WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
L’équipe Infolettre   |

Celeste and Jesse Forever (2012)
Lee Toland Krieger

Mariage : fin et suite

Par Jean-François Vandeuren
Un peu à la manière du (500) Days of Summer de Marc Webb, avec lequel le présent récit a plus d’un point en commun, Celeste and Jesse Forever s’amorce lui aussi sur une série d’images nous laissant croire que les deux personnages titres (interprétés par Rashida Jones et Andy Samberg) vivent toujours un mariage tout ce qu’il y a de plus harmonieux. Ce ne sera que lors d’un souper organisé avec un couple d’amis que nous découvrirons que Celeste et Jesse sont en fait engagés dans une procédure de divorce. Une réalité qui rendra leur complicité et leur bonheur apparent aussi insoutenables qu’incompréhensibles pour les deux individus se trouvant de l’autre côté de la table. Le grand jeu déployé par ces anciens amoureux croyant être tout à fait capable de traiter cette situation délicate en adultes responsables commencera à s’effriter lorsque Jesse décidera de profiter davantage de sa vie de célibataire. Pour compliquer un peu plus les choses et forcer les deux parties à faire le deuil de leur relation plus rapidement qu’ils l’avaient envisagé, Jesse attendra soudainement un enfant avec une femme qu’il fréquente depuis peu. Une nouvelle qui remettra les choses en perspective pour Celeste, qui n’avait jamais voulu fonder une famille avec quelqu’un qui ne prenait pas suffisamment sa carrière et son avenir au sérieux. Les choses seront évidemment bien différentes maintenant qu’elle ne peut plus avoir ce qui était pourtant à sa disposition il n’y a pas si longtemps. Celeste réalisera du coup que le temps file de son côté également et qu’elle devra vite trouver le moyen de retomber sur ses pattes, elle qui aura de plus en plus l’impression d’avoir raté le bateau la première fois.

Comme l’auront fait quelques jeunes actrices au cours des dernières années, que l’on pense à Brit Marling avec Another Earth et Sound of My Voice ou à Zoe Kazan avec Ruby Sparks, Rashida Jones se sera elle aussi résolue à prendre le taureau par les cornes en s’attaquant à l’écriture d’un projet cinématographique - qui la mettrait évidemment en vedette. Le duo de scénaristes qu’elle complète avec l’acteur Will McCormack fait toutefois preuve de beaucoup plus de prudence ici en s’aventurant sur le terrain toujours fertile de la comédie dramatique mijotée à la sauce « indie », mais en se penchant principalement sur la problématique de la rupture plutôt que de tenter de trouver de nouvelles façons de redonner vie au « ils vécurent heureux… » dans un monde où le romantisme aura passablement changé en l’espace de cinquante ans. C’est dans cette confrontation à l’échec amoureux et la venue de cette période où il s’avère toujours utile de faire le point sur les erreurs commises pour se remettre sur pied et poursuivre sa route que l’opus de Lee Toland Krieger rejoint le plus celui de Marc Webb. L’héroïne de Celeste and Jesse Forever devra elle aussi passer à travers une période creuse sur le plan émotionnel comme professionnel tandis que, de son côté, Jesse atteindra un niveau de maturité que Celeste aura toujours souhaité le voir acquérir lorsqu’ils étaient mariés, lui dont l’évolution aura, certes, été quelque peu forcée par les événements, mais qui sera néanmoins bien déterminé à ramener sa vie dans le droit chemin. Le tout poussera la jeune femme à réaliser qu’une telle séparation n’est peut-être pas la fin du monde après tout, chose qui n’est pas nécessairement facile à s’avouer, même lorsqu’on est prêt à faire preuve d’autant de discernement.

Jones et McCormack ne feront toutefois guère preuve d’une grande originalité dans la construction comme dans l’approfondissement de leur univers, eux qui ne se seront contentés que de récupérer leur part d’éléments typiques de ce genre de productions, des comportements juvéniles des principaux concernés aux inévitables réflexions sur la culture populaire en passant par la mise à l’avant-plan d’un style de vie on ne peut plus urbain et branché. Le tout à l’intérieur de décors et durant des soirées évidemment tout ce qu’il y a de plus tendance. Le duo fera d’autant plus travailler son protagoniste pour une agence d’artistes, elle qui viendra tout juste de publier un livre sur l’état lamentable dans lequel se trouve actuellement la culture de masse. Celeste sera également appelée à s’occuper de la campagne de promotion entourant le nouvel album d’une jeune starlette au style hyper sexualisé (Emma Roberts, dans l’un de ses rôles les plus divertissants). Bref, ce n’est pas la subtilité qui étouffe le présent exercice à cet égard. Ces idées sont néanmoins traitées ici avec suffisamment d’autodérision pour éviter que ce sous-discours n’en vienne à alourdir l’effort, n’accordant jamais trop d’importance à des intentions qui, en soi, auraient pu être facilement substituées. L’initiative mènera d’ailleurs à certaines des situations comiques les plus amusantes du film, desquelles ressortiront plusieurs répliques aussi désopilantes que mémorables, en plus de mettre en valeur la facture visuelle d’une étonnante légèreté de Lee Toland Krieger. Le réalisateur parviendra pour sa part à tirer profit des moments les plus convenus du récit en les mettant en scène avec une agilité assurée et d’une manière tout à fait sentie.

La réussite de ces séquences en particulier - comme du film dans son ensemble - repose en grande partie sur la force de l’interprétation des deux têtes d’affiche, Rashida Jones affichant une énergie devenant vite contagieuse dans les meilleurs comme dans les pires moments auxquels sera confronté son personnage, tandis qu’Andy Samberg s’avère tout aussi convaincant dans un rôle plus dramatique lui demandant, certes, à l’occasion de laisser paraître quelques traces du style d’humour ayant fait sa renommée. La trame narrative édifiée par Jones et McCormack se révélera également des plus habiles alors qu’elle nous fera d’abord suivre les frasques de Jesse avant de porter une attention de plus en plus accrue aux déboires et tourments de Celeste, inversant les rôles par la même occasion à savoir lequel des deux cherchera à reconquérir l’autre. Celeste and Jesse Forever souffre néanmoins d’un manque à gagner en ce qui a trait à la mise en relief de ses thématiques comme de sa toile de fond, la majorité des personnages secondaires n’étant trop souvent associés qu’à une idée, une caractéristique ou un état d’âme, le plus intéressant du lot demeurant la pop star en devenir interprétée par Roberts avec lequel les deux scénaristes se seront visiblement amusés pour aller au-delà des clichés d’usage. Le réalisateur sera tout de même parvenu à orchestrer plusieurs moments de cinéma d’une grande beauté, en particulier lors des scènes nocturnes, grâce, entre autres, à la sublime direction photo de David Lanzenberg et à une excellente supervision musicale. Ainsi, s’il apparaît certainement à première vue comme un film parmi tant d’autres dans un créneau déjà surexploité, Celeste and Jesse Forever finit par s’imposer en bout de ligne comme une oeuvre à la fois simple, honnête, drôle et poignante.
6
Envoyer par courriel  envoyer par courriel  imprimer cette critique  imprimer 
Critique publiée le 31 août 2012.