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Flash Gordon (1980)
Mike Hodges

Flash, roi de l'impossible kitsch

Par Mathieu Li-Goyette
En matière de divertissement, d'ennui chassé à coup de balai et de moments d'adrénaline infatigables, peu d'adaptations ont fait mieux que Flash Gordon - l'adaptation classique souhaitant trop être la rime de l'original, le mimétisme endort souvent l'efficacité. Reprise d'un personnage de « comic strip » des années 30 imaginé en réponse aux succès fulgurants de Buck Rogers, Flash arrive d'un autre temps - il l'était déjà, anachronique, à sa sortie au grand écran en 1980 - et n'a rien pour convaincre le public d'après-guerre(s) de suivre ses aventures intersidérales. Innocent à souhait, d'une candeur totalement absurde, il évolue dans un monde en deux dimensions où le mal vient d'ailleurs et où l'humanité, sans jamais avoir besoin de superpouvoirs, parvient à lutter contre la plus terrible des menaces. Attaquant la Terre à partir d'un vortex reliant deux mondes, l'empereur Ming (Max von Sydow) apprendra très vite de ses erreurs, car de la petite planète bleue s'échappera le docteur Zardoz, Flash Gordon le quart arrière et une jeune femme, Dale. Les trois gais lurons tenteront de déjouer ses plans machiavéliques et d'amener la galaxie à s'unir (le travail d'équipe leur est inconnu, mais pas pour Flash, joueur des Jets de New York) sous la botte de l'oppresseur.

Sauvant les gens qu'il aime à tous coups, fonçant à la vitesse de l'éclair (comme un « flash ») vers l'ennemi, il se bat mieux avec un oeuf d'extraterrestre en guise de ballon de football et préfère ne pas trop se poser de questions. Playboy parfait s'il en est un (oui, car il y aura toujours Flash), il rayonne de par sa glorieuse taille en « V », son visage en plastique surréaliste et sa voix d'une autorité robotique, mais adorable. Partout autour, les femmes sont en pâmoison. La fille-nymphe de Ming le libère d'une condamnation mortelle et se jette sur lui une fois enfui de l'empire, puisque même Terrien, il représente la virilité à l'échelle de l'univers. Flash, c'est la surhumanité du comic book américain à son essence première, élémentaire, qui se diviserait et se subdiviserait ensuite en Superman, Captain America et autres héros terrestres. Avant eux, il y avait Flash, un personnage recyclé plus tard par le serial, la télévision et subordonné à ses descendants qui ne lui rendraient pas la vie facile. Avant eux, il y avait une innocence qui s'avérait trop fragile, un conte des origines si absurde que Flash ne résista pas au passage du temps. N'évoluant pas à la vitesse de ses États-Unis, mais demeurant plutôt prisonnier d'une galaxie lointaine, très lointaine, il resta là, encapsulé, incapable de se faire notre contemporain, forcé à être la mesure d'un kitsch impossible pour ceux qui allaient poursuivre son rôle.

Se penchant sur l'art très particulier du comic strip - ces bandes dessinées d'une seule page publiées dans le journal qui devaient à la fois se suivre, véhiculer un récit de micro-intrigues tout en permettant à n'importe quel lecteur d'attraper son premier « numéro » comme son 150e élan - le film de Mike Hodges s'était donné comme rêve de restituer avec honnêteté ce héros culte. Ne cherchant pas à adapter (comme l'on adapta Superman en surclassant l'esthétique de la bande dessinée par une avalanche d'effets), mais bien à retranscrire dans le détail les dialogues originaux dans l'espoir d'en faire une comédie, on doit au scénariste Lorenzo Semple Jr. (la plume derrière d'autres parodies succulentes de la culture pop et pulp - le Batman des années 60 et Never Say Never Again) cette habilité ambivalente à fournir aux bambins un divertissement spectaculaire et aux adultes un sous-texte complètement démentiel. Allant aux extrêmes du bon goût du film pour enfant, Semple Jr. semble vouloir pousser au possible la référence sexuelle sous le nez des plus petits sans qu'ils n’y sentent jamais une odeur viciée. Sous leurs costumes flamboyants, les personnages de Flash Gordon cachent un potentiel orgiaque évident, quoique plus enfantin que celui de son ancêtre Barbarella, mais si suintants qu'ils deviennent aphrodisiaques sous la tutelle du fameux producteur Dino De Laurentiis, grand homme de la surenchère toute en chaire.

Flash Gordon se résume, comme le meilleur des comic strips servant à divertir le lecteur après une lecture assidue de son journal, comme ce film consommé à la fin d'une dure journée de travail : assemblé d'une succession de moments cultes et savoureux, chacune de ses scènes se suffisent et révèlent par leur organisation la convergence certaine entre les films cultes et la culture pop américaine, entre cet ultime cri de victoire poussé par le héros en arrêt sur image à la mort de Ming et la volonté du public à sauter de joie, à voir dans le cinéma populaire une exacerbation héroïque du quotidien, une occasion d'exprimer son euphorie au son des claquements de basse de Queen et des hurlements inoubliables de Mercury. Plus encore, Flash Gordon nous rappelle ces mots de Kundera (déjà cités entre ces pages, mais toujours aussi pertinents) à propos du kitsch : « Avant d’être oubliés, nous serons changés en kitsch. Le kitsch, c’est la station de correspondance entre l’être et l’oubli ».

C'est donc dire que Flash Gordon est l'apothéose de ce pic entre l'être et l'oubli, entre l'ancien et le moderne se compactant maladroitement en une sorte de sandwich aux ingrédients individuellement savoureux, mais à l'assemblage plutôt louche. Comme Queen était une rencontre à la gloire de l'opéra et du rock, transition subite d'un état à l'autre, incarnation même de ce mouvement de va-et-vient, Flash Gordon est à la charnière du comic book de l'âge d'or des années 30 et 40 et du cinéma décadent des années 70 mettant un premier pied dans les palettes de couleurs hyperactives des années 80. Summum des costumes en plastique et des vaisseaux en styromousse, l'artificialité du film n'est égalée que par le dur labeur de sa mise en scène, un retour aux effets spéciaux chers à la télévision d'antan, un amour de la science-fiction telle qu'elle se faisait avant l'arrivée des Star Wars et Alien. Rejetant la maturité des naturalistes qui sauveront dans les mêmes années la bande dessinée commerciale et le cinéma de genre, Flash Gordon reste fier de ses propres armes désuètes comme son héros se refuse aux facilités des attributs atomiques ou surhumains de ses compatriotes. Il est Terrien et Américain, c'est bien assez.

Cette idée, merveilleuse dans sa simplicité, rime avec la chanson titre de Queen, mais aussi avec une certaine beauté industrielle - la même qui fascina Warhol - dans des arrière-plans nuageux complexes comme si les décorateurs de Kwaïdan et de Dodes'Ka-den avaient été engagés, avec ces grands astronefs et cette cavalerie ailée chargeant au son de la batterie de Roger Taylor. Il y a un plaisir à regarder Flash Gordon qui n'est pas si loin de celui d'ouvrir un vieux recueil de comic strips (de Dick Tracy, de The Spirit, de Conan) ou de relire les premiers numéros idéologiquement savoureux de Captain America : la fascination de retrouver l'Amérique en gestation, dans son foetus, craignant encore le monde extérieur avec sa naïveté de nouveau-né comme fer de lance d'un siècle qu'elle allait conquérir en réinventant et en s'appropriant l'héroïsme. D'une certaine façon, Flash Gordon est l'opéra de cette grande histoire, l’un de ses hommages les plus attachants.
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Critique publiée le 14 mai 2012.