Nicole Garcia

Un noir très rose

Par Maude Trottier

À Paris, Lisa et Simon vaquent à un amour fusionnel et à des gagne-pains qui les situent dans une petite classe moyenne de débrouille : tandis que Simon vend de la drogue, Lisa fait l’école hôtelière. À travers des scènes elliptiques à la facture ténébreuse, on entrevoit quelques pans allusifs de cette vie à deux, un film regardé lovés l’un sur l’autre, un dîner avec des amis, des enlacements sensuels. Les amoureux sont beaux, leurs corps se tutoient, s’aiment, étincellent, à la faveur de la minceur spectrale de Stacy Martin (Lisa) et Pierre Niney (Simon), non sans quelques tensions où se profile une forte dépendance affective. Un soir, alors qu’ils se rendent ensemble chez Pierre-Henri, un ami et client friqué de Simon, les choses tournent mal, Pierre-Henri est victime d’une overdose et, de peur de se faire coincer, Simon intime à Lisa de ne pas appeler le SAMU. Le corps git. Il faut partir, décide Simon, et partir sans Lisa.

En trois parties découpées autour des lieux où se déroule son action, Amants déroule le fil d’un récit entre les genres du noir et de l’histoire d’amour fataliste. Nous retrouvons ainsi quelques années plus tard Lisa dans les parages de l’océan Indien, munie de son époux Léo (Benoît Magimel), fichée dans une vie de haute bourgeoisie et en quête d’un enfant à adopter. Les ténèbres de la première partie se sont dissoutes, voici maintenant du soleil, des plages, des domestiques, un hôtel luxueux, un mode de vie entre dîner et massage. L’homme travaille, la femme trouve à s’occuper et joue son rôle. La dimension placide du jeu de Stacy Martin endosse sans difficulté le passage de l’amante fusionnelle à l’épouse modèle, le contraste physionomique entre son corps si fin et le vieillissement étrange de Benoit Magimel se chargeant de la faire apparaître comme un objet amoureux délectable, un bien précieux à posséder. Si cette trame narrative paraît plutôt obsolète, les choses ne sont évidemment pas si simples, puisque Simon, par un de ces hasards dont le cinéma a le chic, travaille comme guide au même hôtel. Les retrouvailles raviveront dès lors les amours anciennes tout en renouant avec le noir de la première partie.

Nous suivrons triangle amoureux à Genève, là où vivent Lisa et Léo dans une résidence élégante. Sans d’autres occupations que voir son époux et son amant, Lisa bataille ses sentiments, reconnaissante envers Léo pour la vie qu’il lui a offerte, toujours mue d’amour véritable envers Simon. À ce scénario classique se greffe un commentaire sur la richesse, porté par la capacité d’achat de Léo et par la pauvreté où est maintenu Simon, faute d’avoir perdu son gain de drogue au jeu. Il est question de choisir entre les deux postures et d’allier l’histoire d’amour à un enjeu réflexif plus large. Seulement, la promesse de complexification de l’intrigue échoue, puisque rien ne tient véritablement lieu de pauvreté ou de position plus humble dans ce film, sauf l’idée vague que l’on s’en fait, depuis la présence continue des métiers ancillaires et l’incapacité toute relative qu’aurait Simon de réussir sa vie. Amants en revanche étale un faste formel qui flatte la richesse qu’il dépeint, faste qui va même jusqu’à contaminer la direction d’acteur, tant Stacy Martin et Pierre Niney semblent contraints à des registres de mannequin, beaux, rayonnant de lumière et absolument vides de pensées, de rêve de vie si ce n’est celui de pouvoir être de nouveau ensemble. Magimel dote son rôle de davantage de couleurs, introduisant une dose de nuances dans l’archétype du salaud richissime, mais la psychologie des personnages reste sans contraste, sans souffle introspectif, sans amorce sociale incarnée. La piste de la dépendance affective n’est pas non plus relevée, elle est même plutôt prise pour acquise, l’amour étant réduit ici au souhait de toujours vouloir être avec l’autre.

On se sent ainsi dans Amants comme dans cette relation fusionnelle de départ, là où la réalité extérieure pénètre trop peu, là où l’amour ne peut que se nuire en étant aussi autophage, fasciné par sa propre beauté plastique. Mais surtout, on se demande comment diable penser un personnage de femme aussi passive en 2022, alors que les fils des réseaux sociaux du quasi-monde entier bouillonnent de gestes d’affirmation et résonnent de politiques identitaires. Car même si Lisa décidera de vivre sa vie à la dernière minute du film, on ignore si c’est pour aller rebondir dans les bras d’un autre homme qui la sauverait, puisque de cette vie qu’elle veut vivre, nous ne savons strictement rien. Se restreignant, obnubilée, à la beauté de ses acteurs et des images, Nicole Garcia fait preuve d’un certain mépris envers ses personnages, fût-il inconscient, et signe un film résolument bourgeois. Un noir à l’eau de rose.

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Critique publiée le 23 mars 2022.