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FP, The (2011)
Jason Trost et Brandon Trost

Eighties Revival

Par Alexandre Fontaine Rousseau
De son affiche rétro à sa direction artistique old school, le premier film des frères Brandon et Jason Trost s'inscrit dans un courant esthétique de plus en plus vaste trahissant la nostalgie des créateurs d'aujourd'hui pour le cinéma d'hier. Nous entendons de plus en plus souvent dire que les films « ne sont plus comme avant », et cet avant est de plus en plus fréquemment perçu comme un « bon vieux temps » révolu. Même les blockbusters n'ont plus cette énergie débonnaire qui, du temps du bon vieux temps, en faisait des oeuvres dignes d'affection. Les standards industriels ont pris le dessus sur l'artisanat à grand déploiement, les mots d'ordre du cinéma commercial actuel étant uniformité et rentabilité instantanée. Cet été, le film hollywoodien à battre est Super 8 de J.J. Abrams : un hommage senti à l'oeuvre de Steven Spielberg citant explicitement Close Encounters of the Third Kind et E.T.: the Extra-Terrestrial qui, par le simple fait de camper son histoire à la fin des années 70, semble déclarer la guerre à sa propre époque. Les rats de cinémathèque ne jurant que par le cinéma muet n'ont donc plus l'exclusivité sur la cinéphilie nostalgique; le grand public, lui aussi, se souvient d'une époque lointaine où les divertissements lui étant adressés possédaient un cachet humain qui fait cruellement défaut aux machines à sous de l'Hollywood industriel contemporain. N'oublions pas que l'un des succès surprises de l'année 2010 fut The Expendables de Sylvester Stallone - opération de recyclage de la mythologie des « films de gros bras » des années 80.

Visiblement, le monde marginal du cinéma de genre est atteint du même syndrome nostalgique. Avec The House of the Devil et The Innkeepers, Ti West ramène le cinéma d'horreur à ses racines dans le marché de la VHS des années 80. De son côté, Hobo with a Shotgun du cinéaste canadien Jason Eisener cultive une esthétique outrancière rappelant les films d'action survoltés de l'âge d'or du style « trash néon ». Dans une veine similaire, The FP revisite le cyberpunk de sous-sol de club vidéo sur le mode comique - assumant d'emblée un second degré qui n'est pas incompatible avec son authentique affection pour la naïveté inouïe de la culture populaire qu'il ressuscite. En réalité, c'est tout l'univers du divertissement eighties - actualisé et parasité de références contemporaines - que convoquent les frères Trost. À mi-chemin entre l'hommage et la parodie, leur film plonge le spectateur dans un avenir hautement improbable où les compétitions de Beat Beat Revelation (ça, pour ceux qui n'auraient pas compris, c'est le Dance Dance Revolution du futur dystopique) règlent les griefs entre gangs rivaux. Il y a dans le mélange un peu du Escape from New York de John Carpenter et des échos du fameux The Warriors de Walter Hill. Mais il y a surtout l'amour sans préjugés d'un enfant pour le bassin de productions populaires aux mérites discutables ayant bercé son imaginaire et modelé sa cinéphilie.

The FP, qui a tout d'un gigantesque jeu, compte énormément sur le fait que son public maîtrise ces références et partage l'enthousiasme de ses créateurs pour les oeuvres les ayant inspirés. Prenons l'exemple de cette scène de retrouvailles où KC/DC découvre dans une forêt notre héros exilé JTRO, devenu bûcheron suite à la mort de son frère BTRO - victime d'une joute particulièrement endiablée de BBR. Le spectateur « au courant », celui qui a vu et revu les films que citent les frères Trost, pensera immédiatement à First Blood de Ted Kotcheff ainsi qu'à Commando de Mark Lester. Plus tard, lorsque JTRO accepte de suivre l'entraînement rigoureux de BLT dans le but de vaincre le redoutable L Dubba E, c'est vers The Karate Kid et Rocky IV que sa mémoire est aiguillée. Les références, dans The FP, sont énormes. Non seulement parce qu'elles sont peu subtiles, mais parce qu'elles renvoient à des oeuvres qui ne sont aucunement obscures. Voilà d'ailleurs le secret de son succès : se situer à mi-chemin entre le cachet du culte et l'accessibilité du mainstream, légitimer des plaisirs coupables en les glorifiant par la voie paradoxale du ridicule. C'est en accentuant les rouages grossiers de leurs sources que les Trost arrivent à faire du neuf avec du vieux. Leur cinéma récupère, certes, mais il s'affaire aussi à transformer. Tout comme le faisait Hobo with a Shotgun, The FP décuple, amplifie jusqu'à ce que l'ensemble atteigne le point de rupture de l'absurde - les Trost employant la vulgarité de la même manière qu'Eisener utilisait dans son film la violence.

Bien sûr, le procédé n'est pas totalement au point. À force de répéter les mêmes gags, de tourner en rond autour des mêmes idées, la partie comédie du film s'essouffle alors que le concept, lui, continue de tenir la route. Ici, les farces vraiment mémorables se comptent au final sur les doigts de la main. C'est plutôt par la cohérence bigarrée de son style et l'extravagance de l'univers qu'il construit que l'oeuvre relève son humble pari d'amuser. Film de foules, donc taillé sur mesure pour Fantasia, The FP n'a pas en soi la richesse nécessaire pour maintenir l'intérêt du public : c'est un point de rassemblement autant qu'un film intrinsèquement satisfaisant, un « événement » qui catalyse l'enthousiasme. En ce sens, on peut se demander s'il saura trouver preneur en dehors de ce contexte de réception particulier qu'est le festival, si son charme saura opérer loin de l'hystérie collective que cet environnement peut provoquer. On peut aussi se poser la question à savoir si la réponse importe réellement. The FP est une « vue de party » pure et dure, qui trouve sa raison d'être dans le fait de rassembler les gens et de partager avec eux sa démence sans bornes. Ses répliques colorées enfilées à la vitesse de la lumière, sa prémisse singulière et le spectaculaire arsenal de bottes et de ceintures déployé ont de quoi satisfaire les attentes très particulières qu'un tel film suscite. S'il renvoie au futur d'une autre époque, on peut dire que The FP s'inscrit dans un genre actuel dont la définition se précise d'année en année : le culte sur commande, conséquence étrange d'une accumulation de culture en matière de sous-cultures. Trahissant un certain épuisement, une incapacité du genre à se renouveler autrement que sur le mode emphatique, le phénomène mérite que l'on s'y intéresse - au-delà des films qu'il produit.
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Critique publiée le 10 août 2011.