ÉDITORIAL : À l'ombre de La Métropolitaine
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Ti-mine, Bernie pis la gang... (1977)
Marcel Carrière

Sans foi ni loi

Par Jean-François Vandeuren
De par le simple titre de son long métrage, Marcel Carrière nous laisse déjà entrevoir la dynamique régissant les relations qu’entretiennent ses différents personnages les uns avec les autres. Dynamique qui s’installera lorsque Ti-mine (Marcel Sabourin) décidera subitement d’abandonner sa vocation religieuse pour aller s’installer dans le petit appartement où vivent son frère Bernard (Jean Lapointe) et sa petite famille. Le cinéaste mettra dès lors l’emphase sur les actions posées par les deux frangins pour tenter d’améliorer leur situation, gestes qui, normalement, auraient dû également servir la cause de « la gang » dans son entièreté, et non seulement que les deux principaux intéressés. Ti-mine (l’homme coincé et naïf, mais vertueux) et Bernie (l’être plus dégourdi, mais ne faisant preuve d’aucun scrupule ni de respect à l’égard de quiconque excepté lui-même) forment un duo comique évidemment tout ce qu’il y a de plus typé et typique. Après que les deux hommes aient fait bien malgré eux la promesse farfelue à leur mère vieillissante que cet hiver serait le dernier qu’elle aurait passerait au Québec, s’engageant du coup à déménager tout le groupe sous le chaud soleil de la Floride, Bernie cherchera à mêler son frère à ses affaires peu légitimes afin de mettre sur pied un racket de protection. Leur machination débutera par le braquage d’une épicerie, lequel aura pour but de convaincre les commerces aux alentours de recourir à leurs services. Les deux escrocs finiront toutefois par réaliser qu’une telle assurance a déjà été proposée à ces propriétaires par une organisation criminelle déjà bien installée sur le territoire.

Le scénario de Jean Morin tourne ainsi autour du quotidien banal de petites gens devant s’acquitter de tâches tout sauf passionnantes pour joindre les deux bouts, et continuer de croire que la chance finira bien par leur sourire un jour. Écrasé depuis trop longtemps sous le poids d’un tel immobilisme, la révolte ne pouvait évidemment qu’être imminente, Bernie réalisant de plus en plus que la voie la moins légitime est peut-être celle qui lui permettra d’arriver le plus rapidement à ses fins. Le problème, toutefois, c’est que lorsque l’argent commencera à couler à flot, il sera difficile pour Bernie - comme pour toute personne n’ayant jamais eu accès à de tels moyens - de garder tous ces billets dans une mallette au fond d’un placard, attendant les beaux jours où il pourra enfin se la couler douce sur une plage du sud des États-Unis, sans être tenter d’illuminer dès maintenant sa vie au coeur de la morosité et du froid de l’hiver québécois. Bernie ne se gênera pas dès lors pour se payer une luxueuse Cadillac, se goinfrer dans un chic restaurant français et faire de nombreux cadeaux à son frère, qui auront davantage pour objectif d’acheter sa conscience que de lui faire réellement plaisir. Carrière et Morin s’intéresseront dès lors à cette confrontation typique entre deux mentalités diamétralement opposées. Le tout à une époque où le Québec tournait de plus en plus le dos aux institutions religieuses en plus d’assister à d’importants changements sur la scène politique. Mais si la mauvaise conscience de Bernie finira par avoir raison des principes de Ti-mine, le duo finira malgré tout par réaliser qu’il n’est aucunement équipé pour mener une vie de malfrat à l’américaine.

Il est néanmoins clair d’entrée de jeu que Carrière et Morin sont beaucoup plus intéressés ici par l’univers dans lequel évoluent leurs personnages que par leur intrigue à proprement parler. Une caractéristique que révélera un montage composé de coupes franches imposant vite un rythme volontairement saccadé. Le duo n’hésitera pas ainsi à étirer certains élans en longueur afin d’illustrer adéquatement les situations les plus anodines du quotidien, tandis que les grandes lignes de leur histoire de gangsters en herbe seront plus souvent qu’autrement résumées par des séquences aussi brèves que directes. Les éléments plus typiques du film de genre du scénario de Morin progresseront du coup en arrière-plan ou parallèlement à l’action, n’ayant pour objectif que de donner un souffle autrement plus imagé et significatif à ce qui demeure d’abord et avant tout une autre comédie de moeurs. Carrière montrera d’ailleurs rarement les deux frères en train de commettre leurs méfaits, se concentrant plutôt sur l’impact que ceux-ci auront - ou auraient dû avoir - sur leur personne comme sur leur existence et celle de leurs proches. Le tout en renforçant par la même occasion cet autre important contraste entre les hommes que Ti-mine et Bernie aspiraient à devenir et ceux qu’ils sont devenus. Des hommes n’ayant plus rien de morale ni de vertueux, l’un trop égoïste et manipulateur pour tenir ses promesses et se préoccuper réellement d’autrui, l’autre trop mou pour prendre position d’une quelconque façon. Ces derniers finiront du coup par oublier ce pourquoi ils s’étaient embarqués dans pareilles manigances au départ, se résolvant à prendre la fuite en laissant les autres derrières plutôt que d’accepter de faire face à la musique. Un luxe que Morin et Carrière ne pouvaient évidemment leur accorder.

Ti-mine, Bernie pis la gang… célèbre ainsi ce mariage des plus improbables entre l’histoire de famille typique du cinéma québécois et le récit de petits truands à l’américaine - rappelant d’ailleurs à certains égards le Mean Streets de Martin Scorsese. Sans embrasser directement ses inspirations plus codifiées, le film de Marcel Carrière aborde celles-ci en leur conférant un sens propre tout en réussissant habilement à déjouer les exigences techniques qu’aurait nécessitées une mise en scène moins implicite. Jean Lapointe et Marcel Sabourin parviennent de leur côté à tenir les rênes de ce projet évoluant sur trois fronts artistiques bien distincts, offrant tous deux une performance des plus tangibles tout en appuyant le côté plus comique du récit en livrant toujours dans le ton voulu des dialogues des plus mémorables. Leur travail devant la caméra vient du coup cimenter celui de Carrière et Morin, qui auront su parler de l’état d’une société québécoise qui se devait elle aussi de penser à son avenir, mais qui ne pouvait pas non plus mettre la charrue avant les boeufs. Ti-mine, Bernie pis la gang… prendra fin du coup sur une leçon livrée in extremis sur l’appartenance au territoire et l’importance de savoir se montrer patient face à l’avenir et de répondre de ses actes. Le tout dans un élan où l’on pourra pratiquement entendre Carrière lancer le classique « la morale de cette histoire… ». Le tout viendra mettre fin à une initiative qui aura su parfaitement jouer la carte de la satire tout en traitant de situations tout de même assez sérieuses, et ce, dans une mise en scène relevant autant de l’héritage du cinéma direct que du travail de fiction le plus appuyé.
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Critique publiée le 13 mars 2013.