WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
L’équipe Infolettre   |

Breakfast Club, The (1985)
John Hughes

Nous et eux

Par Jean-François Vandeuren
De façon calculée ou totalement inconsciente, John Hughes aura à la fois renforcé et mis sens dessus dessous plusieurs des codes de cette fameuse comédie adolescente - dont il aura passablement contribué au développement - avec The Breakfast Club. Cela explique peut-être pourquoi le présent exercice demeure celui avec lequel l’Américain aura le mieux abordé les préoccupations de son jeune auditoire. Hughes ne s’immisce pas ici dans diverses situations propres au quotidien de l’adolescent moyen et ne propose pas de séquences de fêtes démesurées, comme il l’avait fait de manière beaucoup plus désinvolte dans Sixteen Candles, et ne suit pas la folle journée de trois amis ayant décidé de faire l’école buissonnière, comme dans le Ferris Bueller’s Day Off qui allait suivre un an plus tard. À l’opposé, ce que relate The Breakfast Club, c’est le cauchemar de n’importe quel étudiant : devoir passer un samedi en retenue à la bibliothèque du lycée. Une journée - dont la reconstitution représentait tout de même un certain défi de scénarisation comme de mise en scène - au cours de laquelle les protagonistes seront appelés à rédiger un essai sur ce qui les définit en tant que personne. Sans s’en douter, ou même l’espérer, le proviseur Richard Vernon allait être à l’origine d’un dialogue beaucoup plus profond entre ces cinq individus, qui auront finalement plus de points en commun qu’ils n’auraient pu l’imaginer au départ. L’intellectuel maigrichon, la fille riche et populaire, le sportif, la fille étrange se tenant à l’écart et l’élève à problèmes auront ainsi tout l’après-midi - et la complicité du réalisateur - pour profiter de cet isolement et accomplir ce qu’ils n’avaient jamais osé entreprendre auparavant : faire connaissance.

Cette ouverture vers une compréhension mutuelle entre tous et chacun se reflètera évidemment dans la façon dont Hughes s’adressera à son public à travers les rouages de son scénario. Le réalisateur amènera aussitôt celui-ci en terrains connus en amorçant son film avec une série de plans évoquant le quotidien d’une école secondaire d’une manière aussi directe qu’extrêmement familière. Hughes emploiera la même stratégie pour la présentation de ses personnages en mettant tout en oeuvre pour que nous les associions immédiatement à tous les clichés qu’ils incarnent généralement dans ce genre de récits. Ces derniers seront ainsi accoutrés d’une manière reflétant leurs caractères distincts - et trop souvent unidimensionnels - en plus de présenter une gestuelle et une façon de s’exprimer nous renvoyant à cette même vieille idée que nous nous faisions de ces différents individus au premier coup d’oeil sans que l’on nous incite nécessairement à aller au-delà des apparences. Ces impressions seront, certes, appelés à s’effondrer par la suite alors que le cinéaste confiera habilement à chacun de ses protagonistes la tâche de gratter la surface des autres afin de voir ce qui se cache réellement sous l’enveloppe de ses confrères de retenue. Des révélations qui ne se feront toutefois pas que dans la joie et l’allégresse, elles qui seront la plupart du temps provoquées par le trouble-fête interprété avec toute l’arrogance, le je-m’en-foutisme et le franc-parler désirés par Judd Nelson - visiblement habitué de passer plus de cinq jours par semaine entre les murs de l’institution -, qui entendra bien secouer la cage de ses nouveaux compagnons avant de finir par être lui aussi confronté à sa propre essence.

Comme nous le disions précédemment, la mise en images d’une telle prémisse, qui aurait très bien pu s’avérer d’un ennui mortel, représentait tout de même un défi de taille. Ainsi, si Hughes soulignera bien dans un premier temps la lourdeur du temps qui passe et le marasme qui s’emparera peu à peu de ses personnages, ce dernier profitera ensuite de plus en plus des largesses de son médium pour permettre ces rapprochements au fil des dialogues, des escarmouches, des situations comiques aussi improbables que complètement surréalistes et des séquences où les cinq adolescents baisseront progressivement leur garde. Évidemment, ce dont ils finiront par se rendre compte, c’est qu’ils partent tous du même niveau d’insatisfaction particulièrement élevé par rapport à leur vie de famille, qu’ils soient confrontés à des exigences parentales trop élevées par rapport aux études ou au sport, à l’absence récurrente de leurs géniteurs ou à leurs abus. Il finira par ressortir de ces discussions le marquant « When you grow up, your heart dies », que lancera le personnage interprété par Ally Sheedy et qui placera finalement tous les personnages sur un même pied d’égalité, eux qui feront alors part du désir de ne jamais devenir qu’une pâle imitation de leurs parents une fois devenus adultes. Ce sera la réalisation qu’ils sont tous dans le même bateau malgré leurs parcours divergents, qu’ils sont tout à fait capables de se parler et d’entretenir une amitié tangible les uns avec les autres s’ils le désirent. Un constat dont émanera autant de relations amoureuses florissantes que cette idée de simplement se laisser la chance de penser par eux-mêmes.

Évidemment, l’inévitable question que soulèvera John Hughes d’une manière aussi habile que pertinente demandera à savoir ce qu’il en sera de tout ce qui aura été dit et accompli durant ces quelques heures lorsque la vie étudiante reprendra son cours normal le lundi suivant. Les membres de ce « Breakfast Club » sauront-ils réellement faire abstraction de ce que leurs amis pourraient penser d’eux s’ils osaient s’afficher les cinq ensembles à l’intérieur de ce microcosme juvénile pouvant se montrer si cruel? Ou, à l’opposé, les divisions entre les groupes et les stéréotypes brilleront-il de nouveau par leur vacuité? Le réalisateur soulèvera ces interrogations qui pourraient s’avérer aussi fatales que salutaires de tout ce qu’il aura mis sur pied durant ces quelques cents minutes sans toutefois y répondre de façon limpide, laissant ce débat - comme tout le reste - entre les mains de ses protagonistes. C’est ici que prendra tout son sens la chanson « Don’t You Forget About Me », dont l’utilisation comme thème musical du présent exercice aura lancé du jour au lendemain la carrière du groupe pop Simple Minds. Ce sera le signe d’une confiance à la fois sublime et révélatrice d’un cinéaste envers ses personnages, dont le mandat sera à présent de ne pas oublier ces pas de géant qu’ils auront accomplis autant à titre d’individu qu’en tant que groupe au cours de cet après-midi qui se sera avéré plus prolifique qu’une année entière passée dans cet établissement. Et c’est définitivement là que Hughes gagne aussi son pari face à son public, qu’il aura su interpeller directement pour l’amener au-delà de lui-même, au-delà du traitement que lui réserve habituellement le cinéma commercial.
7
Envoyer par courriel  envoyer par courriel  imprimer cette critique  imprimer 
Critique publiée le 27 mars 2012.