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Brothers Bloom, The (2008)
Rian Johnson

Les raconteurs

Par Jean-François Vandeuren
L’étape du deuxième opus s’avère de plus en plus crucial dans le parcours d’un artiste, surtout lorsque le travail de ce dernier fut encensé lors de son premier tour de piste. C’est souvent à ce moment que nous pouvons séparer les créateurs d’une seule bonne idée de ceux dont la vision saura marquer son public - qu'il soit grand ou petit - pour encore plusieurs années à venir. C’est l’occasion pour un cinéaste d’augmenter les enjeux tout en inscrivant sa nouvelle production dans une certaine continuité, que ce soit au niveau du discours, des thèmes abordés ou de la démarche esthétique. Le réalisateur se doit alors de peaufiner les principaux éléments ayant fait sa réputation, ou du moins de trouver un nouvel angle, un nouveau créneau, pour les aborder, et ainsi éviter de donner l’impression de faire du surplace. Voilà en somme le lourd fardeau qu’allait inévitablement devoir supporter The Brothers Bloom tout au long de sa création et de sa diffusion, lui qui avait la tâche non négligeable de faire suite au formidable Brick de 2005, oeuvre qui aura su laisser rapidement une marque indélébile chez la gente cinéphile, fort d’une excellente première impression lors de son passage au Festival de Sundance. Il faut dire que Rian Johnson n’aura rien fait ici pour s’attirer aussi instantanément les louanges des spectateurs à monture épaisse friands de tout ce qui porte le sceau indie à tort ou à raison. The Brothers Bloom se révèle néanmoins un projet aussi ambitieux que son prédécesseur à bien des égards, mais mis en scène par un cinéaste qui n’avait plus à s’en faire autant avec l’économie de moyens, et qui se sera même permis de nager dans le luxe sans demi-mesure.

Le réalisateur sera donc sorti de la banlieue californienne pour se payer un voyage entre les Amériques et le Vieux Continent. Et en croisière par-dessus le marché! Le tout en prenant bien soin de vêtir ses personnages d’habits et d’accessoires on ne peut plus distingués - ces derniers étant campés par une distribution également plus imposante réunissant Mark Ruffalo, Adrien Brody, Rachel Weisz, Rinko Kikuchi et Robbie Coltrane - en plus de se permettre un running gag impliquant une voiture de luxe terminant périodiquement sa course dans le décor. Malgré un tel changement d’environnement, Johnson démontrera tout de même qu’il n’a pas oublié les individus l’ayant épaulé à ses débuts, offrant de petits rôles à quelques-uns des acteurs ayant pris part à son premier exercice, notamment à un Joseph Gordon-Levitt qui apparaîtra le temps d’un très court plan latéral. Une séquence qui suivra une entrée en matière où les nouvelles aspirations du cinéaste auront déjà été clairement mises en évidence. Une scène d’ouverture devant beaucoup au cinéma de Wes Anderson, et ce, autant d’un point de vue visuel que narratif, durant laquelle nous ferons la connaissance de Bloom et Stephen, deux frères orphelins ayant fait le tour de nombreuses familles d’accueil, tandis qu’ils mettront à exécution le tout premier coup de leur grande carrière d’escrocs professionnels. Alors qu’ils seront au sommet de leur art, ce mode de vie basé sur le mensonge ne semblera soudainement plus satisfaire Bloom autant que par le passé. Comme le veut la tradition, Stephen lui proposera alors de planifier une dernière arnaque avant de le laisser voler de ses propres ailes. La victime sera Penelope, l’héritière d’une importante fortune collectionnant les passe-temps pour se désennuyer de sa vie morne au coeur de son immense demeure, jeune femme dont Bloom tombera évidemment vite amoureux.

Si Rian Johnson fait de nouveau part ici de son goût pour des méthodes de mise en scène appartenant à un cinéma d’une autre époque, il s’agit en soi du seul point sur lequel se rejoignent Brick et The Brothers Bloom sur le plan de la forme, le présent effort progressant lui aussi à un rythme pour le moins particulier, mais qui ne s’avère jamais déficient. Ainsi, là où Brick affichait une rigidité qui seyait bien à ses ambiances et son intrigue, The Brothers Bloom présente à l’opposé une légèreté et une désinvolture avec lesquelles Johnson semble tout aussi à l’aise. Un ton que le réalisateur canalisera principalement à travers les personnages de Stephen et Bang Bang (leur complice), elle qui semblera sortir tout droit d’un dessin animé de par son allure et ses méthodes des plus explosives. L’objectif premier de Stephen sera d’ailleurs de sortir son frère de sa torpeur, de le ramener à un certain état d’innocence et de lui faire vivre cette aventure comme s’il s’agissait toujours d’un jeu où le but était simplement de s’amuser. Une énergie vivifiante - proche de celle que dégageaient les premières oeuvres de la Nouvelle Vague française - qu'accentueront la trame sonore on ne peut plus entraînante de Nathan Johnson comme ces images auxquelles le cinéaste et le directeur photo Steve Yedlin insuffleront énormément de mouvement là où d’autres auraient opté pour un traitement beaucoup plus statique. Le tout en se jouant des codes de la comédie avec un sens du rythme et un raffinement des plus étonnants dans un contexte où les rôles que devront tenir ces personnages pour le moins colorés dans cette suite de stratagèmes fabuleusement élaborés feront en soi directement écho au travail d’acteur au cinéma.

Rian Johnson impressionne également de par la façon dont il aura su déployer ces idées à l’intérieur d’un récit qu’il sera d’autant plus parvenu à rendre pratiquement autosuffisant, s’efforçant de révéler les mécaniques de la scénarisation de façon nuancée à partir de bases ayant à la fois tout et rien à voir avec le septième art - contrairement, par exemple, à la décortication d’une rare maladresse que nous en proposait M. Night Shyamalan dans le malheureusement raté Lady in the Water. Une telle initiative rendra du coup encore plus significative la quête de Bloom d’un futur n’ayant pas déjà été écrit et planifié, ultime récompense de ce fameux coup parfait au bout duquel tout le monde obtiendra finalement ce qu’il désire. Le cinéaste emploiera alors une image pour le moins puissante en situant l’avant-dernière séquence de son récit dans un grand théâtre en ruines où la « réalité » finira par rattraper la « fiction », où Stephen ira d’une dernière prestation devant un Bloom qui ne s’apercevra que trop tard de la supercherie. La candeur et la perspicacité du plus jeune frère se confondront ainsi pour révéler de plus en plus sa nature de spectateur plutôt que de personnage. Bref, s’il se révèle en bout de ligne un film à peine moins accompli que Brick, The Brothers Bloom convainc néanmoins du potentiel immense de son instigateur, lui qui, après avoir incité ses interprètes à faire preuve d’une rigueur extrême, y sera allé d’une démarche beaucoup plus souple, mais tout aussi réfléchie, dont émane un plaisir qu’auront visiblement partagé ses comédiens, et que ces derniers n’auront eu aucune difficulté à leur tour à transmettre à leur auditoire. Une oeuvre éclectique peut-être un peu plus difficile à apprivoiser, mais qui finit néanmoins par dévoiler tous ses charmes au fil des visionnements.
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Critique publiée le 27 septembre 2012.