ÉDITORIAL : À l'ombre de La Métropolitaine
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Devil Inside, The (2012)
William Brent Bell

La défaite de l'optimisme

Par Laurence H. Collin
N’importe quel amateur de cinéma d’horreur peut certifier l’existence d’un contrat implicite précédant son engagement personnel envers la cause. On parle ici de l'acquiescement d’une réalité dans laquelle ce dernier admet qu’il ne trouvera pas toujours son compte à chaque visionnement. Il lui reviendra ainsi la charge au fil des expériences inoubliables, satisfaisantes, décevantes ou épouvantables de demeurer bon public, même lorsque le spectacle proposé se révèle être de la nature la plus anémique imaginable. Soutirer le maximum possible du minimum offert, voilà le seul principe générant la volonté nécessaire pour traverser les marécages de la médiocrité en espérant la découverte de trésors occasionnels.

Pourquoi, diable, une entrée en matière aussi éloquente pour pas grand chose, me demanderez-vous? Parce que The Devil Inside est nul. Pas nul au point d’en sortir dans une quelconque sorte de transe abyssale, figurez-vous, mais d’une nullité suffisante à en faire la grimace, voire à en sortir la ribambelle de qualificatifs scatologiques. Même si, tout comme l’auteur de ces lignes, votre système a su développer l’immunité face aux oeuvres de cachet lamentable (ou même l’aptitude de leur trouver une certaine valeur éducationnelle ou distrayante), on peut garantir que The Devil Inside représente la démonstration parfaite pour mettre à l’épreuve l’indulgence élastique des fidèles au genre. Pour les besoins de la cause, je m’efforcerai néanmoins à extirper de The Devil Inside un propos de rédaction. Sauf qu’entre vous et moi, mon amour-propre se sentirait déjà mieux à l’idée de savoir que ce préambule a garanti qu’au moins un lecteur choisira de garder son temps précieux en vue d’une activité plus stimulante. Comme, par exemple, faire le ménage des tiroirs de sa commode, ou répondre à un courriel d’un membre de la famille qui patiente depuis quelques jours. Ou bien s’infliger des blessures sur la peau à l’aide d’une punaise, puis attendre qu’elles cicatrisent, puis arracher les gales.

Déjà l’hyperbole! Et moi qui m’étais promis de demeurer dans un cadre analytique sérieux. C’est parce que plus j’y pense, moins j’ai la conviction que le film de William Brent Bell mérite la considération au-delà de deux ou trois blagues de mauvaise foi. Car il faut commencer par le fait que The Devil Inside semble uniquement né de la vocation d’exploiter non pas une, mais bien deux sous-catégories déjà franchement patraques du cinéma d’horreur contemporain : le « found footage movie » et le récit d’exorcisme qui tourne mal. Excepté que, comme l’étonnamment abouti The Last Exorcism de Daniel Stamm a su nous le rappeler l’an dernier, la fraîcheur d’un concept ne représente pratiquement jamais l’indicateur précis de la qualité intrinsèque du projet rattaché. Les facteurs expliquant pourquoi celle de The Devil Inside s’avère non existante devront être puisés ailleurs qu’en surface, semble-t-il. La prémisse se révèle donc aussi ordinaire que l’on doive s’y attendre : vingt ans après qu’une séance d’exorcisme sur sa mère (Susan Crowley) ait particulièrement mal tourné, une jeune femme (Fernanda Andrade) entreprendra un voyage en Italie afin de comprendre ce qui a bien pu se passer, et peut-être même vaincre cette entité maléfique l’affligeant toujours.

Tous les développements subséquents, amorcés par la collaboration de cette dernière avec un vidéaste amateur  (Ionut Grama), auront davantage à voir avec le docu-reportage ésotérique bidon que le film d’épouvante à proprement parler. Cette obstination du scénario à multiplier les entretiens entre notre héroïne et divers individus qu’elle rencontrera dans un cours d’exorcisme (!) tenu au Vatican n’aide en rien le développement de la tension, tout comme les capacités d’actrice d’Andrade, qui volent (et c’est bien dommage) à peine plus haut que l’élocution d’une concurrente de téléréalité. The Devil Inside voudrait bien donner l’illusion d’une lente ascension en flânant aussi péniblement durant ses deux actes initiaux, mais tel que dépourvu des plus sommaires explications du passage d’une scène vers la suivante, toute impression d’avancement ne peut faire autrement que de s’évaporer sur-le-champ.

Une fois les hypothèses forcées balayées quant à la part d’implication psychologique sur la condition des âmes possédées, il ne reste plus qu’au long métrage de livrer la marchandise durant ses séquences d’exorcisme anticipées. Le constat demeure tout aussi désolant à ce niveau : ne sachant trop quoi faire du potentiel réaliste de son objectif amovible, Bell tue simplement le temps en s’appuyant sur les contorsions et simagrées des interprètes, jamais suffisamment intenses au demeurant. Le spectateur anticipant une éclosion de fureur satanique ou de convulsions dérangeantes doit se rendre à l’évidence : aucune des images fortes proposées par The Devil Inside ne transcende les plus transparents artifices techniques.  Au fil des tentatives de montrer le bouleversement chez ses personnages, tous mitraillés par d’abrutissants dialogues explicatifs (« He’s been under a lot of stress lately! »), l’ensemble rampe en direction d’une fermeture immédiate sans même revenir sur les pistes invoquées en chemin.

Comme de fait, le clou de ce navrant spectacle prend la forme d’une conclusion foncièrement primitive dans sa déficience résolutive. Par la ténacité avec laquelle il calque intégralement la recette filmique usée du document faussement récupéré, The Devil Inside jette ainsi vers le spectateur un réquisitoire « choc ultime » d’un tel culot anti-cinématographique que les mots nous manquent encore. On imagine alors que le triomphe commercial des productions n’ayant coûté trois fois rien comme Insidious ou la série Paranormal Activity, avec leurs issues vicieuses et fatalistes, ont excessivement influé l’écriture de The Devil Inside. À la différence que les exemples ci-haut furent conçus par des artisans plaçant minutieusement l’expérience du spectateur en premier lieu, alors que tous les responsables de The Devil Inside ne donnent que l’impression d’avoir passé une autre journée au boulot.

C’est donc l’amateur du genre qui est floué, une fois de plus; face à l’interminable générique de clôture étirant les 73 minutes du film de Bell à un produit de durée plus conforme, l’auditeur n’aura d’autre instinct que celui de remettre en question le bienfondé du type de divertissements auquel il préfère se dédier. Le mieux que l’on puisse dire de ce The Devil Inside, c’est que pour l’arrière-goût regrettable qu’il laisse, il possède au moins la décence de commencer à s’évaporer de la mémoire du cinéphile à la seconde où il s’achève. L’orgueil du fanatique en prend cependant un coup. Les marécages sont loin de tirer à leur fin. Pourquoi cette traversée, encore?
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Critique publiée le 10 janvier 2012.