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Raid: Redemption, The (2011)
Gareth Evans

À bout de souffle

Par Jean-François Vandeuren
À bien des égards, The Raid: Redemption est la production que Luc Besson aurait rêvé voir sortir des studios EuropaCorp. Un film d’action pur et dur, riche en émotions fortes comme en cascades hallucinantes, lesquelles sont liées par une trame narrative juste assez fonctionnelle et intrigante pour tenir le spectateur en haleine du début à la fin et faire en sorte que ces quelques cent minutes de bagarres et de grognements aient au final une résonnance un peu plus significative que celle d’un simple divertissement nourri à l’adrénaline et à la testostérone parmi tant d’autres. La production indonésienne, dirigée par le Gallois Gareth Evans (Merantau), se prévaut ainsi d’une approche audacieuse, voire parfois irrévérencieuse, ainsi que de l’exécution béton ayant caractérisé les meilleurs élans du producteur français, notamment ceux du cinéaste Pierre Morel. The Raid: Redemption relate ainsi la mission extrêmement périlleuse que mènera une escouade tactique bien déterminée à mettre un terme au règne d’un dangereux gangster local. Pour ce faire, la brigade prendra d’assaut l’immeuble à logements au sommet duquel le criminel a élu domicile. Évidemment, chaque étage de cet édifice en piètre condition sera le repère de brigands visiblement prêts à tout pour protéger les intérêts de leur propriétaire. Nous ne serons donc pas surpris de voir notre groupe de défenseurs de l’ordre être pris en souricière et subir de lourdes pertes dès le début de cette opération menée au coeur d’un endroit où ils ne sont définitivement pas les bienvenus et dont leurs ennemis - beaucoup plus nombreux à la base - connaissent les moindres recoins.

L’un des agents en uniforme finira évidemment par ressortir du lot, lui qui se révélera l’un des rares à ne pas être complètement corrompus en plus d’être aussi à l’aise avec ses poings qu’un couteau ou un revolver. Un héros flegmatique dont le tempérament et les habiletés seront parfaitement résumés dès la séquence d’ouverture, alors que le calme précédera la tempête et que notre futur père de famille sera présenté tour à tour en train de prier et de s’entraîner avant de quitter sa femme et son père pour le boulot. Il s’agira ici de la première manifestation des grands talents de raconteur visuel du réalisateur qui, sans y aller d’élans révolutionnaires, étalera néanmoins tout au long du présent exercice des images suffisamment puissantes et évocatrices pour caractériser ses personnages comme l’évolution de sa mise en situation sans avoir à recourir continuellement aux dialogues. Un atout essentiel pour une production dont l’efficacité repose avant tout sur la brutalité de ses scènes d’action et un rythme de croisière on ne peut plus soutenu. L’essence de The Raid: Redemption émanera également en grande partie de la composition de son univers filmique, lequel transpire la violence comme la saleté des lieux et la sueur des représentants des deux clans se livrant une lutte sans merci. Ainsi, chaque décor glauque et délabré comme chaque éclairage froid ou insuffisant, chaque coup de feu, chaque partie de l’édifice tombant en morceaux, chaque grincement d’une lame frottant sur une paroi métallique et chaque instant où un individu poussera son dernier souffle sera souligné ici avec une force de frappe ahurissante.

Il est clair que The Raid: Redemption a été pensé pour les fans de la première heure du genre, qui se sera passablement assagi au cours des dernières années afin d’augmenter ses chances de goûter à un certain succès commercial, ne proposant désormais que des intrigues ternes et inintéressantes - auxquelles est accordée beaucoup trop d’importance - et des séquences d’action ne se résumant de plus en plus qu’à de simples poursuites. Insistant lui aussi sur une forme de péripéties en particulier, Evans concentre la majorité de ses énergies ici sur les innombrables bagarres et les fusillades composant son récit, lesquelles évoqueront autant certains classiques occidentaux tels Assault on Precinct 13, Die Hard, Léon: The Professional et The Rock que le cinéma de kung-fu et les films de John Woo datant de l’époque où ce dernier n’était pas encore passé à l’Ouest. Evans, qui agit également à titre de monteur, et son directeur photo Matt Flannery auront d’ailleurs trouvé un juste milieu entre les techniques de mise en scène employées durant l’âge d’or du cinéma d’action et celles privilégiées aujourd’hui. Les multiples cascades et chorégraphies des plus impressionnantes exécutées ici ne sont ainsi jamais dénaturées grâce à un montage osant faire durer un plan plus qu’une seconde et des mouvements de caméra d’une étonnante fluidité. Le résultat s’avère d’une limpidité pour le moins réjouissante, traduisant avec fougue le sentiment d’urgence comme la fatigue s’emparant des héros comme des antagonistes, que nous sentirons de plus en plus à bout de ressources durant ces séquences de combat alliant magistralement manoeuvres très techniques à des gestes ne semblant plus être produits qu’en désespoir de cause.

La totalité de la trame narrative de The Raid: Redemption s’articule évidemment autour de cette idée d’instinct de survie au milieu d’un territoire particulièrement hostile. Une idée qu’appuient parfaitement les accents électro-rock de la trame sonore signée Joseph Trapanese, Aria Prayogi et Fajar Yuskemal, notamment lors des séquences ayant été volontairement étirées afin de nous donner l’impression que les personnages ne verront jamais le bout de toute cette violence. La plus grande lacune du film de Gareth Evans demeure toutefois l’absence d’un héros charismatique. Celui qu’incarne Iko Uwais livre bien la marchandise lors des scènes plus musclées, mais n’a aucune matière avec laquelle travailler pour élever son personnage aux rangs d’un John McClane, par exemple, même si celui-ci se fera tout autant malmener durant son parcours. Une carence au niveau des enjeux dramatiques qui sera corrigée in extremis par l’entremise de la dualité entre deux frères se trouvant chacun du côté de la loi qui leur sied le mieux, eux qui devront ultimement unir leurs forces pour venir à bout d’un ennemi commun. Autrement, The Raid: Redemption propose certaines des séquences d’action les plus percutantes et mémorables que le genre nous ait offertes depuis longtemps. Le scénario de Gareth Evans demeure, certes, d’une simplicité extrême, réunissant des éléments classiques de ce type de récits dont la raison d’être ne sera bien souvent que de faire le pont entre deux affrontements. L’ensemble demeure néanmoins une expérience cinématographique profondément viscérale ayant le mérite d’être directe, d’avoir été élaborée avec une passion et un savoir-faire des plus stimulants, et surtout de ne pas trop prendre son public pour de vulgaires imbéciles.
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Critique publiée le 5 avril 2012.