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Laylou (2012)
Philippe Lesage

Feux de camp, feu de paille

Par Jean-François Vandeuren
Il est toujours intrigant de voir deux efforts similaires sur le plan de la forme et/ou du fond voir le jour à l’intérieur d’un court laps de temps. Un phénomène s’avérant d’autant plus particulier lorsqu’il se manifeste dans un marché aussi restreint que celui du cinéma québécois. Il y a trois mois à peine, Rafaël Ouellet revenait à la charge après la consécration de son Camion avec Finissant(e)s, essai dont il nous avait présenté les premières images aussi tôt que lors de l’édition 2010 des Rendez-vous du Cinéma Québécois, laquelle obéit d’ailleurs davantage à la logique narrative plus vaporeuse des premiers essais du réalisateur qu’à celle beaucoup plus calculé de son opus de 2012. Finissant(e)s nous invitait à vivre le dernier été d’un groupe d’adolescents originaires d’une région éloignée de la belle province, de la graduation jusqu’à l’automne qui devait les rapprocher un peu plus de l’âge adulte. La prémisse du présent documentaire de Philippe Lesage est en soi identique à celle du cinquième long métrage de Ouellet, si ce n’est que du lieu investi et des jeunes gens dont il dresse le portrait. Les deux projets se déploient d’autant plus à travers une mise en scène lente et contemplative, celle de Ouellet osant mêler fiction et réalité afin de renforcer son scénario sur le plan dramatique, celle de Lesage s’imposant comme une oeuvre de pure observation. Mais si Ouellet s’acharnait à tasser du revers de la main toutes les épreuves qu’il intégrait à son récit d’une manière aussi peu constructive qu’elle finissait par devenir des plus frustrantes, la proposition de Lesage semble pour sa part tout bonnement incapable d’offrir quoi que ce soit qui soit matière à réflexion.

À l’instar de Finissant(e)s, Laylou amorce lui aussi sa course sur des images de la graduation et du bal des finissants du groupe d’adolescents qu’il accompagnera par la suite tout au long de la saison estivale. Du lot, nous suivons plus particulièrement les frasques de Laurence, dite Lou, et Laurence, dite Laylou, au coeur de leur petite localité située loin des grands centres. À travers des situations on ne peut plus communes, voire banales, Philippe Lesage tente de prendre le pouls de ces adultes en devenir à l’aube de la prochaine grande étape de leur cheminement. Le cinéaste accompagne ses deux sujets et leurs compères tandis qu’ils exercent leur emploi d’été, profitent du beau temps, jouent au soccer, flânent à une fête foraine et se rassemblent le soir venu autour d’un feu de camp tout ce qu’il y a de plus convivial. La démarche narrative - ou plutôt l’absence de - du réalisateur de Ce coeur qui bat paraît dès lors beaucoup trop rudimentaire, voire vide de sens, celle-ci ne se nourrissant que d’extraits de différents événements et de dialogues n’ayant souvent aucune résonance particulière ni utilité cinématographique, si ce n’est que de témoigner du naturel et de la spontanéité caractérisant bien l’ensemble du début à la fin. L’exercice semble du coup tourner en rond et à vide, surtout que son maître d’oeuvre ne marquera le passage du temps que par répétition et énumération. Cette suite de séquences aurait ainsi été assemblée dans un ordre totalement différent que le résultat aurait été essentiellement le même. Chaque scène se révèle alors autosuffisante, n’étant guère indispensable d’un point de vue narratif et ne servant jamais de tremplin pour un quelconque élan autrement plus significatif sur le plan dramatique.

Une telle démarche se définit évidemment par ses propres rouages. Tel un vidéaste du National Geographic, Philippe Lesage ne cherche aucunement ici à altérer ou à influencer la dynamique régissant le mode de vie de ses sujets ainsi que leur habitat naturel. La mise en scène du Québécois finit du coup par se confondre avec celle d’un documentaire animalier, le réalisateur suivant à la trace les membres d’une certaine « espèce » sur lesquels il aura décidé de braquer sa caméra afin d’en rapporter - sans toutefois les étudier - les habitudes, les rituels et les rapports interpersonnels. L’approche du cinéaste ne consiste ainsi qu’à positionner sa caméra tour à tour à un endroit susceptible de renforcer l’esthétique de son effort et à une distance nettement plus personnelle des individus parmi lesquels elle tente de s’immiscer. La caméra demeure le plus souvent immobile, ou n’esquisse que des mouvements très discrets, formant des séquences que Lesage se permet d’étirer pendant de longs instants en ne faisant qu’une utilisation pratique du montage, qui n’a généralement pour fonction ici que de nous transporter d’une situation ou d’un endroit à un autre. Laylou laisse tout de même paraître sa part de qualités visuelles, ce qui manquait parfois cruellement au film d’un Rafaël Ouellet qui n’aura jamais semblé aussi peu en contrôle de ses moyens. Le présent documentaire bénéfice ainsi d’une facture esthétique plus relevée, tirant profit d’éclairages naturels parfois somptueux, pour un rendu, certes, très photographique, mais laissant bien paraître tout le soin que Lesage peut accorder à l’image. Malheureusement, si celle-ci se révèle suffisamment réfléchie sur le plan de la forme, elle n’alimente concrètement aucun discours, aucune intention formelle.

L’opportunité qu’offrent des projets cinématographiques comme Laylou et Finissant(e)s, c’est évidemment de pouvoir proposer un portrait plus réaliste d’une certaine jeunesse que les arts et les médias ont parfois tendance à dénaturer à des fins spectaculaires. Les motivations derrière le film de Philippe Lesage demeurent louables à cet égard. Pour le reste, Laylou semble trop souvent passer à côté de son sujet, et ce, même si la totalité de ses images lui sont consacrées. Aucun constat, aucune conclusion - si ce n’est que les jeunes de la région adorent visiblement faire des feux de camp - ne peut être tiré au final puisqu’aucune thématique n’est véritablement abordée à travers cette mise en situation pourtant des plus substantielles. Ainsi, au bout de ces quelques quatre-vingt minutes paraissant parfois beaucoup plus longues, nous n’aurons pratiquement rien appris sur les jeunes gens qui nous auront été présentés. En ce sens, un exercice comme l’excellent À l’ouest de Pluton d’Henry Bernadet et Myriam Verreault était parvenu aux résultats que visaient - ou auraient dû viser - Lesage et Ouellet avec leur effort respectif, car il plaçait justement ses personnages dans une position leur permettant de s’exprimer aussi bien collectivement qu’individuellement. Le problème dans ce cas-ci, c’est qu’aucun dialogue ne semble prendre forme entre le cinéaste et les adolescents ayant accepté de se prêter à l’exercice, chaque partie ne se contentant que de faire ce qu’il a à faire d’un côté ou de l’autre de la caméra. Laylou ne peut du coup s’imposer que comme un album vidéo que les participants prendront certainement plaisir à revisiter dans quelques années durant une chaude soirée d’été pour se remémorer de beaux souvenirs de jeunesse. Mais pour le commun des spectateurs, l’initiative s’avère plutôt vaine.
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Critique publiée le 11 mai 2013.
 
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Panorama-cinéma - Numéro Dix

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