ÉDITORIAL : À l'ombre de La Métropolitaine
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Marwencol (2010)
Jeff Malmberg

Mark, Wendy, Collen

Par Maxime Monast
Passe-temps ou art? Défoulement ou thérapie? Voilà les questions sur lesquelles se penche ce Marwencol de Jeff Malmberg en posant un regard unique sur un homme incomparable. Il y a quelques années, Mark Hogancamp s’est fait attaquer à la sortie d’un bar. Cinq jeunes hommes décidèrent alors de s’en prendre à lui. Il en sortit complètement défiguré. Il tomba dans un coma durant neuf mois et les médecins estimèrent que les séquelles de cette violence seraient permanentes. Mark ne peut plus se souvenir de sa vie antérieure. Il a oublié complètement qui était ce jeune homme de Kingston, New York. Le film, tranquillement, dévoile sa jeunesse et son passé. Il aurait été un alcoolique, un fléau qui hantait son âme et son comportement. Il semble à présent guéri de sa dépendance : Mark a tout oublié. Mais il a été obligé de réapprendre comment manger, marcher, voire simplement vivre. Un tel apprentissage, combiné avec les conséquences de ces sévices, transforme complètement un homme. Le résultat? Il ne reste que Marwencol, un village composé de modèles réduits et habité par des poupées pris dans l’enfer de la Deuxième Guerre mondiale. Avec ce monde, Mark s’invente une longue histoire sur cette ville où les femmes sont maîtresses. Il choisit de mettre en scène une version idéalisée de sa vie, jouée par des soldats, et peuple cette fiction avec les gens qui l’entourent. Entre des « catfights » organisés et une sorcière maléfique, rien ne semble impossible dans ce petit patelin belge.

Un documentaire est une histoire. L’une des principales raisons de faire un documentaire est d’explorer un thème pour lequel la fiction serait trop formelle pour en être le canevas. On s’en remet à la vidéo pour nous offrir une certaine versatilité au niveau de l’information. On aime mieux tourner des images que l’on n’utilisera pas forcément, mais desquels ressortiront celles qu’il sera important de saisir. Avec un tri judicieux, on en tire parfois une bonne trame narrative. Une histoire complexe et souvent partielle. C’est définitivement le cas de Marwencol. Techniquement faible, surtout au niveau sonore, ce récit vaut néanmoins la peine d’être racontée. Mark possède une histoire incroyable remplie de réussites qui ne peuvent que charmer et des secrets qui se doivent d’être dévoilés. L’un de ces moments se produit lorsque l’on comprend que Mark est un artiste incroyable sans le vouloir. Ce dernier vit dans Marwencol et y élabore des histoires pour ses soldats et ses femmes. Ce monde est sa vie. Mark prend des photos de son village, de ses « acteurs ». Inconsciemment, on se retrouve devant de l’art qui n’est pas de l’art. Le film nous amène à la découverte de Mark et de son introduction au monde artistique. Mais avant d’en arriver là, le fil narratif se concentre suffisamment sur qui et sur quoi est devenu Mark Hogancamp.

Dans le but de garder l’intérêt sur le cas de Mark, l’effort se déploie graduellement. Le sujet est évidemment corsé. C’est pourquoi plusieurs éléments sont omis au début du film. En en apprenant davantage sur Mark, en plongeant dans son monde par strates, les détails sur sa personnalité se définissent comme des objets de curiosité. Normalement, ceci nous permettrait de déchiffrer une énigme ou de résoudre un casse-tête. Au contraire, avec tant d’informations, on ne sait trop quoi faire de l’ensemble. Par exemple, tard dans le récit, on apprend que Mark aime s’habiller en femme. Il adore particulièrement les souliers à talon haut. Certaines certitudes a priori sont débalancées par ce genre de renseignements. Notre perception de Marwencol ou de son créateur ne veut plus rien dire, elle est en constante évolution. Suite à cette révélation, il se demande lui-même pourquoi il avait ce fétichisme. Et c’est dans cette particularité que l’intérêt se propage, car l’inconscient domine dans ses actes naturellement volontaires.

Prises dans cette temporalité, les créatures de ce documentaire tentent de nous allier à la cause de Mark et de son imaginaire. Il est carrément impossible de ne pas être ensorcelé par les histoires de ce village et de ses habitants. Même si une tristesse plane au-dessus de l’histoire de Mark, le but n’est jamais de sombrer dans un quelconque misérabilisme, mais plutôt d’illustrer sa persévérance. Comme Mark doit tout réapprendre, il passe son existence au peigne fin. Il scrute son passé avec un nouveau regard, un troisième oeil. De cette manière, il est capable de changer plusieurs aspects de sa vie. Cette réécriture, l’équivalent d’un montage au cinéma, est bel et bien une façon d’exorciser ses démons. Ce nouveau mode de vie a un lien direct avec les aventures de Marwencol. Il pousse sa thérapie à un degré de frustration pour être ignoble seulement dans sa vie inventée. Le monde réel et celui du village belge partagent des similitudes, mais il y a des événements qui ne se produisent pas dans la réalité. Mark est un bon vivant, un homme équilibré, dans son quotidien. C’est dans la fiction qu’il peut sortir le méchant. Il imite des auteurs, des cinéastes, des musiciens. Ce genre d’attitude se rallie encore à la certitude qu’Hogancamp est véritablement un artiste, un raconteur.

Finalement, c’est lorsque l’on comprend pourquoi le sujet est des plus intéressants que le tout nous fascine encore plus. La beauté et l’originalité de l’histoire résident dans la naïveté et l’incompréhension de Mark Hogancamp. Sa lucidité est frappante, mais on se demande s’il comprend ce qu’il fait. On s’interroge à savoir s’il aurait été capable de créer ces merveilles sans une tragédie aussi ravageuse. Marwencol devient un univers qui se fige dans le temps et dans notre esprit. Un trait nous permettant de discerner certaines similitudes entre le présent effort et le documentaire The Devil and Daniel Johnston de Jeff Feuerzeig. Comme ce musicien incompris, ce défoulement devient naturel et quasiment élémentaire. Se réfugier dans leur monde inventé reste, non seulement un passetemps, mais une raison d’être. Ses oeuvres d’art sont la preuve d’une thérapie réussie, mais aussi les vestiges d’un créateur unique. On n’y perçoit pas une passion pour l’art, mais plutôt une ferveur de vivre.
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Critique publiée le 2 septembre 2010.