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Venom (2018)
Ruben Fleischer

En l’absence de Spider-Man

Par Simon Laperrière

Ils sont Venom. Le premier se nomme Eddie Brock. Journaliste autrefois estimé, il a tout perdu suite à la publication d’un article mensonger. L’autre provient d’une lointaine planète et nécessite un hôte pour garantir sa survie. En échange, elle dote ce dernier d’une force surhumaine et d’un métabolisme tout aussi puissant. Liés par une haine mutuelle envers Spider-Man, Brock et la symbiote forment un adversaire de taille pour le super-héros verbomoteur.

Rien ou presque de tout cela ne figure dans Venom (2018), la seconde apparition du célèbre antagoniste au cinéma. Pour des questions de droits difficiles à résumer en quelques lignes, ses producteurs ont pris le risque d’éliminer tout lien direct avec Peter Parker. Seul le fan le plus attentif reconnaîtra quelques clins d’œil discrets qui, au final, n’apportent rien à ce générique récit d’origine. Ce qui aurait pu être une réinterprétation stimulante apparaît plutôt comme le fruit de maints compromis. Un résultat dénué d’audace qui confirme la difficulté que le personnage a toujours représenté pour les artistes de Marvel Comics.

Problématique, Venom l’a été dès son apparition vers la fin des années 80. Victime d’un succès disproportionné, il s’est rapidement imposé comme le plus grand ennemi de Spider-Man, au point d’éclipser les « Sinister Six » qui le précédaient. Ses apparitions se sont succédées à un rythme effréné, et ce, malgré les plaintes de certains lecteurs qui souhaitaient sa disparition. Non content d’être cantonné à la série Spider-Man, Venom a par la suite affronté d’autres justiciers comme Daredevil, Wolverine et même Hulk. Il a également suivi l’homme-araignée dans l’ensemble de ses détours vers d’autres médias. Sa présence était alors obligatoire dans les séries animées et les jeux vidéo donnant la vedette à Peter Parker.

Sa popularité lui a éventuellement permis d’obtenir une série à son nom. Avec un peu de recul, il est possible d’envisager cette nouvelle étape comme un début de la fin. Par souci de renouvellement, les auteurs ont cru bon de modifier les motivations de Venom. De créature assoiffée de vengeance, il est devenu un « protecteur des innocents » qui, tel le Punisher, continuait néanmoins de faire usage de la violence. Les scénaristes ont ensuite tenté maladroitement de lui accorder une autonomie par rapport à Spider-Man. Ses aventures ont cessé de culminer vers une confrontation avec son ennemi de toujours. Ce changement abrupt a grandement heurté l’essence même du personnage. L’attrait de Venom, outre son apparence monstrueuse, découle de son envie maladive d’éliminer Parker pour de bon. Le priver de cette obsession a pour effet de le réduire à un simple anti-héros parmi tant d’autres. D’où l’inévitable disparition d’Eddie Brock des pages de Marvel Comics au cours des années 2000 (la symbiote, quant à elle, a trouvé de nouveaux hôtes, mais là n’est pas la question).

La majorité des vilains de bandes dessinées doivent leur raison d’être à un rapport fusionnel avec un opposant. Le Joker l’atteste en hurlant « Tu me complètes ! » à Batman dans The Dark Knight (2008) de Christopher Nolan. Retirer cette dynamique intrinsèque les essouffle et mène généralement à des échecs cuisants. Le cas de Venom évoqué plus haut en est la preuve. Compte tenu de l’importance de sa dualité avec Spider-Man, il est sidérant de constater que le film de Ruben Fleischer répète une erreur bête qui aurait pu aisément être évitée.

À défaut de se répéter, rappelons qu’il est futile de porter le blâme sur l’équipe derrière Venom. Metteur en scène et scénaristes avaient visiblement les mains liées et ont tenté de se débrouiller avec ce qu’ils avaient la permission de montrer. Le résultat s’avère identique aux récents Solo: A Star Wars Story (2018) et Jurassic World: Fallen Kingdom (2018) : un blockbuster sans réelle personnalité produit dans l’espoir de lancer une nouvelle franchise. En plus de nier ses origines littéraires, ce Venom tente pathétiquement de plaire à une majorité de spectateurs et, par le fait même, ignore à quel type de public il s’adresse.

Le problème avec ce long métrage usiné est justement d’ordre identitaire. Il ne sait pas où il se situe dans le canon de Marvel. Il ne sait pas comment aborder son récit et alterne de façon franchement irritante entre le drame et la comédie. Il ne sait pas non plus comment explorer la psychologie de ses personnages unidimensionnels. Pour s’y faire, il se limite à lancer des dialogues explicatifs à la va-vite, qu’il ne cherche pas à explorer davantage. Sur ce point, les échanges entre Eddie Brock et la symbiote s’avèrent particulièrement risibles. Les informations que cette dernière donne sur ses origines intersidérales ne génèrent nullement l’impression d’une quelconque mythologie tellement elles s’avèrent minimes.

À la place, Venom s’entête à suivre les déboires d’un Brock interprété par un Tom Hardy cabotin. Sa performance racoleuse laisse d’ailleurs présager qu’il sait exactement dans quelle galère il s’est embarqué. Lui qui nous a habitués à un jeu nuancé, il ne déploie ici que très peu d’efforts. On ne peut honnêtement pas lui en vouloir.

Avec seulement deux scènes d’action d’une embarrassante monotonie, le film échoue lamentablement à maintenir le moindre intérêt. Difficile de ne pas le considérer comme l’ultime épisode d’une série morte à l’arrivée qui entraînera le bannissement de Venom des salles de cinéma. Pour ses fans, la déception s’avère immense. Eux savent que le personnage méritait mieux. Il méritait Spider-Man.

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Critique publiée le 24 octobre 2018.