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Thor (2011)
Kenneth Branagh

Des hommes et des dieux

Par Mathieu Li-Goyette
Certaines prémisses sont absolument farfelues, ridicules, effrayantes tellement l’appréhension est immense. À chaque plan, à chaque coupe, on craint que le projet ne tombe à l’eau, que Marvel et son pari gargantuesque étalé sur plusieurs années de réunir le groupe des Avengers à partir de plusieurs longs métrages réalisés au compte-goutte ne soit soudainement encore plus friable qu’il ne l’est déjà. Car si le premier volet d’Iron Man aura amplement satisfait les amateurs du genre, Hulk en aura laissé plus d’un pantois. Il ne manquait donc que Thor et Captain America, qui viendra plus tard cet été. À chaque volet, des indices, des clins d’oeil, des mises en situation qui serviront à un opus final qui, s’il est bien ficelé, devrait nouer toutes ces broderies éparpillées en une courtepointe des plus jouissives. Voilà le troisième quart du quatuor dévoilé, le divin super héros, mené à bon port par le shakespearien Kenneth Branagh, astucieux cinéaste qui aura décidé de croiser le récit des origines du personnage à la structure d’Henry V. Farfelu, disions-nous?

Ainsi, il était une fois Thor, dieu du tonnerre, fils d’Odin, frère supposé de Loki et héritier du trône d’Asgard. Un beau jour, devant l’affront commis envers son royaume, il partit en guérilla contre le peuple des géants des glaces. Expulsé pour haute trahison, il sera envoyé sur Terre, dépossédé de ses pouvoirs divins, à présent incapable de soulever son marteau, Mjölnir, et découvrira les moeurs des simples mortels aux bras d’un trio de scientifiques mené par Stellan Skasgård et Natalie Portman. À mi-chemin entre The Lord of the Rings et Les visiteurs, Thor jongle entre les registres épiques et comiques d’une scène à l’autre, transporté par les meilleures performances dont le film de super héros aura été gracié (Kenneth Branagh, homme de théâtre avant tout, y est probablement pour beaucoup) sans jamais sombrer dans l’exagération et la gratuité d’un festival de muscles et d’éclairs constant. En effet, pas de sang, ni de cynisme, seulement du tragique - l’histoire d’un fils désavoué par son père, c’est une tragédie que le genre nous présente rarement - et du clivage entre les mondes et les personnalités.

Le corps immense de Thor, puis celui minuscule de la jeune scientifique, le monde complètement doré et intersidéral d’Asgard qui, par ses couleurs brillantes, reluisantes, s’opposera au désert mât du Nouveau-Mexique où se tiendra une bonne partie du film, tourné dans une petite ville construite pour l’occasion; les extrêmes définissent le monde du divin et le monde des mortels. Comme dans la création de Stan Lee, Jack Kirby et Larry Lieber, où les différents numéros de la série (datant de 1962) alternaient entre des épisodes en Asgard et sur Terre (les deux mondes communiquent par un « pont arc-en-ciel »), le va-et-vient constant sert le récit et sa dichotomie profondément moderne entre l’ancien et le contemporain. Ici, transporté dans un temps où la « blockbusterisation » du héros américain passe par un abandon d’une magie devenue vieux jeu au profit de la science, puis le recours à une énergie plus spirituelle (The Sorcerer’s Apprentice en faisait l’apologie - le super héros moderne ne peut dépendre d’un Dieu, ni totalement d’une machine), Thor déplace la question vers la perception que ces deux mondes, celui d’origine et celui d’accueil, porte sur ses pouvoirs. Si l’un le traite comme de la magie et l’autre comme de la science (n’est-il pas ironique que l’intérêt amoureux du film naisse entre une déité et une scientifique aguerrie?), il est clairement établi que les pouvoirs de Thor se glissent dans chacune de ces catégories, faisant tout à coup de lui le super héros d’une race astrale comme d’une race terrestre. L’oeuvre de Branagh vient alors faire césure dans le genre, tasse du revers le héros philosophique et réaliste de Nolan, se débarrasse du trop humain Peter Parker de Raimi et place, tout compte fait, ce constant désir de renouveler la figure héroïque à l’arrière-plan.

Comprenons-nous, le cinéaste qui a été choisi ici est un classique, un hyper classique. Formé selon les dogmes de Laurence Olivier, il permet au langage élisabéthain des dieux de l’Asgard (fidèle aux textes des bandes dessinées) de rencontrer avec camaraderie le langage américain. Entre le sanglier et le bacon, on saisit la valeur profonde d’un héros venu d’ailleurs : la toute-puissance n’est pas suffisante pour être un bon monarque, car il faudra d’abord goûter à la condition du plus faible. Démuni de son marteau, le récit de Thor est un récit d’humilité. Et ça, mine de rien, c’est la preuve qu’un genre se diversifie, sait détourner à juste titre les principales thématiques de son matériau de base dans l’idée d’étendre le spectre des émotions qui auront été couvertes au final par cette saga sans fin, la plus intéressante du cinéma américain du début du siècle : le film de super héros.

Thor est donc plus original qu’il ne le paraissait à l’origine. Plus raffiné, plus peaufiné par ses personnages hautement sympathiques, il répond à la complexification du genre par une simplification au possible des enjeux. En ayant recours à une trame connue (deux princes sont ressentis pour prendre le relai du roi), à une mise en scène qui sait abuser - parfois trop - du cadrage oblique, la structure de Thor, qui place les deux univers en montage parallèle, est parfaitement maîtrisée. Si le protagoniste semble aussi à l’aise dans un bar que dans une chambre forte remplie d’artéfacts légendaires, c’est précisément parce que la forte stylisation du film lui permet un code interne, un code qui ne froisse jamais le regard du spectateur, qui, pour dire autrement, filme les géants des glaces comme les commandos américains. Alors qu’un monde magique, totalement virtuel, rencontre un monde scientifique, fortement caractérisé par les décors et le « réel » (où une autre production aurait préféré les arrière-plans numériques, le cinéaste a su insister sur les valeurs d’une reconstitution rigoureuse), c’est tout un genre qui se contemple dans le miroir, les dieux regardant les hommes, les hommes regardant les dieux.

Si les hommes ont toujours été le bref contrechamp de l’action du héros, cette expression d’épatement plutôt niaise devant le fait accompli, les scientifiques en cavale avec le dieu du tonnerre ont cette fois autant d’importance que ce dernier dans le récit, l’accompagnant comme ont accompagne E.T, faisant glisser sans avertissement nos attentes vers celles de la science-fiction et d’une rencontre du troisième type. Une alternative, tout aussi plausible, à la lecture du mythe américanisé du super héros, le dieu descendu sur terre pour apprendre de l’homme les qualités de la tempérance. À la toute fin, Thor est prisonnier d’Asgard. Le récit s’inverse, n’est pas puritain comme celui de Transformers (où des « divinités » venaient mettre à l’épreuve l’espèce), mais bien progressiste. Comme si, contente des leçons qu’elle a apprises (évidemment de l’ère Bush qui aura vu naître tous les super héros et franchises dont nous parlions précédemment), l’humanité, américaine toujours, avait aujourd’hui le calibre de faire la leçon aux mythes et de les modeler à son image. Farfelu, Thor l’est peut-être. Intelligent, il l’est assurément.
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Critique publiée le 5 mai 2011.