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Planet of the Vampires (1965)
Mario Bava

Parasite sauce tomate

Par Alexandre Fontaine Rousseau
On ne peut plus mensongère, l'affiche de Planet of the Vampires promet d'épiques combats opposant une poignée de cosmonautes armés jusqu'aux dents à de gigantesques monstres d'origine extraterrestre. Or, la menace que met en scène le film de l'Italien Mario Bava s'avère autrement plus sournoise, plus insidieuse, que ne le laisse entendre cette spectaculaire illustration - visiblement conçue pour exciter l'imagination d'un grand public friand de grand déploiement.

Même ce titre racoleur, mais ô combien vendeur, Planet of the Vampires, se révèle d'ailleurs un raccourci trompeur, résumant plutôt mal la véritable nature de l'antagoniste auquel il fait référence. Car ici, il n'est pas simplement question de transposer les sempiternelles règles du vampirisme dans un contexte de science-fiction afin de les ranimer. Il y a bel et bien hybridation entre deux traditions, celle de l'horreur gothique et celle de la science-fiction de série B; et les images de ces corps s'extirpant lentement de leurs tombes spatiales pourraient, à quelques détails « cosmiques » près, être tirées d'un quelconque Dracula de la Hammer.

Sauf que Mario Bava n'a jamais semblé particulièrement préoccupé par le respect des normes ou par la pureté des genres. Leur métissage apparaît donc, forcément, comme une considération secondaire - une conséquence spontanée de leur appropriation par le cinéaste. Ce qui intéresse l'auteur de Six femmes pour l'assassin et du Masque du démon, c'est plutôt cet enracinement dans l'instinctif et le pulsionnel qui confère au cinéma de genre un caractère viscéral, primordial. Chez lui, la violence est d'autant plus horrible qu'elle semble innée - et c'est en ce sens que la logique du parasite s'inscrit parfaitement dans celle de son oeuvre.

Ses « vampires de l'espace » cherchent ainsi par le biais d'une contamination (ou d'une possession) à s'emparer de corps étrangers dans l'unique but de survivre. Ce concept de parasitisme s'avère donc d'autant plus terrifiant qu'il est, plus encore que rationnel, naturel. Pour l'organisme parasite, il s'agit d'une nécessité : exister aux dépens de l'hôte ou cesser d'exister, tout simplement. Telle est la source de l'horreur. Le parasite, au fond, remet même en question la légitimité de la résistance. Parce que sa violence paraît elle-même légitime, selon un certain raisonnement que l'hôte (et c'est là toute l'horreur de la chose) comprend même s'il refuse de l'accepter.

Mais, au-delà de cette dérangeante logique, c'est la forme même que prend l'assaut du parasite qui s'avère foncièrement troublante. Tout bonnement parce qu'il possède cette particularité dérangeante de rendre le familier étranger, le parasite s'appropriant le corps de l'hôte et son identité, l'effaçant sans le faire disparaître. Il « vole » l'enveloppe charnelle, la conserve tout en la vidant de son sens. Il fait des êtres de simples apparences, des simulacres grotesques animés de spasmes faussement humains.

Comme dans le Invasion of the Body Snatchers de Don Siegel, hanté par ce concept de la substitution, c'est l'idée même de l'humanité de l'homme qui est remise en question par l'intrusion parasitique. Ce qui est subtilisé, c'est « l'âme » du sujet, ce caractère insaisissable qui fait de lui autre chose qu'un vulgaire organisme fonctionnel… Le parasite retire à l'hôte son identité, son individualité, l'assimile à un ensemble duquel semblent absentes les passions, remplacées par la raison à l'état pur. Il condamne sa victime à une existence purement utilitaire, la réduit à sa stricte fonction biologique. Il ramène les corps à l'état de corps. Horreur du point neutre, du néant. Le parasite impose l'absence, expulse l'être de sa propre existence.

Or, malgré cette prémisse sans conteste lugubre, Planet of the Vampires s'avère l'un des films les plus résolument ludiques de l'oeuvre du maître Bava - plus proche de l'éclatement kitsch assumé d'un Danger: Diabolik! que de l'atmosphère sordide caractérisant La baie sanglante ou Une hache pour la lune de miel. Vibrant hommage à l'imaginaire pulp, le film affiche fièrement son appartenance au registre de la série B, déployant ses effets spéciaux bon marché avec un indéniable flair visuel. Fidèle à son habitude, le cinéaste italien privilégie évidemment les éclairages exubérants - couleurs vives, ombres expressives - qui mettent en relief des décors dans l'ensemble franchement flamboyants, laissant au final l'impression d'écouter un épisode particulièrement psychédélique de la série Star Trek.

Là où le bas blesse, c'est au niveau de la réalisation elle-même qui, tout en étant parfaitement adéquate, ne fourmille pas de ces trouvailles qui font tout le génie des meilleurs Bava. La mise en scène, très classique, se met ici toute entière au service de la narration - pour ne pas dire qu'elle est l'auxiliaire de trucages qui, très souvent, dictent le cadrage. L'artiste cède par le fait même le pas au technicien, au détriment de ces élans d'inspiration démente caractérisant sa mise en scène des émotions violentes. Planet of the Vampires est un film dépourvu de sentiments; et pour Bava, plus à l'aise avec les pantins, esclaves de leurs pulsions, qu'avec les automates, cela relève en quelque sorte du contre-emploi.

Voilà qui n'enlève rien au plaisir que l'on tire du film, voire à son importance historique. Car, bien qu'il s'agisse d'une oeuvre mineure dans la filmographie de son auteur, Planet of the Vampires demeure une indéniable réussite dans le créneau (marginal, mais qu'importe) du « film de parasites » - de même qu'un précurseur du mythique Alien de Ridley Scott et Dan O'Bannon, dont il est assurément l'ancêtre à défaut d'en avoir été l'inspiration directe. Ne serait-ce que pour cette raison, les amateurs du genre ont tout intérêt à le découvrir.
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Critique publiée le 2 juillet 2012.