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Princesse de Montpensier, La (2010)
Bertrand Tavernier

Le grand retour de la cape et de l'épée

Par Mathieu Li-Goyette
C’est le propre des grands cinéastes, arrivés à un certain âge, de nous léguer les plus beaux films historiques. Car ils ne sont plus à la recherche d’une prouesse technique ou d’une performance qui les révèlera, car ils ne sont plus à la recherche de la suprême originalité d’un scénario à l’ambition de révolutionner le cinéma, ces hommes poursuivent un travail de longue haleine, parfois en se disant que de parler de l’Histoire d’un pays vaut bien quelques années de travail. Dans le cas de Bertrand Tavernier, on s’étonnera toujours de l’apparente facilité qu’il a à faire des projets dangereux (le film de cape et d’épée, en notre temps, c’est périlleux) le plus aisé des accomplissements. Ainsi, comme Kurosawa signa Ran, comme Ford signa Cheyenne Autumn, le Français s’efforce de croiser son pays avec le cinéma de genre, donc les histoires d’amour courtois, les châteaux, les princes, ducs et contes qui peuplent les nouvelle du XVIIe siècle de Madame de Lafayette - La princesse de Montpensier, puis à La princesse de Clèves, dont il retiendra aussi quelques idées.

Ne nous méprenons pas, puisque La princesse de Montpensier, dont on entend des commentaires plutôt mitigés, est une oeuvre résolument moderne dans sa révélation des sentiments amoureux d’une troupe d’hommes tournant autour d’une même agace. Ces hommes sont le prince de Montpensier (le mari), le comte de Chabannes (le protecteur du foyer), Henri de Guise (son premier amour de jeunesse), et enfin le Duc d’Anjou (le plus attaché à la cour du roi et le plus élégant des prétendants). Tous se chargent, à leur manière bien particulière, soit le savoir, l’adresse au combat ou les luxueuses manières, de mettre à nue leur flamme pour la jeune dame. Déjà mariée à son prince qui nous fait pitié tellement il échoue partout là où d’autres excellent, ce dernier n’est pas assez vif, ni assez brillant ou galant pour s’élever au-dessus des autres prétendants, dont elle ne refuse jamais les « caresses du regard ». S’en suivent des chicanes, des trahisons et des découvertes autant que des sceaux brisés et des lames se frottant à d’autres. Dans l’obsession du détail historique, Tavernier n’aura rien oublié. Pas même cette humiliante nuit de noces où la famille doit assister à la pénétration pour s’assurer de la virginité de la princesse, pas même les recettes de cuisine, les sueurs et les savons de ces gens d’une autre époque.

Et le cinéaste fait bien. Il fait si bien, en fait, que le budget plutôt modeste du film ne gênera pas les exigeants amateurs de reconstitutions historiques. La minutie est le mot d’ordre ici. Rien ne semble échapper à l’auteur. Tellement que, même si nous sommes normalement peu intéressés par les costumes et les fioritures présentes en arrière-plan, on nous force ici à s’y attarder - il est vrai que la critique a parfois tendance à passer outre les qualités artisanales d’un film, disons donc que le temps est venu de racheter quelques oublis. Si Tavernier a autant de poigne pour nous trainer par le collet et nous dire : « voyez comme ils sont beaux mes costumes, mes comédiens et mon film », passion à laquelle nous ne pourrions qu’acquiescer, c’est surtout grâce à l’écriture des personnages (toute de lui et de ses scénaristes Cosmos et Rousseau). Non seulement le costume est ici nettement attaché à des rangs et des habitudes - la petite boucle d’oreille d’Anjou agace tout juste assez pour nous en dire sur ses manières -, mais on nous en donne aussi, à nous, cancres de l’Histoire de la vieille Europe, le manuel d’instruction. C’est-à-dire qu’à l’inverse du classique attirail de capes et d’épées, Tavernier allonge son film pour nous permettre d’explorer le quotidien des personnages, la manière dont ils vivent dans leurs châteaux, la façon dont un père qui vient de perdre sa femme parle à son tailleur pour lui demander de nouveaux habits, la manière dont le comte de Chabannes, en apprenant l’herboristerie et l’astronomie à la princesse, se charge aussi de l’éducation du spectateur.

Et que dire de la représentation du conflit entre Français et Huguenots que nous présente Tavernier sinon qu’elle rehausse la tragédie d’âmes qui, en plus d’être déchirées par l’amour, le seront tout aussi par les conflits politiques et guerriers. Plaquées contre une trame sonore épique dont les triolets et les cuivres cadencés au pas des chevaux auraient pu être le fruit d’un Morricone en pleine forme, les cavalcades héroïques à travers la campagne française, l’adresse à l’épée d’Henri de Guise, tout comme celles de Chabannes (Lambert Wilson, campant brillamment le personnage le plus intéressant, peut-être, de tout le film) apportent au récit la violence de son temps de barbarie. Celle-ci, Chabannes la combat, lui, plus vieux que tous les autres protagonistes et sage homme dont le calme le rapproche, aux dires de la princesse, du prêtre confesseur plutôt que du maître d’armes instruit. En effet, l’importance de l’oeuvre de Tavernier dans cette saga sans fin du « film de costumes » est de mêler à notre insu des personnages d’un très jeune âge dans la peau de ces nobles. Rarement le genre aura connu des héros aussi adolescents, autant aux prises avec les problèmes, que l’on croyait contemporains, du coeur et de l’amertume. L’avantage d’avoir des personnages immatures, c’est déjà d’avoir des réactions plus explosives et une histoire plus enlevante.

Sorte de Christophe Honoré avec moins de froufrous et plus de dentelle, La princesse de Montpensier a de quoi rendre au genre ses lettres de noblesse. Tavernier, cinéaste des plus polyvalents et fin connaisseur en la matière n’a visiblement pas cessé de renouveler un certain cinéma qu’il affectionne particulièrement. Essayant le polar (L’horloger de St-Paul) aussi bien que le policier (L.627), le film de guerre (Capitaine Conan) et la critique sociale (Les enfants gâtés), le genre de cape et d’épée (La fille de d’Artagnan, et maintenant La princesse de Montpensier), si populaire jadis en France, trouve chez lui le plus grand des conservateurs du musée du cinéma. Car non seulement a-t-il su remettre au goût du jour un sujet qui aurait semblé vétuste au premier venu, mais il parvient aussi à rendre mobile la mise en scène de corps stoïques, retenus par les chemises serrées et les corsets. La caméra se déplace aisément, privilégiant les envolées picturales et lyriques au montage saccadé du cinéma d’action commercial. On préfère toujours, chez Tavernier, celui qui aime plus ses personnages que son sujet, le changement des focales pour révéler du sentiment, des idées qui passent dans le non-dit qui, ici, s’adapte à merveille aux silences obligés d’une bourgeoisie qui préférera s’amuser d’amourettes que de discuter de la politique et des guerres. C’est pour ces raisons d’ailleurs que ce sont le duc d’Anjou et Chabannes qui auront les destins les plus nobles : l’un épousera une régente de Pologne, l’autre mourra au combat en défendant une femme enceinte, se rachetant ainsi du sang d’une mère qu’il avait sur les mains depuis le prologue. À l’opposé, Montpensier errera quand, dans la nouvelle, elle mourrait. Décidé à ne pas en faire un conte moralisateur sur les amours fastidieux et égoïstes, Tavernier préfère la nuance et la poursuite de l’amour, l’incommunicabilité des sentiments les plus charnels dans une société qui décida du destin de ses sujets. Tout compte fait, le grand drame du film n’est pas tant celui d’un amant perdu que d’une époque aussi contraignante, que du système d’une France dont l’auteur a toujours su questionner les absurdités mieux que quiconque, et ce, toujours avec un enthousiasme cinéphile et maîtrisé ne pouvant, au bout du compte, que devenir contagieuse, inspirante.


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Critique publiée le 29 avril 2011.