WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
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360 (2011)
Fernando Meirelles

« F*ck It »

Par Jean-François Vandeuren
Il peut être facile de se laisser emporter, voire mystifier, par l’impression de grandeur émanant généralement du film choral, cette vaste production cinématographique entrecroisant les destinées d’un nombre particulièrement élevé de personnages, lesquels sont d’autant plus campés dans bien des cas par une distribution toute étoile. Si le sous-genre popularisé par Robert Altman peut atteindre des sommets particulièrement vertigineux (Babel d’Alejandro González Iñárritu, Magnolia de Paul Thomas Anderson), celui-ci peut faire part dans sa forme la moins travaillée d’un important manque à gagner au niveau de la cohérence du discours, de la profondeur du concept et de la mise en situation, et du développement souvent inégal de tous ces protagonistes au rôle amoindri réunis autour d’un même thème central. Une carence qu’un cinéaste croira certainement pouvoir camoufler sans trop de difficulté dans un exercice reposant en grande partie sur la force de sa structure narrative et, par conséquent, de son montage. Bref, 360 était en théorie un projet tout désigné pour un cinéaste de la trempe de Fernando Meirelles, lui qui cherche d’autant plus à atteindre de nouveau un sommet dont il aura légèrement chuté au cours de la dernière décennie, n’étant toujours pas parvenu à répéter l’exploit du sidérant City of God de 2002. Malheureusement, malgré une prémisse des plus substantielles et d’indéniables qualités esthétiques, le présent essai souffre trop souvent des problèmes auxquels nous a habitués ce type de productions lorsque inabouties, n’explorant ses enjeux dramatiques qu’en surface à un point où un trop grand nombre d’éléments finiront inévitablement par paraître accessoires.

Le scénario de Peter Morgan (Frost/Nixon, The Queen) s’inspire en soi librement de la pièce La ronde (Reigen) de l’auteur et dramaturge autrichien Arthur Schnitzler. Nous suivions dans celle-ci, à partir d’une structure narrative s’apparentant à une ronde, les péripéties d’une dizaine d’individus liés par diverses pulsions physiques et émotionnelles, débutant sur les frasques d’une prostituée avant de nous faire gravir les échelons d’un certain échiquier social pour finalement boucler la boucle par une rencontre ultime avec cette même femme pratiquant le plus vieux métier du monde. Le réalisateur Dieter Berner nous en avait d’ailleurs proposé une adaptation beaucoup plus maîtrisée en 2007 avec Berliner Reigen, qui passa malheureusement inaperçu en dehors du circuit festivalier. La première erreur de Morgan aura été de tenter d’adapter un récit aussi clairement divisé en adoptant la structure beaucoup plus souple du film choral quand l’ensemble répond davantage à celle d’une série de sketchs. L’initiative permet, certes, de nombreux allers et venus entre l’Amérique et l’Europe, mais nous sentons néanmoins que la matière entourant plusieurs séquences et personnages aurait pu être beaucoup plus relevée si plus de temps et d’attention lui avaient été consacrés, ceux-ci ne servant du coup que de pont entre deux mises en situation. Cela n’aide pas non plus que la majorité des intrigues seront conclues, voire désamorcées, avec une simplicité qui les rendra carrément inconséquentes. Un affaissement qui s’avère d’autant plus désolant dans ce cas-ci étant donnée la force que possèdent en théorie des thèmes comme l’amour naissant ou déchu, le désir et l’adultère, lesquels auront été traités abondamment au cinéma, mais que nous aurions tout de même cru les deux maîtres d’oeuvre en mesure de les aborder sous un angle novateur.

Il est ainsi plutôt décevant de voir une équipe aussi talentueuse faillir à la tâche d’une telle façon, eux qui n’auront certainement pas manqué d’ambition durant l’élaboration du présent opus, mais qui auront néanmoins semblé prendre le moindre des éléments de celui-ci pour acquis. Le principal problème dans le cas de 360, c’est que malgré une interprétation d’ensemble tout ce qu’il y a de plus respectable, en particulier de la part d’Anthony Hopkins et de Ben Foster, il demeure toujours assez difficile de prendre à coeur le destin de la majorité de ces individus dont l’univers et les préoccupations auront été trop sommairement édifiés. Il n’y aura au final que le récit de ce prédateur sexuel fraîchement libéré de prison et cherchant désespérément à contrôler ses impulsions (brillamment interprété par un Foster au sommet de son art) qui retiendra l’attention et conférera, par la même occasion, au film de Meirelles ses moments dramatiques les plus puissants, et de loin. Autrement, l’enchaînement de ses sous-intrigues semblera parfois beaucoup trop calculé pour un genre reposant principalement sur la force et la signification des hasards et des imprévus au coeur d’histoires on ne peut plus communes, auxquels le réalisateur brésilien et son acolyte n’arrivent jamais à conférer cette étincelle qui les rendrait un peu plus dignes d’intérêt. 360 semble du coup toujours progresser sur le pilote automatique en ne s’appuyant que sur une direction musicale de premier plan et la superbe direction photo d’Adriano Goldman (Jane Eyre, Sin Nombre) pour tenter de rehausser une formule qui, ici, manque diablement de vision et de caractère.

Le personnage auquel prête ses traits Anthony Hopkins, qui voyagera aux États-Unis pour identifier un cadavre qui pourrait bien être sa fille, laquelle aura déserté le nid familial après avoir découvert que son père trompait sa mère avec une autre femme, résumera en deux mots tout simples l’essence du discours tenu par Morgan et Meirelles : « F*ck it ». Toutes les histoires présentés dans 360 traitent d’un certain désir de prendre son destin en main, de faire ce qui est le mieux pour soi, même si cela implique de se montrer légèrement égoïste ou, à l’opposé, de simplement apprendre à vivre et à laisser vivre. Le duo se jouera d’ailleurs de l’ironie dramatique, d’une manière dont nous pourrons certainement questionner les vertus, pour révéler les conséquences négatives que vivront ceux ayant refusé d’affronter la vie et de se laisser aller ne serait-ce que pour cet instant fatidique. Et c’est ce qui s’avère le plus désolant au final dans le cas de 360 alors que les moyens pris par le cinéaste brésilien et son équipe auraient dû normalement mener à des résultats de plus grande envergure. Meirelles et Morgan font ainsi preuve d’un indéniable savoir-faire sur le plan technique et narratif, mais pour servir un propos qui, au bout du compte, demeure beaucoup trop mince. Nous devrons donc attendre encore un peu pour le prochain coup de génie de ce réalisateur on ne peut plus prometteur, mais qui se cherche encore et toujours visiblement. Pour l’instant, ce dernier nous sert une production qui, si elle ne peut être qualifiée de mauvaise, déçoit malgré tout par sa flagrante banalité.
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Critique publiée le 6 août 2012.