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Kite (2014)
Ralph Ziman

Ass-Kicked

Par Mathieu Li-Goyette
Une jeune femme en jupe courte, affublée d’une perruque de cheveux roses, est amenée de force dans un ascenseur. Le garde qui la maintient lui serre le bras. Une vieille dame est là, ne fait mine de rien. Le couloir du bloc est neuf, mais sale ; les murs suintent et la lumière éblouit l’objectif. La femme, avec un tour de main rapide, extrait de son sac une arme à balles explosives et fait éclater la tête de son adversaire. La témoin, terrorisée, prie pour ne pas être la suivante. La jeune Sawa l’épargne. Son humanité n’ira jamais plus loin.

Une autre journée, une autre mission pour Sawa qui revient chaque fois à son appartement rencontrer son grand chef, Karl (Samuel L. Jackson) qui la dope pour qu’elle s’endorme et oublie. Une autre journée, une autre mission pour Sawa qui revient cette fois avec une perruque bleue. Un autre assassinat. Un autre décor. Une autre poursuite dans un assemblage de ruelles anonymes. C’est la routine de Kite qui donne aussi au film sa meilleure (et sa seule?) idée, celle du cerf-volant : Karl la laisse s’envoler, la laisse planer dans le vent, voguer dans les turbulences, puis enroule sa ficelle à nouveau autour de sa mystérieuse seringue amnésiante.

Kite suit une structure épisodique en missions. Chaque fin de quart de travail se termine par un nettoyage de la mémoire de Sawa, elle qui ne garde qu’un souvenir très flou de la mort de ses parents et de sa rencontre avec son employeur actuel. Ce dernier, détective en charge d’enquêter sur un réseau de trafiquants de jeunes filles, manipule cette arme secrète en l’alimentant en flingues et en drogues qui sapent sa sensibilité, lui permettant, selon ses dires, d’être une machine à massacre terrorisant la pègre d’une Afrique du Sud « post-crise financière ». Autour d’eux, une galerie de personnages plus ou moins gris, dont un jeune allié sans personnalité, qui prétend en savoir davantage sur le passé de Sawa.

Les défauts les plus impardonnables de Kite se résument à son style erratique et sans personnalité, hérité du vidéo clip, qui tente de rehausser le jeu de la jeune India Eisley (pâle copie de Chloë Grace-Moretz sans une fraction de son arrogance) ou encore les pitoyables décors de ce monde dystopique. Ainsi les jump cuts viennent effacer avec la grâce du bûcheron les déplacements de caméra analphabètes et les chorégraphies qui semblent, au mieux, improvisées. Quand le cinéaste Ralph Ziman ne coupe pas le flux de l’action avec un montage rempli d’inepties (on pense aux accélérés subits, trop peu travaillés), quand sa caméra se contente d’être là, sans trop bouger pour filmer, c’est la direction photographique qui pique les yeux, enfarinée par un éclairage surexposé et une brume d’appoint pour dissimuler la petitesse du budget. Et même quand on ferme les yeux, c’est la musique « cyberpunk » (insistons sur les guillemets) qui nous bombarde pour couvrir le pauvre travail de montage son et de bruitages qui peinent, si ce n’est pour ces balles explosives, à nous faire croire à ce futur rouillé et délabré. Le passe-passe technique de Kite est maladroit comme un film de fan du Kite original (deux moyens-métrages en anime de Yasuomi Umetsu, plutôt bons et surtout très dynamiques), collé maladroitement à une toile d’influences trop ambitieuses (La Femme Nikita, Léon : The Professional, Drive, Kick-Ass, The Raid) pour les aptitudes de Ziman.

Sachant que David R. Ellis (Snakes on a Plane) était le réalisateur attaché au projet avec qu’il ne décède en préproduction dans son hôtel de Johannesburg, on ne peut s’empêcher d’imaginer le style plus brut, plus série B, qu’aurait volontairement embrassé le défunt cinéaste. Car ici, peu ou prou de poésie explosive à trouver dans cette autre histoire de jeune fille dangereuse alors que les éléments plus typiquement sud-africains font grincer des dents. Pourquoi la majorité des antagonistes sont-ils Noirs ? Pourquoi tous les héros sont-ils Blancs ? Le piège séculaire du stéréotypage racialisant guette de près, de trop près, une œuvre qui peine en plus à étonner et à retenir l’attention.

Alors que sa structure répétitive ne sait nous enseigner des leçons aussi captivantes que celles de Edge of Tomorrow, la dynamique de Ziman est ultimement coincée par un scénario qui semble travailler ardemment à amenuiser toute forme de surprise. Un combat en intérieur précède une scène de poursuite en extérieur, les deux s’alternant jusqu’à la ce que Sawa atteigne sa cible finale dans un dernier acte lourd en rebondissements prévisibles. Et tout ce gâchis est dommage, particulièrement lorsqu’on porte attention au travail de Ziman au cinéma (The Zookeeper) et en photographie (l’exposition Ghosts, où posent des hommes armés de mitraillettes enroulées de perles colorées). La dépendance aux armes à feu qui traverse son œuvre fait ici place à une dépendance à une drogue hallucinogène qui n’a que trop peu d’incidences sur cet univers. Tellement qu'en extrayant du quotidien sud-africain certaines de ses rages les plus violentes et en les isolant dans un monde de simulacres médiocres, Ziman leur enlève la lourdeur et le sens qu’elles avaient, les banalisant dans un espace anodin, alourdi d’inculture précoce et d’inconséquence.
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Critique publiée le 26 juillet 2014.