ÉDITORIAL : À l'ombre de La Métropolitaine
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Tree, The (2010)
Julie Bertuccelli

L'arbre de la vie

Par Mathieu Li-Goyette
Un immense figuier surplombe la maison des O'Neil. Il vieille sur eux, accueille la balançoire des enfants, fait de l'ombre pour contrer la chaleur insoutenable de l'Australie désertique que le dernier film de Julie Bertuccelli (Depuis qu'Otar est parti...) met en scène. Trois fils, une fille, une femme (Charlotte Gainsbourg), la famille de Peter est parfaite, belle, unie. Un jour, sans crier gare, le père s'écrase contre le grand arbre, victime d'une crise cardiaque. Il meurt. Sa femme Dawn tente d'en faire le deuil. Les voisines soutiennent le ménage et les enfants, chacun époussetant à sa manière la poussière des cendres de leur père. La tristesse prend fin lorsque l'on « décide d'être heureux », dit la petite fille. Cette « décision » constitue l'enjeu dramatique du film, éloge de la force de caractère pour ceux chez qui le monde s'est effondré.

Film sur le deuil, L'arbre doit respecter certaines règles, la première étant d'offrir à ses personnages une alternative, un nouveau départ. Pour Dawn, cette possibilité s'incarnera chez George, son nouveau et premier patron (elle est femme au foyer depuis l'âge de dix-sept ans) et pour Tim, le plus vieux des enfants, dans l'étude et la recherche d'un premier boulot pour venir en aide à sa mère. Concrets, ces moyens s'opposent à celui de la jeune Simone, la deuxième enfant du couple, qui croit fermement que son père lui parle à travers l'arbre. Elle y grimpe chaque nuit et tend l'oreille. À travers l'écorce, le vent siffle, les insectes crépitent, les oiseaux chantent et la douceur d'une tranquillité toute naturelle rappelle à la fillette l'enveloppe réconfortante de son père, elle qui était vraisemblablement sa préférée.

Elle refuse donc le deuil pendant que sa mère et ses frères cherchent à oublier. Tandis que Dawn erre entre ses tâches ménagères (maintenant bâclées par la tristesse qui l'accable) et son travail où elle tombe amoureuse du patron, Simone traîne avec des amies, philosophe banalement sur l'importance d'être heureuse et de se souvenir de ceux qui nous ont quittés. Un soir, sûre qu'elle pourra confier son secret à sa mère, elle convainc celle-ci de tendre l'oreille contre l'écorce de l'arbre hanté. Dawn y croit. Mais y croire, ici comme dans Depuis qu'Otar est parti…, c'est aussi « faire croire », « se faire croire ». Pendant que la soeur voulait faire croire à sa mère que son fils prodigue n'était pas mort en France, dans L'arbre, Dawn croit au symbole pour se sauver de la crise et de l'abandon, puis pour encourager l'intuition de sa fille : son père survivrait bel et bien dans l'arbre contre lequel son camion s'est écrasé. La mort, selon Bertuccelli, laisse une béance qui doit être remplie. Ce qui remplace la perte de l'être cher, c'est un mensonge dans son film de 2003, puis ici ce figuier, sorte de métaphore plutôt efficace d'un amour de l'Homme envers la bienveillante nature et de l'importance de celle-ci comme protectrice des maux de notre existence.

Dans l'un comme dans l'autre, les personnages luttent pour se remettre sur pieds, pour renouveler une vie « bien longue » (les derniers mots de Dawn à George). Car bien que son nouvel amant tente de se rapprocher des enfants, bien que la famille se redresse peu à peu, l'intrusion du personnage de George est plus du domaine de la substitution que de celui de l'évolution vers d'autres émotions et une cicatrisation de la perte. Lorsque l'arbre se mettra en colère et passera bien près de détruire la maison familiale, lorsque ses racines transperceront la tuyauterie pour y faire pénétrer des grenouilles jaillissant ensuite des toilettes, le film de Bertuccelli prend des allures de rétribution sacrée. Comme si c'était là des plaies divines envoyées d'outre-tombe par le fantôme du mari, Dawn craint le pire et pense avoir trahi son époux. Incapable de se raisonner, la tête bourdonnant aux sons des complaintes de Simone qui refuse de faire abattre l'arbre, le coeur battant à tout rompre lorsqu'un cyclone déracinera le figuier pour le faire détruire complètement la maison (la séquence, la plus forte du film, a de ces coups de tonnerre à en faire croire au conte du père prisonnier), la mère fait table rase à nouveau, se sépare de George et s'éloigne vers une autre rive de l'Australie.

À juste titre, le pays traversé par tous les climats procure à la cinéaste les paysages nécessaires au récit mélancolique d'une famille en pleine métamorphose. Sa caméra flotte sur la musique folk rock d'Asaf Avidan, les plans ensoleillés sont dotés d'une certaine sécheresse qui se ressent sur la peau des interprètes, d'une poussière de sable qui flotte au loin comme si, autour de la maison et du figuier, aucune aide ne pouvait arriver. Dawn est seule. Seule avec ses enfants et la pierre tombale gargantuesque d'un mari retourné à la terre. On pourrait croire qu'à l'effleurer, le premier des malandrins lui grafignerait la peau tellement le corps frêle et à moitié endormi de Gainsbourg transmet une magnifique vulnérabilité à l'écran. Elle semble chercher son souffle pour atteindre la fin de chacun des plans, tente de survivre à chacune des séquences en espérant qu'une lumière se pointera au bout du tunnel.

« La vie est une force de la nature », nous dit le credo de l’oeuvre en nous rappelant, comme l'a récemment fait Terrence Malick, qu'une certaine adéquation entre l'homme et la nature peut parfois servir à comparer, à créer du sens en reliant notre quotidien aux mouvements cosmiques de la vie et de la mort. L'arbre, ultime symbole d'une vie tentaculaire recherchant sans cesse la stabilité sur le sol, inspire Dawn (que l'on traduirait littéralement pour « aube », soit l'aube d'une nouvelle ère) à reconsidérer ce qu'elle tenait pour acquis (ses amours, ses amies, sa ville, etc.). Si Malick utilisait des plans intersidéraux pour mettre en perspective le deuil du frère dans The Tree of Life, Bertuccelli utilise son figuier pour faire l'éloge de la capacité humaine à s'adapter aux imprévus et aux difficultés. Nos racines, encore plus que celles de l'arbre, semblent invincibles et suffisamment résistantes pour s'infiltrer dans les plus menus recoins et triompher des embûches qui les priveraient d'un épanouissement total. Cette grandeur d'âme, elle arrive aussi de Bertuccelli elle-même, pour qui L'arbre est une expérience autobiographique. Entre son premier film et celui-ci, elle a perdu son mari Christophe Pollock, directeur photo et proche collaborateur créatif de ses précédents projets. Dédié à sa mémoire comme à celle du spectateur qui chercherait dans les salles obscures un peu de consolation, L'arbre, dont la posture moraliste l'empêche d'être parfait, est néanmoins l’une des grâces de l'été. Une petite oeuvre douce-amère, fine, chargée d'autant de vérités que de facilités. Un film sur le deuil, certes, mais aussi un film endeuillé - porteur d'un profond chagrin, il prend la mesure du désespoir.
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Critique publiée le 9 juillet 2011.