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Alien³ (1992)
David Fincher

Le bûcher

Par Jean-François Vandeuren
La sortie d’un troisième épisode de la série Alien était pratiquement inévitable suite au succès commercial et à l’accueil particulièrement chaleureux qu’auront réservé le public comme la critique au second volet orchestré par James Cameron. La question se posait toutefois à savoir ce qui pouvait être fait à présent pour aller encore plus loin que le film précédent sur le plan spectaculaire. La voie de la surenchère ne semblait guère être la solution dans ce cas-ci alors que de simplement accroître le nombre de dangereux spécimens en liberté et d’amplifier l’arsenal militaire utilisé pour leur faire face n’aurait fait que confronter le spectateur à une version sur les stéroïdes d’une production déjà passablement musclée en soi. C’est pourquoi les producteurs David Giler et Walter Hill, agissant désormais à titre de scénaristes aux côtés de Larry Ferguson, auront décidé d’aller à contrecourant en se rapprochant davantage des bases du film de Ridley Scott tout en tenant compte de ce qui avait été accompli dans Aliens. Le trio amorcera d’ailleurs son grand ménage dès le départ alors que la capsule transportant les survivants du deuxième épisode s’écrasera sur une planète après qu’un organisme étranger se soit manifesté à bord de l’astronef et y ait provoqué un incendie. Résultat : Ripley (Sigourney Weaver) sera la seule qui échappera à la mort. L’astre sur lequel aboutira à présent l’héroïne ne compte plus qu’un centre d’incarcération où vivent reclus certains des plus dangereux criminels de la Terre. La présence d’une femme - que plusieurs d’entre eux n’ont pas vue depuis des années - en rendra évidemment certains nerveux. Les détenus auront toutefois d’autres chats à fouetter lorsque l’une des désormais célèbres créatures commencera à décimer ces derniers les uns après les autres.

Le refus de marcher dans les traces de James Cameron sera on ne peut plus clair alors que les trois scénaristes souligneront rapidement le retard considérable qu’accuse le complexe carcéral sur le plan technologique, l’installation ne comptant pas une seule arme à feu entre ses murs tandis que le moindre appareil, le moindre mécanisme, ne semblera jamais fonctionner adéquatement. Un obstacle qui forcera Ripley et le groupe de truands à combattre l’étranger par la ruse et le feu comme s’il se retrouvait au coeur d’une immense structure moyenâgeuse. Une mise en situation qui va en soi de pair avec la vision du personnage de Ripley approfondie par Giler, Hill et Ferguson et défendue à l’écran par David Fincher (ancien technicien chez Industrial Light & Magic et prolifique réalisateur de publicités et de vidéoclips qui signait ici un premier long métrage). Le cinéaste et ses acolytes continueront d’ailleurs de renforcer le caractère du protagoniste en allant jusqu’à lui conférer cette fois-ci les traits d’une Jeanne d’Arc échouée au coeur d’un microcosme monastique où elle viendra littéralement secouer les fondations de la foi de prisonniers convertis, lesquels lui intenteront un procès d’intention dès son arrivée. Les parallèles vont ainsi beaucoup plus loin que le crâne rasé et les habits masculins formant le nouveau look de la voyageuse interstellaire. Une caractérisation que le quatuor effectuera habilement en créant divers parallèles particulièrement pertinents avec certains faits d’armes comme la trahison et la fin tragique qui auront marqué la vie de l’héroïne française. Un concept parfaitement appuyé par la démarche visuelle du réalisateur, qui rendra de son côté un hommage foudroyant au brillant La passion de Jeanne d’Arc de Carl Theodor Dreyer.

Un tel hommage se fera d’abord sentir sur le plan de la forme alors que Fincher forgera lui aussi l’esthétique de son film à partir d’un montage rythmé et d’un mélange de mouvements de caméra rapides et de cadres soigneusement composés. Le tout en soulignant les nombreux rapports de force sur lesquels repose sa trame dramatique par l’entremise d’un recours continu au gros plan et à la contreplongée, qui formaient déjà le coeur de la percutante mise en images du film de 1928. Une démarche que le cinéaste réussira d’autant plus à accorder à des techniques similaires que nous retrouvions dans le vidéoclip à l’époque, telle cette façon particulière d’insérer succinctement des images isolées devant porter l’attention du spectateur sur un élément isolé et amplifier sa résonnance dans le déroulement d’une séquence. La mise en scène de Fincher repose également sur d’importantes contradictions, que ce dernier amalgamera d’une manière pour le moins formidable. Ainsi, la réalisation aussi précise que léchée et stylisée de Fincher - se révélant toujours au service du récit comme de l’atmosphère qui en émane et ne sombrant fort heureusement jamais dans les pièges d’une esthétisation aussi excessive que futile que l’on reprocha souvent au médium musical - dépeindra un univers filmique qui, à l’opposé, révélera vite ses airs industriels sales, dominés par la rouille et des teintes couleur brasier. Une approche des plus sinistres et sanglantes que déploiera Fincher par l’entremise d’angles obliques à saveur expressionniste n’étant pas sans rappeler, dans un tout autre registre, un autre premier film paru la même année, soit le Delicatessen de Jean-Pierre Jeunet, qui, comme par hasard, se retrouverait à la barre de la série cinq ans plus tard.

Connaissant bien à présent tous les bâtons que le studio aura mis dans les roues de David Fincher, qui n’aura pu mener sa vision de l’univers d’Alien à terme et qui aura même quitté le projet avant le début du montage, la question demeure à savoir quels sommets une production déjà fort réussie en soi aurait pu atteindre si le réalisateur avait pu travailler à sa guise. Alien³ demeure malgré tout un essai d’une grande consistance parvenant à s’imposer comme un morceau de cinéma savamment pensé et exécuté et un spectacle dont les attributs beaucoup moins tapageurs se révèlent beaucoup plus effectifs lorsque nous cessons de les comparer à ceux de son prédécesseur direct. Un exercice qui s’avère de toute façon inutile face à une saga qui brillait déjà par sa diversité et sa façon de continuellement revoir et mélanger les genres. Il règnera également sur Alien³ une profonde mélancolie alors qu’il sera de plus en plus évident que Ripley ne trouvera ici de salut que dans la mort. « Tu es dans ma vie depuis si longtemps que je ne me souviens de rien d’autre », lancera-t-elle à son agresseur avec lequel elle ne fait plus qu’un, elle qui aura pourtant tenté précédemment un retour à la vie normal en se rapprochant d’un homme pour la première fois de la série. Ripley et Jeanne d’Arc se rejoindront ainsi ultimement dans une finale où l’héroïne du présent récit préférera elle aussi le bûcher plutôt que de joindre les rangs du diable, des représentants sans vertus de la compagnie. Une conclusion qui marquera néanmoins une victoire sur le réel ennemi qu’elle aura combattu depuis le début, tandis que les échos de la finale du premier épisode viendront superbement boucler la boucler une fois la tempête terminée et le calme revenu.
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Critique publiée le 12 juin 2012.