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Juno (2007)
Jason Reitman

La jeune fille et la vie

Par Louis Filiatrault
Cela devient systématique: chaque année voit un ou quelques films au charme plus ou moins décalé s'arracher au circuit du cinéma indépendant américain puis devenir l'enfant chéri des critiques et la nouvelle sensation indispensable à la culture de tout jeune adulte blanc. Entre autres échantillons faciles à évoquer, l'année dernière connut Little Miss Sunshine ; la précédente, l'excellent Me and You and Everyone We Know. Il s'en trouve toujours quelques-uns pour trouver des torts à ces oeuvres se démarquant de la production étatsunienne par la simple étincelle de leur personnalité, et beaucoup pour mordre à l'hameçon de ces comédies dramatiques se complaisant plus ou moins dans leurs excentricités, fières de leur statut de « baroudeurs filmiques ». Plus que pour beaucoup d'autres, leur appréciation relève de la culture et du goût personnels, mais on pourrait défendre aisément, en reconnaissant l'arbitraire de ses critères, que le jeu en vaut plus souvent qu'autrement la chandelle. Cela semble certainement être le cas de ce Juno éclatant de fraîcheur, s'appuyant sur l'écriture prodigieusement énergique de la très « hip » Diablo Cody et sur la prestation, justement louangée, d'Ellen Page.

Un peu comme la Enid de Ghost World, Juno McGuff est une ado « différente »: elle parle sur un téléphone en forme de hamburger, idolâtre les Stooges et connaît son Dario Argento. Mais au-delà de ces « étrangetés » sommaires, elle est avant tout un personnage formidablement déterminé pour qui le doute et la remise en question sont des concepts plus ou moins abstraits. Si bien que lorsqu'elle choisit de perdre sa virginité en compagnie de son ami Paulie Bleeker (Michael Cera, aussi attachant que dans Superbad), il ne se trouve pas grand-chose qui pourrait l'en empêcher ; et que lorsqu'une grossesse résulte de cette nuit de découvertes (jamais montrée), il serait difficile de la convaincre de passer pour de bon à l'avortement. Juno préfère porter, accoucher, puis faire don de l'enfant à qui saura mieux l'élever (Jason Bateman et Jennifer Garner, tous deux subtils et très touchants). Non sans évoquer la construction simple mais admirable de Knocked Up, c'est donc selon une trame famililère, à l'issue plus ou moins déterminée, qu'évolue Juno, trouvant son originalité ailleurs et son humour, dans tous les recoins.

Misant gros sur l'éclat de l'image et le mélange des genres, le premier long-métrage de Jason Reitman, l'intéressante satire Thank You For Smoking, était un vrai film « de réalisateur ». Pour sa deuxième incursion, le metteur en scène atténue son style prononcé pour s'effacer au profit des dialogues spirituels et explosifs de la scénariste nouvelle venue. S'il dépasse le Tarantino des premières années en simples termes de références pop (ne comptant cependant pas toujours parmi les plus inspirées), le texte de Diablo Cody intègre néanmoins à son bavardage profondément fantaisiste un humanisme et un naturel qui ne sont pas sans rappeler Woody Allen. C'est donc sur la base d'une tension délicate entre vérisme et invention pure que Juno opère et, ultimement, captive. Les interprètes relaient sans flancher un humour définitivement très « cool », mais surtout constamment habile et surprenant. Quant à Ellen Page, pas depuis belle lurette a-t-on vu tant d'aisance à la caméra. S'il demeure facile de surestimer le film, difficile de ne pas saluer la création forte et plus qu'attachante de la jeune Canadienne, suffisant à porter par elle-même un récit pour le moins dépouillé.

Juno n'offrirait sans doute qu'un visionnement quelque peu complaisant, voire inconséquent, bercé par une trame sonore naïve et un événementiel rudimentaire, si ce n'était d'un revirement dramatique déchirant dont les prémisses, l'exécution et les suites sont démontrées avec une finesse rare et impressionnante. Le dernier tiers du film s'avère en fait un moment de délicieuse révélation: il pourrait advenir au spectateur que sans les caprices et la douce folie d'une première heure agréable mais peu tendue, la portée humaine de son acte final aurait très bien pu s'en trouver fort diminuée. Tout dépend des personnages dessinés avec amour, de la candeur de l'ensemble, débouchant sur une finale assurément sentimentale, mais dont la tendre sincérité a de quoi faire fondre les plus exigeants des romantiques (comme le présent rédacteur). Histoire d'amour, histoire de croissance, histoire de vie, Juno ressort comme la meilleure comédie américaine de 2007, et ce malgré la concurrence féroce -- bien qu'immature -- des productions de Judd Apatow. En couple ou en solo, peu importe les âges, c'est un film à ne pas manquer.
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Critique publiée le 15 janvier 2007.