ÉDITORIAL : À l'ombre de La Métropolitaine
L’équipe Infolettre   |

2019 : After the Fall of New York (1983)
Sergio Martino

Le triomphe du polystyrène

Par Olivier Thibodeau
2019 n'est pas un grand film, mais il n'a pas non plus la prétention des grands. Son canevas narratif est d'une banalité exemplaire, et il s'en moque éperdument, préférant l'utiliser comme prétexte à de nombreuses trouvailles visuelles garantes de sa nature jouissive. En fait, c'est précisément la familiarité du récit qui nous rend ce nanar si agréable, puisqu’elle nous convie  ainsi à la simple appréciation du spectacle énergique déployé sous nos yeux. De la même façon, la pauvreté des dialogues nous aide ici à apprécier la plasticité de l'ensemble, détournant constamment notre regard du visage flegmatique des personnages vers leurs costumes excentriques et leur univers coloré, vecteurs d'une créativité exacerbée qui se révèle vite comme le véritable noyau de l'oeuvre. L'expérience du spectateur s'apparente ainsi à un fantasme enfantin, source constante d'un émerveillement naif qui nous rappelle sans cesse le pouvoir magique du cinéma à concrétiser nos fantasmes les plus chers.

La qualité épique du récit cache ici bien mal sa pauvreté dramatique, si bien qu'il est dur de se préoccuper du sort de son héros solitaire, catapulté dans un Manhattan post-apocalyptique, fief d'une bande d'Eurasiens cruels, afin d'y retrouver la dernière femme fertile au monde. Le fait que ce héros soit un clone édulcoré de Snake Plissken n'aide pas non plus sa cause, puisqu'il ne fait qu'exacerber la nature dérivée de  l'ensemble, laissant en outre présager la  familiarité des sentiers qui nous mèneront jusqu'à sa conclusion et des péripéties éculées parsemées en travers. Heureusement pour le spectateur, les créateurs du film se sont efforcés d'illustrer chacune de ces péripéties avec un très grand soin, redoublant sans cesse d'inventivité afin d'en appuyer le caractère spectaculaire, et d'étirer la sauce au maximum. Malgré les ressources limitées à leur disposition, ils nous convient ainsi à une magnifique balade muséale, parade ininterrompue de grands tableaux méticuleusement brossés dont le trait grossier ne cesse de nous éblouir, dépeignant avec la même aisance les chocs automobiles dantesques et les furieuses rixes au pistolet laser qui accaparent l'écran.

Preuve de la nature essentiellement spectaculaire de l'art cinématographique, on assiste ici au déploiement majestueux d'un imaginaire triomphant capable de transcender les restrictions techniques et budgétaires de l'ouvre. Il ne subsiste ainsi aucune idée, aussi ambitieuse soit-elle, qui ne se trouve pleinement concrétisée par Sergio Martino (L'étrange vice de madame Wardh) et sa bande de guérilleros cinématographiques. Usant d'un vaste arsenal de techniques artisanales (modèles réduits,  maquillages au latex, costumes excentriques, effets visuels grossiers, véhicules modifiés, effets sonores incongrus, décors industriels surchargés...) et d'une mise en scène éclectique, ils parviennent habilement à représenter chacune des composantes de l'univers dystopique décrit par le scénario. Pour peu qu'il soit capable de se prêter au jeu, le spectateur parvient donc aisément à s'immiscer dans la diégèse, à l'ombre des gratte-ciel new-yorkais atomisés et des dunes névadaises striées d'ornières, ravivant avec plaisir la nostalgie d'une jeunesse où la simple évocation d'un récit d'aventure futuriste suffisait à lui donner vie. C'est d'ailleurs ce sentiment de nostalgie que le film s'efforce de cultiver avant tout, nous rappelant pour ce faire l'histoire entière du cinéma bis, incluant le cinéma populaire italien des années 60, ainsi que les films de série B et les serials de l'âge d'or hollywoodien.

À l'instar de la pauvreté des dialogues, et du caractère familier de la prémisse, le rythme effréné de l'action est tel qu'il ne nous le laisse pas le temps d'observer le film dans une perspective analytique, accentuant plutôt sans cesse son caractère divertissant. À ce titre, la succession ininterrompue de scènes d'action musclées qui en constitue le noyau nourrit constamment notre sentiment d'émerveillement, nous faisant passer sans effort d'un derby de démolition désertique à un aqueduc new-yorkais assiégé, en passant par un cimetière d'autobus interlope et une communauté souterraine peuplée de nains irradiés. Les performances athlétiques des acteurs, qui s'évertuent à effectuer des roulades maladroites et à lancer de lourdes droites à leurs adversaires costumés, nous aident également à partager l'enthousiasme débordant des cinéastes. La piètre qualité des chorégraphies d'arts martiaux ne nous embarrasse donc pas plus que celle des éléments dramatiques du récit puisqu'elle devient prétexte à une surenchère d'énergie maniaque contagieuse qui compense largement pour les quelques lacunes scénaristiques de l'œuvre.

Bien qu'il s'abandonne trop facilement au jeu de la référence, accouchant du coup d'une toile narrative cousue de fils blancs usés, le film parvient sporadiquement à en faire un usage savant, se permettant alors de flirter avec les hautes sphères de la connaissance. Empruntant sans gêne la prémisse, ainsi que le héros d'Escape from New York (1981), le scénario pousse le plagiat à l'extrême en incluant non seulement une panoplie des thèmes classiques de la science-fiction, mais aussi en calquant certains de ses plus illustres représentants. On assiste ainsi à un substitut de guerre froide entre un bloc occidental vertueux (la Nouvelle Confédération) et un bloc oriental retors (les Euraks) à l'ombre des champignons atomiques, occasion pour les auteurs de ressasser presque tous les thèmes clés du genre (montée du totalitarisme, fin du règne de droit, plaies radioactives, expériences cybernétiques, infertilité rampante, voyages interstellaires à la recherche de nouveaux horizons...). Pire encore, le design artisanal des bolides rappelle ici fortement le fétichisme automobile de Road Warrior (1981), tandis que les simiens dégénérés que rencontre le héros en fin de parcours semblent tout droit sortis de Planet of the Apes (1968). Heureusement, le film regorge également d'amusantes références à la littérature (le héros nommé Parsifal), à la peinture (la réplique de Guernica peinte dans le bureau du commandant eurak), et au théâtre (confrontation entre le héros et un étrange arlequin sur les planches d'un théâtre abandonné), laissant transparaitre un miraculeux rayon de génie au travers de cet humble divertissement populaire.

Quoi qu'on en dise, cette amusante co-production franco-italienne accomplit admirablement bien sa mission, soit celle de nous river à l'écran pour un quatre-vingt-dix minutes plein de péripéties haletantes et de personnages loufoques, ersatz survitaminés d'archétypes et de lieux communs trop nombreux pour les compter. Et malgré son aspect fauché, il serait injuste de dénigrer l'ambition de ses créateurs, dont les efforts acharnés sont visibles dans chaque scène, et dont le désir brulant de divertir se manifeste à chaque seconde. Oublié de l'histoire, écrasé dans le sillon de toutes les productions italiennes du même acabit, 2019 mérite certainement qu'on le redécouvre, ne serait-ce que pour l'énergie débordante et le dévouement entier au cinéma de genre qu'il exsude si majestueusement.
6
Envoyer par courriel  envoyer par courriel  imprimer cette critique  imprimer 
Critique publiée le 7 septembre 2015.
 
liens internes

Panorama-cinéma Volume 3. Numéro 2.

DISPONIBLE À LA