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Prometheus (2012)
Ridley Scott

Les origines

Par Jean-François Vandeuren
Autant une nouvelle entrée dans la série Alien - si moindrement bien exécutée - aurait fort probablement été bien accueillie par les fans de la franchise, autant, après quatre productions aussi différentes les unes des autres et deux abominables rencontres avec une horde d’affreux prédateurs, la question se posait à savoir si un cinquième film était réellement nécessaire. Il faut dire qu’en cet ère de remakes, d’adaptations et de suites à n’en plus finir, le retour vers le passé continuellement nourri par les têtes pensantes en manque d’idées du grand Hollywood aura mené à des résultats beaucoup plus navrants que réellement satisfaisants. Une opinion que partage visiblement Ridley Scott, croyant fermement que le tour de la question avait été fait depuis longtemps en ce qui concerne Ellen Ripley et son éternel combat contre ce cruel étranger et qu’il était maintenant temps de passer à autre chose. C’est pourquoi Prometheus, d’abord prévu comme un prequel au film de 1979, aura fini par prendre une tournure complètement différente durant son développement. Le présent opus prend, certes, place à l’intérieur du même univers, et ce, bien avant le passage du Nostromo sur LV-426, mais ne cherche en aucun cas à bâtir un pont devant mener directement aux événements d’Alien, le vingtième long métrage de Ridley Scott se déroulant d’ailleurs sur une lune adjacente à celle visitée dans le premier épisode. Il s’agissait évidemment d’un pari risqué, mais néanmoins intrigant, qui suscitait bien des interrogations, mais semblait tout de même vouloir s’imposer comme une proposition beaucoup plus significative dans le paysage actuel de la science-fiction, où les considérations d’ordre spectaculaire auront trop souvent pris le dessus sur la « science » au cours des dernières années.

Le cinéaste britannique avait récemment fait savoir qu’il n’avait jamais compris pourquoi aucun des chapitres ayant suivi le sien ne s’était intéressé à la provenance de cet immense vaisseau échoué depuis un bon moment sur cette sombre surface et de sa cargaison des plus dangereuses. C’est sur la découverte de l’identité de ce géant ayant subi le même sort que celui qui attendait le personnage interprété par John Hurt que porte le scénario de Jon Spaihts et Damon Lindelof (l’un des créateurs de la mythique série télévisée Lost). L’une des idées particulièrement brillante du duo aura été d’articuler l’expédition interstellaire menée par les chercheurs Elizabeth Shaw (Noomi Rapace) et Charlie Holloway (Logan Marshall-Green) pour le compte de Peter Weyland (Guy Pearce), fondateur de la fameuse compagnie Weyland, autour de percées scientifiques faisant, notamment, écho aux théories bien réelles du Suisse Erich von Däniken sur le rôle qu’auraient joué des entités extraterrestres dans le développement, voire la création, de l’espèce humaine. La superbe séquence d’ouverture du présent exercice abondera en ce sens alors que le sacrifice de l’un de ces « ingénieurs de vie » mènera au début de la vie sur Terre. Le titre du film de Scott, comme le nom de  l’embarcation devant potentiellement mener le groupe d’astronautes à la rencontre de ses créateurs, évoque pour sa part l’histoire du titan Prometheus qui, dans la mythologie grecque, avait été chassé de l’Olympe par Zeus pour avoir fait don du feu à l’Homme. Mais l’invitation - comme le signal de détresse dans Alien - découverte par Shaw et son équipe n’en était peut-être pas une au bout du compte et le voyage prendra vite une tournure pour le moins horrifiante, tandis que les objectifs réels de la compagnie se révéleront une fois des plus purement égocentriques, elle qui cherchera à mettre la main sur une autre forme de « feu sacré ».

Certes, malgré un écart considérable au niveau du temps et de l’espace, les similitudes entre Prometheus et Alien abondent sur le plan esthétique et narratif. Scott et ses acolytes ne cachent d’ailleurs jamais leurs intentions, alternant entre les citations directes et les hommages plus discrets au film de 1979 (les compositions de Marc Streitenfeld reprenant certains élans de la trame sonore de Jerry Goldsmith) comme aux suites qu’il aura engendrées (les caméras à l’épaule d’Aliens, la présence plus que significative d’éléments religieux d’Alien³, la prouesse au basketball d’Alien: Resurrection, etc.). Les deux scénaristes revisiteront évidemment de leur côté plusieurs thèmes fondamentaux de la série, tournant, notamment, autour des méthodes de procréation d’une menace, d’une arme, aux traits déjà hyper sexualisés, et des rapports de force entre un créateur et sa création. Le duo jouera également de finesse en permettant à ses personnages de ne pas répéter les mêmes erreurs que l’équipage du Nostromo en ne laissant pas un danger potentiel réintégrer le Prometheus, et en se débarrassant rapidement d’une menace ayant pris forme dans le corps d’un des membres de l’équipage lors d’une séquence d’avortement pour le moins troublante. Bien que la mise en scène de Ridley Scott diverge passablement des ambiances beaucoup plus glauques et claustrophobes qu’il avait su édifier dans son second long métrage, le cinéaste n’a visiblement pas perdu la main pour ce qui est de développer un monde capable à la fois de fasciner le spectateur et d’atteindre des sommets de tension particulièrement vertigineux. Par l’entremise d’une approche qu’il aura su habilement renouveler, le cinéaste aura mis sur pied une facture visuelle aussi spectaculaire que perspicace, étant toujours au service de l’histoire comme du propos et de l’univers du film en soi. Le tout dans des décors d’une stérilité altérée des plus inquiétantes, à laquelle se font sublimement la touche artistique unique de H.R. Gier, où s’entrechoqueront technologies organiques, mécaniques et électroniques.

Prometheus présente en bout de ligne une somme de procédés et de concepts aussi ingénieux que denses et diablement efficaces, reprenant plusieurs traits du récit original pour les adapter à une quête et des motifs à la fois similaires et totalement opposés, offrant par la même occasion de nombreuses pistes de solution pertinentes à des interrogations qui étaient demeurées en suspens pendant plus de trois décennies tout en en soulevant bien des nouvelles au passage. Le scénario de Spaihts et Lindelof se révélera également des plus perspicaces dans sa façon d’aborder toute la question des origines de l’Homme, secouant considérablement les fondations du darwinisme comme du christianisme. L’entreprise marque ainsi l’expansion d’un univers fictif ayant toujours eu tendance à fonctionner de manière cyclique. Le tout marque d’autant plus d’un brillant retour à la science-fiction pour un réalisateur qui aura complètement délaissé le genre après en avoir pourtant signé deux des oeuvres contemporaines les plus importantes. Ridley Scott aura également su s'entourer d’une autre distribution parfaitement assemblée, au coeur de laquelle brillent un Michael Fassbender offrant une autre solide performance dans la peau d’un androïde aux airs de Laurence d’Arabie dont nous ne pourrons que douter des intentions, et une Noomi Rapace appelée à jouer les femmes fortes - et même à incarner la vierge Marie, dans une certaine mesure -, mais dans un registre suffisamment différent, voire beaucoup plus vulnérable, pour éviter toute comparaison avec le célèbre personnage de Sigourney Weaver. La personnalité de Ripley aura d’ailleurs été soigneusement scindée ici en deux facettes, la plus intransigeante étant représentée par une Charlize Theron tout aussi convaincante. Prometheus réussit donc à s’imposer comme une oeuvre autonome résolument tournée vers l’avenir, mais sachant faire bon usage des éléments ayant marqué son passé. La vision extrêmement ambitieuse d’un cinéaste qui sera parvenu à faire évoluer l’essence de l’une de ses plus célèbres réalisations, et ce, avec une vigueur dont on ne l’en croyait plus capable.
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Critique publiée le 8 juin 2012.