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Castle in the Sky (1986)
Hayao Miyazaki

La terre vue dans le ciel

Par Jean-François Vandeuren
Rassemblant sous un même toit trois figures déjà bien établies de l’univers particulièrement prolifique, mais parfois trop confiné, de l’animation japonaise en Hayao Miyazaki, Isao Takahata et Toshio Suzuki, la naissance du désormais célèbre - et célébré - Studio Ghibli à l’été 1985 était déjà annonciatrice d’un avenir on ne peut plus prometteur. Pour Miyazaki, le temps était alors venu de faire suite au superbe Nausicaä of the Valley of the Wind, première véritable oeuvre de marque du cinéaste, après un The Castle of Cagliostro évidemment beaucoup moins personnel. Le cinéaste se retrouvait ainsi à la barre du tout premier long métrage que mettrait au monde la boîte nippone. Nul besoin de préciser que celle-ci se devait de démarrer en force en proposant une oeuvre qui ne ferait pas simplement office de carte de visite, mais qui saurait laisser une empreinte indélébile dans l’esprit de tous les aficionados déjà impatients de voir dans quel univers fantastique allait les amener Miyazaki avec son troisième opus à titre de réalisateur. Bref, une aventure cinématographique qui saurait traverser l’épreuve du temps et repousser de nouveau les limites de l’animation. Et c’est exactement ce à quoi nous aurons eu droit avec l’on ne peut plus trépidant Castle in the Sky. Un film venant non seulement approfondir et cimenter les thèmes chers de l’auteur, mais qui aura également su mettre en valeur ses qualités d’artisan de l’image et du spectacle, lui qui aura visiblement appris quelques leçons des grands divertissements américains de l’époque - dont certains en devaient déjà une, d’ailleurs, aux maîtres du cinéma japonais d’après-guerre.

Miyazaki nous fera d’ailleurs part de ses idées de grandeur dès la séquence d’ouverture où une bande de pirates de l’air prendra d’assaut un immense vaisseau déjà garni d’une imposante présence militaire. Tous en auront après la jeune Sheeta, et plus particulièrement après son médaillon, que plusieurs croient être la source de pouvoirs extraordinaires. Durant l’attaque, la jeune fille tombera de l’appareil, mais sa chute, qui aurait dû lui être fatale, sera amortie lorsque le bijou en question se mettra en marche, faisant doucement flotter Sheeta jusque dans les bras du jeune Pazu. Pris en chasse par les pilleurs autant que l’armée et les agents secrets du gouvernement, le duo partira subitement à la recherche de la mystérieuse cité volante de Laputa qui, selon la légende, renfermerait nombre de trésors inestimables et de technologies bien en avance sur celles exploitées par les habitants de la terre ferme. Évidemment, l’influence d’un film comme Star Wars se fera sentir presque instantanément, Miyazaki prenant lui aussi pour héros un jeune paysan idéaliste et assoiffé d’aventures, mais confiné à un travail sans intérêt dans une région isolée, qui devra venir à la rescousse d’une princesse en compagnie d’un escadron qui, pour sa part, apprendra à revoir ses priorités au-delà de simplement vouloir s’en mettre plein les poches. Et comme Nausicaä of the Valley of the Wind, le présent récit sera lui aussi raconté de façon à en mettre plein la vue aux enfants de tous âges et permettre à son discours écologiste et humaniste d’être présenté d’une manière suffisamment sophistiquée et réfléchie pour interpeller un tout aussi vaste public.

Les préoccupations abordées par Miyazaki dans Castle in the Sky ne sont évidemment pas tellement différentes de celles auxquelles il accordait toute son attention dans son précédent long métrage. Il y a d’abord ce désir d’exprimer un profond respect envers la nature à une époque où l’on commençait finalement à saisir l’ampleur des dégâts que pouvaient engendrer les gestes commis par l’Homme, ce dernier étant désormais incapable d’entendre ce que son environnement lui murmure à l’oreille, et donc de tirer profit de ses atouts de manière sensée, et surtout harmonieuse. Avec un tel discours viennent inévitablement les craintes par rapport à l’évolution technologique et les risques que notre obsession militaire mène un jour l’humanité à sa propre autodestruction. Une idée que Miyazaki appuiera en faisant part d’une peur toujours palpable de l’arme nucléaire, laquelle sera clairement exprimée lors d’une séquence où sera démontrée la toute-puissance guerrière de Laputa. Comme à l’habitue, le cinéaste fera également transparaître un fort penchant féministe à travers ses élans, en particulier lorsque Sheeta prouvera à ses nouveaux alliés qu’elle peut être une femme d’action et qu’elle n’est pas bonne qu’à récurer les casseroles et cuisiner pour les troupes. Le tout au coeur d’un univers visuel faisant autant écho au futur qu’au passé tout en étant toujours habité par une vision très organique des choses - on pense à ces engins volant battant de leurs ailes mécaniques comme des insectes - allant de pair avec cette volonté de retourner à la nature, à l’essentiel, et ce, même par l’entremise de la technologie. Le coup de maître de Miyazaki aura d’ailleurs été ici de souligner que le problème n’est pas tant la technologie en soi, mais plutôt les causes qu’elle est généralement appelée à servir.

Capitalisant sur ses extraordinaires talents de raconteur, qui facilitent évidemment ici l’immersion dans cet univers fantaisiste déjà tout ce qu’il y a de plus invitant, Hadao Miyazaki démontre également qu’il possède un sens inné du spectacle, orchestrant plusieurs moments de haute voltige transcendant le cinéma d’animation pour rendre la monnaie de sa pièce aux divertissements les plus ambitieux tournés en prises de vue réelles. Le cinéaste se sert donc pleinement de son médium de prédilection pour mettre en images ce que ses contemporains ne pouvaient alors que rêver d’accomplir à partir de méthodes plus traditionnelles. La démarche esthétique de Miyazaki se révèle ainsi aussi impeccable qu’enivrante et foncièrement stimulante, mais surtout capable de conférer une âme à des personnages remplissant tous allègrement leur mandat. C’est également un cinéaste beaucoup plus confiant envers ses propres moyens que nous retrouvons à la barre de Castle in the Sky, ne répétant pas les mêmes erreurs narratives - somme toute bénignes - que nous retrouvions dans Nausicaä, notamment au niveau de la surabondance de dialogues explicatifs. Le présent exercice possède ainsi tous les attributs du blockbuster exemplaire, agençant ses éléments d’aventure, de drame et de comédie avec une audace et un savoir-faire qui rendraient jaloux le Steven Spielberg des belles années. Grâce à une intrigue aussi ambitieuse sur la plan de la forme que du fond et progressant à un rythme parfaitement soutenu, Castle in the Sky s’impose comme la première oeuvre de marque d’un studio qui allait vite enchaîner les succès et repousser les limites du cinéma d’animation au-delà du simple divertissement pour enfants auxquels il était - et demeure - encore trop souvent associé de ce côté-ci du Pacifique.
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Critique publiée le 14 janvier 2013.