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[Rec] 2 (2009)
Jaume Balagueró et Paco Plaza

Le cinéma d'horreur, après le jeu vidéo

Par Alexandre Fontaine Rousseau
Le premier [Rec], sorti de nulle part, en avait étonné plusieurs par sa fougue assez irrésistible. C'est le film d'horreur des dernières années qui a plu à presque tout le monde, établissant un nouveau standard d'efficacité dans le sous-genre du « cinéma d'horreur subjectif ». Sa remarquable compréhension (et l'application impeccable en découlant) des mécanismes cognitifs du spectateur n'avait qu'un seul et unique but : faire sursauter, un maximum de fois. Le film de Jaume Balagueró et Paco Plaza s'en tenait à cela, véritable machine à effets de choc nous forçant à retenir notre souffle pour mieux le couper par la suite. Sa suite, bref, était attendue avec autant d'impatience que d'appréhension. Car ce type d'entreprises a la vilaine habitude de très mal virer, et on ne compte plus le nombre de films du genre qui se sont pétés la gueule en cherchant à devenir des franchises.

Sur ce point, force est d'admettre que ce [Rec] 2 réussit là où plusieurs ont échoué avant lui : tout en mettant en place les pistes narratives nécessaires à un inévitable [Rec] 3, il conserve les éléments qui avaient fait du premier volet un tel succès, c'est-à-dire son rythme implacable et sa brutalité sans pitié. Évidemment, la surprise s'est estompée et l'effort de raconter dilue quelque peu l'impact primaire de son prédécesseur. Mais Balagueró et Plaza trouvent le moyen de transformer la méthode [Rec] en véritable jeu, et c'est à cet égard qu'ils gagnent leur pari. Tout le travail de rétention d'informations sensorielles (perte temporaire de la vision, de l'ouïe), autrefois stratégie, devient ici clin d'oeil assumé. L'alternance entre différentes caméras, l'intégration de la caméra du premier film comme objet du scénario, confirment cette impression que [Rec] 2, sous ses allures de réitération, offre aussi un discours réflexif sur les techniques qu'il emploie pour secouer son auditoire.

À l'instar du second Halloween, [Rec] 2 débute exactement là où [Rec] nous avait laissés. Il en répète le dernier plan, puis se lance dans sa foulée. L'immeuble où se trouvent les « infectés » a été placé en quarantaine et un groupe de soldats, accompagné par un prêtre faisant croire qu'il travaille pour le ministère de la santé, y pénètre afin d'évaluer la situation. Rapidement, nous apprenons que le but de l'opération est de récupérer une fiole contenant le sang de Niña Medeiros - source de la contamination, celui-ci pourrait détenir le secret d'un potentiel antidote. Évidemment, les choses ne se déroulent pas comme prévu et bien vite tout le monde court dans toutes les directions afin de fuir les monstres qui ont pris le contrôle de l'édifice. À quoi vous attendiez-vous?

Que le synopsis soit assez simple n'est pas pour nous déplaire. Le premier [Rec] tirait sa force de cette économie qui était, paradoxalement, à l'origine de ses limites - la peur n'y dépassait jamais sa dimension immédiate, reposant toujours sur l'impact direct plutôt que sur une quelconque persistance de l'impression. Cette approche très matérielle à l'horreur étant établie comme ligne directrice de la série, ce serait commettre un faux pas que d'aller dans une autre direction. [Rec] 2 cherche donc à nous refaire le coup de la montagne russe, de la montée d'adrénaline pure; même les scènes servant à exposer l'histoire carburent à la tension, la menace d'une irruption violente planant même sur les moments d'accalmie. Les pauses ne sont des pauses que dans la mesure où rien ne s'y concrétise. La latence des coups d'éclat est la seule ligne directrice, crainte prenante amplifiée par l'effet de subjectivité qui « enferme » en tout temps le spectateur dans une perception donnée, extrêmement limitée.

Plus que jamais, l'expérience visuelle s'apparente par conséquent à celle d'un jeu vidéo où le joueur devenu simple spectateur a perdu tout contrôle sur le déroulement des événements. Voilà qui explique, peut-être, l'impression de panique s'emparant de celui-ci. La perspective subjective, les corridors étroits et les ennemis apparaissant subitement respectent les conventions du first-person shooter autant sinon plus que celles du cinéma d'horreur traditionnel. Cette forme contribue à l'intégration et à l'aliénation simultanées du spectateur, par un seul et même indice de familiarité formelle : intégration par l'emploi de références à un médium interactif, aliénation par le processus de dépossession qui s'y opère en comparaison aux origines de la citation. Lors d'un moment clé du film, les personnages ne peuvent voir ce qu'ils cherchent que par l'entremise d'une caméra à vision infrarouge; occasion de jeu, alternance entre l'aveuglement et la perception. Diffusion de l'information. Tout le pouvoir du film repose sur cette alternance entre la rétention et la révélation.

Il importe peu que les personnages de cette expérience soit ou non développés, attachants, mémorables. Ils ont toujours été, au fond, des pions. L'enjeu principal de [Rec] 2 est l'emprise sur le spectateur et l'objectif final la réaction nerveuse pure par l'entremise de la manipulation sensorielle et mnémonique. Les cinéastes s'amusent donc à nous priver temporairement de l'image ou du son, osant des coupes au noir d'une durée extrême et des plans où l'action nous échappe, n'arrive à nous que par bribes. À cet égard, Balagueró et Plaza font preuve d'énormément d'audace : ils font appel à nos souvenirs du premier film pour alimenter la tension, nous forcent de longs moments à demeurer dans le silence ou dans l'obscurité, assument visuellement la confusion des situations qu'ils mettent en scène. Leur petit jeu frôle les limites de l'arrogance. Mais puisque la machine marche encore, et très bien de surcroît, on ne peut qu'être impressionné par leur culot. Certes, cette suite n'est pas aussi saisissante que le [Rec] original. Mais elle renouvelle la proposition esthétique de façon assez amusante pour satisfaire les attentes et justifier son existence.
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Critique publiée le 22 juillet 2010.