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Be Kind Rewind (2008)
Michel Gondry

Bricoler son cinéma

Par Alexandre Fontaine Rousseau
Peu importe vos moyens et votre talent: « make your own damn movie », criait le corsaire de la série B Lloyd Kaufman dans son guide à l'intention des aspirants cinéastes de ce monde. C'est ce qu'affirme en des termes plus modérés le cinéaste français Michel Gondry avec son plus récent projet Be Kind Rewind, escapade en terrain populiste qui risque ironiquement d'être son film le plus polémique à ce jour. Source de querelles parce qu'inégal et « commercial », le petit dernier du réalisateur de La Science des rêves demeure, malgré ses faiblesses manifestes, un objet attachant et réellement pertinent qui réaffirme et clarifie dans une certaine mesure un projet cinématographique très personnel entamé par l'entremise de l'univers du vidéoclip. Car, sous ses allures de comédie grand public, ce cinquième long-métrage de Gondry articule le manifeste naïf d'un auteur qui s'était jusqu'alors démarqué par son style visuel unique. Avec Be Kind Rewind, Gondry délaisse ainsi cette esthétique artisanale qui l'a fait connaître pour faire un film dont c'est plutôt le sujet ; une célébration enthousiaste de l'amateurisme et de l'inventivité, doublée d'une lettre d'amour au cinéma mineur en tant qu'art rassembleur. Pour cette raison, il semble à la limite logique que le film soit ponctué d'erreurs, truffé de maladresses.

Mais, en réalité, Be Kind Rewind est un film aussi raté qu'il est séduisant - l'esquisse inspirée mais incomplète d'une oeuvre plus raffinée. Bien sûr, le synopsis lui-même tient du génie déréglé : magnétisé par mégarde lors d'une opération de sabotage parfaitement saugrenue, Jerry (Jack Black) efface accidentellement le répertoire complet d'un club vidéo qui ne jure encore que par la cassette VHS. Dans l'espoir de duper une cliente plutôt crédule (Mia Farrow), Jerry et Mike (Mos Def) tournent en quelques heures leur propre version bancale et écourtée du classique Ghostbusters d'Ivan Reitman à grand renfort d'effets spéciaux improvisés. Bientôt, les curieux amusés par ces adaptations-maison de succès hollywoodiens envahissent le commerce de quartier et l'opération prend une envergure inattendue. Les deux cinéastes amateurs se lancent alors dans la réalisation à la chaîne de ces approximations à petit budget de grosses productions, devenant de véritables vedettes locales dans le processus. Mais lorsque cette violation en règle des lois sur les droits d'auteurs est découverte, les deux commis doivent trouver une nouvelle manière de sauver le magasin de la faillite.

Avec une telle prémisse, le film ne peut que contenir de brillants moments de comédie absurde; et, effectivement, le tandem que forment Black et Mos Def s'avère fréquemment exceptionnel - improvisant et dialoguant de manière alerte. Malheureusement, Be Kind Rewind n'arrive jamais à se positionner entre l'humour absurde et l'hommage attendrissant et alterne finalement entre ces deux pôles sans clairement formuler ses intentions. D'un côté, Gondry signe ici un film qui cultive constamment sa propre accessibilité; les excentricités plus sombres qui marquaient La Science des rêves de même que ses deux collaborations avec le scénariste Charlie Kaufman se sont dissipées, cédant le pas à une loufoquerie bon enfant caractéristique du genre dans lequel il tente de s'inscrire. Tente car, au final, Be Kind Rewind demeure un film de Michel Gondry, c'est-à-dire un bricolage à la forme alambiquée dont la narration ne roule pas « normalement ». Conséquence possible de son passage par l'école du clip, l'écriture de Gondry fourmille d'idées qui s'entrechoquent sans nécessairement former un tout homogène ; cinéaste technique, il se laisse guider par ses inventions visuelles.

Or, tandis que la chaotique Science des rêves poussait cette construction épisodique jusqu'à un éclatement quasi total du scénario au profit des images, Be Kind Rewind cherche tant bien que mal à respecter certaines conventions qui paraissent dans ce contexte forcées. Les meilleurs moments du film sont ceux où la mise en scène renoue avec l'imagerie pure, vocabulaire que maîtrise parfaitement Gondry, comme par exemple lors de ce plan-séquence splendide où s'orchestre une synthèse des différentes réalisations de Mike et Jerry. Lorsque l'imagination contamine la réalité, le cinéma de Michel Gondry prend tout son sens. Évacuation de la banalité, éloge de l'imaginaire, de l'idéalisme : ses fables sont des plaidoyers en faveur d'un cinéma « qui possède une âme », qui s'oppose aux forces de la médiocrité ambiante. Mais bien qu'il évoque explicitement ce discours vertueux, Be Kind Rewind est paradoxalement le film de Gondry qui s'impose en pratique le plus grand nombre de compromis. Le réalisateur français signe ici un film sur ce qu'est un film de Michel Gondry, oubliant parfois d'en faire un tout simplement.

De toute évidence, le cinéaste s'identifie à ses deux Georges Méliès de banlieue auxquels il cède presque le contrôle du film. Aux pitreries de Black, qui s'accapare l'écran avec une force redoutable, Mos Def oppose son habituelle retenue avec une belle justesse ; mais les deux acteurs n'arrivent jamais à injecter de profondeur à leurs caricatures respectives, l'écriture des personnages paraissant souvent précipitée et unidimensionnelle. Si plus que jamais Gondry parle de son propre cinéma, c'est aux dépends de l'humanité viscérale qui traversait ses films précédents : ses personnages, quant à eux, sont réduits à n'être que les outils d'une progression narrative trop linéaire. La Science des rêves et Eternal Sunshine of the Spotless Mind multipliaient les pirouettes formelles, certes, mais de manière à enrichir le portrait qu'ils dressaient de leurs protagonistes respectifs. Dans Be Kind Rewind, les effets spéciaux ne sont que des effets spéciaux ; ils n'ouvrent plus cette porte donnant directement sur le subconscient, s'en tenant à leur rôle prédéterminé de matérialisation de l'impossible.

Malgré ces quelques bémols, Be Kind Rewind s'avère au-delà du bien réel divertissement qu'il procure un film honnêtement attachant. Car bien que Gondry s'empêtre dans une avalanche de bons sentiments, il a manifestement le coeur à la bonne place. Capitalisant sur les valeurs sûres de la communauté et de la mémoire collective, la finale touchante de service verse dans la facilité mais n'est pas pour autant exempte d'un certain charme naïf. À l'image de l'ensemble, elle souffre tout simplement de cette contradiction profonde entre forme et sujet : Gondry, pour exalter les vertus de l'extravagance, se conforme à des règles dont il se moque habituellement. Heureusement, le film comporte dans les faits assez de moments comiques inspirés et spontanés - et d'astuces esthétiques ingénieuses - pour faire oublier des lacunes qui, sur le plan théorique, en font une oeuvre confuse et fragile. Espérons simplement que Gondry, cinéaste singulier au potentiel incroyable, ne fasse pas une habitude de ce genre de production sympathique mais inachevée.
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Critique publiée le 25 juin 2008.