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M3GAN (2022)
Gerard Johnstone

L'artifice Triomphant

Par Olivier Thibodeau

Malgré l’esprit verhoevenien de cette œuvre sympathique, la satire et les scènes d’action qu’elle contient ne sont jamais aussi amusantes que dans RoboCop (1987), ce délire de science-fiction sacro-saint qui lui sert d’inspiration… par-delà bien sûr les sagas de poupées tueuses à la Child’s Play (Tom Holland, 1988). Or, c’est peut-être moins par manque de talent que par manque d’audace qu’il en est ainsi, alors que le savoureux scénario d’Akela Cooper (scénariste du ridiculement divertissant Malignant [James Wan, 2021]) évoque une version du cinéma des années 1980 à l’épreuve des enfants. Non seulement la satire anti-corporative manque-t-elle de mordant et la critique du désintérêt parental dans l’éducation de leur progéniture se résout-elle trop commodément, mais la production est elle-même très propre, très lisse, voire pudique (malgré une scène de violence à l’égard d’un enfant à problèmes qui ressemble presque à un règlement de comptes). Le résultat fait ainsi penser à un produit manufacturé, un objet sérialisable, un peu à l’instar de M3GAN elle-même, cette gynoïde ultra sophistiquée qui constitue ici le cœur de l’œuvre, à la fois son point focal, son centre d’intérêt et le noyau de l’investissement financier de la Blumhouse ; cette antagoniste minuscule éclipse même de sa présence impérieuse celle de la jeune Violet McGraw, qui livre une performance honnête au sein d’une distribution inégale.

Comme dans RoboCop, le film commence par une pub, une vraie fausse pub pour un produit à peine caricatural, les Perpetual Pets, sortes de Furbys scatologiques avec lesquels les enfants interagissent via leur tablette. C’est cet objet qui sert de ciment initial entre le récit de la petite Cady (McGraw), une amatrice du jouet dont les parents meurent dans un accident automobile durant la première scène, et sa tante Gemma (Allison Williams), conceptrice des Perpetual Pets pour le compte d’une grosse compagnie nommée Funki. Acceptant par principe la garde de l’enfant après la mort de sa sœur, Gemma est une carriériste célibataire qui ne possède ni l’envie ni les capacités de l’élever. Flairant l’occasion simultanée de se désister de ses responsabilités parentales et d’utiliser sa nièce comme cobaye pour l’aider à vendre sa plus récente création, elle sollicite le concours de M3GAN, une gynoïde de pointe destinée à servir de compagne de jeu, mais aussi de protectrice et de figure d’autorité aux enfants qui lui servent d’utilisateurs. Vendue comme un jouet, il s’agit donc en fait d’un parent de rechange, et derrière la critique plus large de l’avarice corporative que déploie le film se dessine ainsi un message opportun sur le désinvestissement des parents à l’ère numérique.

Malheureusement, la puissance allégorique du récit s’évanouit bientôt au profit d’une histoire de meurtres en série qui tient de la peinture à numéros. En effet, l’instabilité grandissante du robot, son dévouement fanatique à sa fonction protectrice, en fait une figure de moins en moins nuancée, un objet de réconciliation par défaut pour Cady et Gemma selon une logique manichéenne qui place toute la distribution du côté des gentils en opposition à la méchanceté de plus en plus indiscutable d’une anti-héroïne qui s’apparente aux créatures surnaturelles des films d’horreur d’antan. Il ne reste plus alors qu’à célébrer l’œuvre comme une itération exemplaire d’un certain cinéma des attractions, où plutôt que de miser sur l’humanité des protagonistes, les auteurs misent sur l’inhumanité des antagonistes pour provoquer l’affect.

Comme dans la plupart des films d’horreur commerciaux de cet acabit, la carence d’humain provoque une mise en valeur systématique d’un non-humain qui s’avère plus attrayant par design. Ceci est provoqué ici par le caractère inégal des performances, incluant celle de l’humoriste Ronny Cheng qui, dans le rôle du PDG de Funki, hésite constamment entre solennité et cabotinage, mais surtout celle de Williams, dont on ne sait jamais vraiment si elle est sympathique ou antipathique. Froide manipulatrice, insensible à la mort de sa sœur ou la douleur de sa nièce, son personnage est à la fois le symbole du parent démissionnaire (celui qui brillait par son absence dans le cinéma des années 1980), mais aussi le point d’ancrage du public dans le récit puisque ce sont ses démêlés professionnels qui en constituent la trame principale. C’est donc aussi un écueil narratologique dont pâtit le film puisque si l’identification à Gemma est problématique, l’identification à Cady est diffuse. Dans les faits, il ne s’agit donc ni vraiment du récit de Gemma, qui s’apparente à un contre-exemple comportemental, ni celui de Cady, dont on n’adopte jamais vraiment la subjectivité, de sorte que l’intérêt du public glisse naturellement vers M3GAN, dont l’origine, et même la psychologie sont beaucoup plus intéressantes que celles de ses contreparties humaines.

M3GAN est une créature fantastique, et c’est très bien comme ça, puisqu’il s’agit à la fois de la tête d’affiche du film, de son principal argument de vente, et du faîte du savoir-faire technique déployé à l’écran. Constituée d’un mélange de techniques anciennes et nouvelles, il s’agit à la base d’une poupée animatronique conçue par Adrien Morot et Kathy Tse, mue à l’aide de différentes méthodes, incluant le marionnettisme, le téléguidage et la synchronisation labiale automatique pour les dialogues. Pour les mouvements plus complexes, incluant la chorégraphie pré-massacre immortalisée dans la bande-annonce, c’est la jeune danseuse Amie Donald qui a pris la relève, portant lors du tournage un masque de silicone recouvert ensuite d’effets de synthèse en post-production. Le résultat est une créature très incarnée, aux mouvements particulièrement fluides. Mais c’est surtout son étrange personnalité qui est garante de sa présence, à mi-chemin entre l’empathie désintéressée d’une sainte et l’ironie grinçante d’une adolescente rebelle qui serait un peu trop brillante pour son propre bien. C’est un personnage à la fois touchant de compassion (la scène où elle enregistre les souvenirs de Cady et lui chante une chanson pour dissiper la tristesse de son deuil m’a presque arraché une larme), mais c’est surtout une interlocutrice dégourdie et un contrepoids philosophique précieux au génie insouciant de Gemma. Du moins jusqu’à sa déconfiture annoncée, où elle cesse d’être une interlocutrice raisonnable pour devenir une simple mise en garde symbolique contre l’usage insensé d’une technologie qu’on ne maîtrise pas, et qui vise à remplacer chez l’humain ses fonctions les plus humaines. Il s’agit d’ailleurs là d’une morale éloquemment paradoxale pour un film qui mise tout sur une vedette artificielle et qui schématise sciemment ses personnages de chair pour lui donner l’avant-scène…  

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Critique publiée le 18 janvier 2023.