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Pourquoi tu pleures? (2011)
Katia Lewkowicz

La corde au cou

Par Jean-François Vandeuren
Le premier long métrage de Katia Lewkowicz débute sur des images des plus proches amis d’Arnaud (Benjamin Biolay) s’adressant directement à la caméra afin de dresser le portrait de cet homme dans la mi-trentaine, décrivant l’individu qu’il était plus jeune et celui qu’il a fini par devenir avec le temps. Nous nous retrouverons ensuite à l’enterrement de vie de garçon évidemment bien arrosé du protagoniste, au cours duquel celui-ci donnera l’impression d’être affligé d’un profond sentiment de solitude. Ce dernier se réveillera le lendemain matin dans son lit, particulièrement amoché, aux côtés de Léa (Sarah Adler). Arnaud ne sera alors plus qu’à quelques jours de son mariage avec Anna (Valérie Donzelli), elle qui demeurera introuvable tandis que s’activeront autour de son futur époux les membres de deux familles semblant étrangement beaucoup plus excités par l’arrivée de l’événement que le principal concerné. Il sera dès lors assez clair que ce qui trotte dans la tête du jeune homme, c’est cette fille qu’il a rencontrée en boîte, symbole d’une indépendance sur le point d’être révolue alimentant ce doute persistant à savoir s’il s’engage sur une route sur laquelle il désire réellement poursuivre le reste de sa vie. C’est après que notre héros ait erré dans l’incertitude en compagnie de ses proches, notamment de sa soeur Cécile (Emmanuelle Devos) et de sa mère Claude (Nicole Garcia), qu’Anna fera finalement son entrée dans le film de Lewkowicz, revenant d’une longue réflexion après avoir été prise d’angoisses à quelques jours de la cérémonie, désormais convaincue de vouloir aller au bout de son histoire avec Arnaud. Une parcelle d’information qui n’aidera pas forcément sa douce moitié à y voir plus clair de son côté…

Sous une forme ou une autre, un tel récit nous aura été raconté plus souvent qu’à notre tour au fil des ans. En particuliers au cours de la dernière décennie, alors qu’une quantité de plus en plus importante de créations cinématographiques et télévisuelles se seront immiscées dans la vie de ces individus ayant grandi durant les années 80 et se retrouvant aujourd’hui face à cette vie d’adulte responsable qu’ils auront retardée aussi longtemps qu’ils auront pu. Le film de Katia Lewkowicz s’efforcera d’ailleurs à plusieurs reprises de remettre en question les conventions de cette existence à laquelle nous sommes appelés tôt ou tard à nous conformer, en commençant évidemment par celles entourant le mariage. À cet effet, lorsqu’elle sera questionnée à savoir pourquoi elle rêve de se marier depuis l’âge de six ans, une jeune femme répondra tout simplement : «  parce que ». C’est comme ça et puis c’est tout. Une réalité qui semblera bien seoir aux gens autour d’Arnaud. Pourquoi tu pleures? accompagnera néanmoins son protagoniste dans ce déchirement entre ce sentiment de liberté et de folie qui l’habite lorsqu’il est avec Léa et celui beaucoup plus ancré dans la réalité lorsqu’il se retrouve en compagnie d’Anna, avec qui quelque chose d’aussi futile que la place qu’occupe un réfrigérateur dans une cuisine peut désormais devenir une affaire d’état. Une impression de voir l’étau se resserrer peu à peu que la réalisatrice appuiera de belle façon par l’entremise du jeu aussi juste qu’inébranlable de Benjamin Biolay et des situations qu’elle décidera d’intégrer au parcours de son personnage, allant du choix éprouvant de fleurs et autres décorations devant servir à la cérémonie à l’abandon de divers objets appartenant au passé.

En énonçant simplement les péripéties et les questionnements qui composent le présent exercice, nous nous rendons bien compte que Pourquoi tu pleures? ne s’éloigne jamais trop également d’un certain créneau du cinéma français dont les bases demeurent reconnaissables entre mille, et ce, aussi bien sur le plan comique que dramatique. Une association découlant en partie du nombre tout de même imposant d’histoires d’adultères ayant vu le jour dans l’Hexagone au cours des dernières années, de Mademoiselle Chambon à Partir en passant par Les regrets et Un balcon sur la mer, pour ne nommer que les plus connues. Dans un ton évidemment beaucoup plus léger, Lewkowicz ne nous invitera pas ici à suivre les frasques d’un mari dont la relation fleurissante avec une autre femme viendra subitement chambouler un environnement familial jusque-là sans histoires, mais plutôt ceux d’un homme étant toujours incapable de faire face à la musique. La cinéaste soulignera néanmoins clairement que cette hésitation ne découle aucunement du fait qu’Arnaud n’aime plus Anna, bien au contraire. Un sentiment d’indécision qui, même s’il oblige parfois l’ensemble à suivre une trame narrative finissant par tourner un peu en rond par moment, s’avère fort bien géré par la cinéaste, soulignant l’immobilisme comme le recul de son protagoniste autour duquel tout semble à l’opposé bouger de plus en plus vite. Un contraste qui sera tout aussi bien appuyé par le rythme soutenu auquel progresse le récit comme l’apport des principales têtes d’affiche, notamment Emmanuelle Devos en frangine impatiente et Nicole Garcia en mère manquant de délicatesse, qui offrent toutes deux une performance aussi sentie que désopilante, et de la grande efficacité comique de nombreux dialogues.

Il y a une séquence dans l’excellent, voire le culte, High Fidelity de Stephen Frears dans laquelle le personnage interprété par John Cusack demande à sa copine si elle veut l’épouser, prétextant être fatigué de ce fantasme, de cette tentation des autres femmes auxquelles n’est rattaché aucun problème du quotidien puisque celui-ci n’existe pas en soi. C’est en ayant cette impression de ne plus être attaché à quoi que ce soit qu’Arnaud s’enivrera peu à peu du parfum de liberté beaucoup plus séduisant que dégage Léa. Lewkowicz et sa coscénariste Marcia Romano souligneront bien que ce type d’attirances sera toujours présent et que le plus dure ne sera jamais tant de résister à la tentation, mais plutôt de bâtir quelque chose de concret et, au bout du compte, de beaucoup plus gratifiant. La réalisatrice impressionnera d’ailleurs à cet effet par l’empathie dont elle fera preuve à l’égard de son protagoniste, sur lequel elle ne portera jamais de jugement, et ce, jusqu’au moment tant attendu, exploitant la mélancolie pouvant se lire en permanence sur le visage de Biolay, qui en dira long - ou justement pas assez - au final sur les aspirations de son personnage. La pilule sera évidemment dure à avaler pour certains. Et nous nous retrouverons au même point qu’au départ, la réalisatrice requérant une fois de plus les services de  l’entourage d’Arnaud pour conclure cette histoire en nous laissant présager le meilleur. Le tout tandis que perdurera ce sentiment doux-amer et d’une satisfaction ne pouvant jamais être totale qui habitera l’exercice jusqu’au tout dernier instant, alors que résonneront en arrière-plan de cette « fin heureuse » les pleures de celle qui aura mordu la poussière.
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Critique publiée le 20 avril 2012.