ÉDITORIAL : À l'ombre de La Métropolitaine
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Almost Human (1974)
Umberto Lenzi

Remettre les ordures à leur place

Par Alexandre Fontaine Rousseau
Le terme « poliziotteschi » fut inventé par la critique italienne au début des années 70 afin de désigner péjorativement certains films inspirés des polars violents, tels que Dirty Harry et Serpico, que produisait l'Amérique à la même époque. Le genre se distingue du giallo, avec lequel il est parfois confondu, en premier lieu parce que ses héros sont des policiers mettant en application une définition personnelle de la justice à l'aide de méthodes musclées. L'enjeu n'est pas de révéler l'identité d'un mystérieux tueur, mais de flinguer sans remord les salopards qui terrorisent le bon peuple; alors, hop, du coup la déontologie est reléguée aux oubliettes le temps d'une fusillade, quitte à ce que les rues de l'Italie contemporaine se transforment un instant en western spaghetti bien sanglant où les Alfa Romeo rutilantes auraient remplacé les chevaux fringants. Violents et réactionnaires, ces purs produits des années de plomb ne sont évidemment pas très recommandables idéologiquement parlant; leur moralisme tranchant n'a d'égal que leur étrange penchant à piger, à gauche comme à droite, des idées politiques qu'ils réduisent subséquemment à leur plus manichéenne expression. Mais, au bout du compte, ce que l'on en retire, c'est que la fin justifie les moyens puisque règne dans les villes la loi de la jungle.

Dans Almost Human, l'impayable Tomas Milian incarne donc, avec le cran débonnaire qu'on lui connaît, un truand de la pire espèce : sadique, drogué, dépourvu d'honneur comme de pitié, nous découvrirons rapidement qu'il est prêt à tout pour une poignée de dollars. Tant et si bien qu'il ne correspond même plus à l'archétype du antihéros, commun par exemple dans l'univers du western spaghetti. Giulio Sacchi est un monstre, littéralement, et Umberto Lenzi construit son film tel un procès visant à prouver la nature inhumaine de son sujet, de manière à ce que, lorsque le personnage du policier coriace (Henry Silva) décide enfin d'outrepasser les limites de la loi, le spectateur soit forcé de considérer que cet acte est légitime. Silva, impitoyable, abat sans hésitation (outre celle, dramatique, qui fait d'un meurtre une scène de cinéma) la hyène galeuse Milian qui, face à la mort, se fait subitement moins ricaneuse. Le corps recroquevillé du malfrat échoue parmi les sacs à ordures, et il ne fait aucun doute lors de cette scène qu'aux yeux de Lenzi celui-ci se trouve enfin à sa place, parmi les siens. La démonstration s'avère d'autant plus discutable qu'elle est impeccable. Car le spectateur, témoin privilégié de l'horreur, sait ce châtiment approprié.

Voilà pourquoi Almost Human est un film parfaitement répréhensible, la cruauté de son raisonnement égalant celle des agissements de son dégénéré protagoniste. La question de l'éthique étant résolue, permettez-moi maintenant d'aborder le film de Lenzi sous un angle strictement cinématographique : Almost Human, en son genre, est un petit triomphe d'efficacité de même qu'un parfait exercice de démesure nihiliste. La scène d'ouverture, une poursuite automobile endiablée, donne le ton à cette furieuse descente aux enfers qui s'arrête à peine le temps de raconter son histoire. Ce qui intéresse ici Lenzi, c'est la folie féroce de Sacchi bien plus que les conventions du poliziotteschi. Voilà pourquoi il donne ce rôle à l'exubérant Milian, dangereusement charismatique dans la peau d'un minable criminel décidant d'assumer jusqu'au bout son absence totale de morale. Se justifiant par quelques tirades creuses sur l'injustice sociale dont il est « l'impuissante » victime, Sacchi est au fond un être sans foi ni loi qui recycle un discours politique de gauche à des fins strictement utilitaires. En ce sens, Lenzi et le scénariste Ernesto Gastaldi ont le mérite de refuser à leur hors-la-loi le statut de martyr, s'abstenant d'en faire une figure romantique malgré le magnétisme naturel de leur interprète; c'est un vulgaire escroc qui, par le crime, cherche à assouvir sa soif de pouvoir. Sa sauvagerie masque ce manque de courage établit d'emblée lors de l'introduction, puis réitéré par la conclusion.

Suite à l'éclatement formel et narratif de Spasmo, cet Almost Human assez linéaire peut, certes, paraître légèrement convenu. Mais, à plusieurs égards, Lenzi y pratique toujours le même art : celui de contrôler les dérapages, de diriger l'imprévisible à l'aide d'une mise en scène toujours alerte. Par le prétendu « réalisme » de sa violence, le cinéaste ne s'engage-t-il pas dans une autre forme de surréalisme esthétique qui est cette fois celle de l'hyperviolence? La fameuse scène du massacre dans le manoir, authentique monument de sadisme exacerbé, explore d'une autre manière le point de rupture évoqué dans Spasmo. Ces corps dévêtus, pendus à un lustre tournoyant à la manière d'une roulette déréglée, deviennent un étrange motif visuel bien plus qu'une « représentation réaliste » de la violence. Car Lenzi traite le réalisme comme s'il s'agissait d'un genre et cherche, puisqu'il s'agit là de sa griffe personnelle, à en repousser les limites. Son réel sordide paraît donc trop sordide pour être vrai, son intensité amplifiée par une trame sonore spectaculaire signée Ennio Morricone. Au-delà de son discours politique, Almost Human n'est donc qu'un film d'action : et un sacré bon, de surcroît, capable de tenir tête sans problème à ce que les États-Unis livraient à l'époque dans un créneau similaire. Pour cette raison, les cinéphiles en mesure de faire la part des choses y prendront sans doute un plaisir (coupable) non négligeable…
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Critique publiée le 2 février 2011.