ÉDITORIAL : À l'ombre de La Métropolitaine
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Contagion (2011)
Steven Soderbergh

Premiers symptômes

Par Jean-François Vandeuren
Si nous nous fions aux tendances des dernières années, la prémisse de Contagion aurait normalement été un projet rêvé pour tous cinéastes friands de mises en scène chaotiques et on ne peut plus chargées dramatiquement et désireux d’amener la civilisation au bord d’un gouffre qui semblera de plus en plus inévitable. Or, bien qu’entretenant avec vigueur et intelligence une atmosphère de peur et de paranoïa propre à ce type de récits, le résultat s’avère autrement plus intéressant entre les mains d’un réalisateur aussi versatile que Steven Soderbergh, ce dernier abordant la crise en cours d’une manière beaucoup plus posée, mais non moins effrayante, bien au contraire. La présente entreprise propose ainsi une simulation particulièrement réaliste de la diffusion d’un tel état de panique sans que celui-ci n’en vienne jamais à contaminer sa facture esthétique. Contagion débutera du coup alors que nous verrons différents individus retourner dans leurs pays respectifs après avoir contracté un étrange virus lors d’un voyage à Hong Kong, lequel se révélera vite extrêmement contagieux, et surtout mortel. Nous suivrons à partir de ce fameux « jour 2 » l’évolution de la propagation de la maladie à travers le monde sur une période d’un peu plus de quatre mois. Le vingt-deuxième long métrage de Steven Soderbergh s’intéressera dès lors autant aux répercussions sociales que politiques et économiques de ce nouveau fléau à partir des cas plus spécifiques de civils ayant perdu des proches, d’un blogueur cherchant à dénoncer la soi-disant conspiration entourant la gestion de la crise par les instances gouvernementales et les compagnies pharmaceutiques, ainsi que de plusieurs scientifiques et haut placés tentant d’enrayer la menace et de trouver un vaccin le plus rapidement possible.

Le présent exercice n’est évidemment pas sans rappeler le Outbreak qu’avait signé Wolfgang Petersen en 1995, dans lequel une petite localité des États-Unis était mise en quarantaine après que sa population ait commencé à souffrir des effets d’un virus rappelant la fièvre Ebola. Si la pandémie s’étend ici à l’échelle mondiale, Contagion ne cherche étonnamment jamais à exploiter les codes du suspense traditionnel ou à mettre sur pied diverses sous-intrigues aux visées purement spectaculaires ou mélodramatiques. La démarche de Soderbergh et du scénariste Scott Z. Burns (The Informant!) est d’ailleurs assez similaire à celle qu’avait édifiée le réalisateur pour dresser un portrait pour le moins exhaustif de la guerre contre la drogue dans le brillant Traffic de 2000, s’aventurant de nouveau sur plusieurs fronts afin de faire état d’un long combat contre un ennemi qui semblera le plus souvent invincible. Contagion rapportera dès lors les efforts des hommes et des femmes cherchant par tous les moyens à mettre un terme à cette catastrophe. La prémisse finira ainsi par avoir le dessus sur les personnages alors que Soderbergh fera preuve une fois de plus d’une remarquable méthodologie, accordant une attention au plus menu détail par l’entremise d’images simples, mais on ne peut plus évocatrices, et surtout riches en information. Le but premier de Contagion étant bien entendu de se rapprocher autant que possible de ce à quoi pourrait ressembler une telle épidémie dans la réalité. Le tout tandis que les individus tomberont par milliers, voire par millions, et que les rues normalement grouillantes de vies laisseront progressivement la place à un étalement d’ordures sans précédent et de nombreuses scènes de violence et de pillage.

Contagion prendra ainsi davantage les allures d’un document informatif, à l’image de Traffic, mais surtout du Syriana de Stephen Gaghan, que d’une oeuvre d’anticipation tirant avant tout sa consistance de son efficacité dramatique. La principale force du présent long métrage se situe justement dans la façon dont Soderbergh et Burns auront su soutenir la tension émanant de leur récit dans un film évoluant sur un ton pourtant assez monocorde en s’attaquant à des craintes on ne peut plus concrètes, et encore très présentes dans l’esprit des spectateurs. Contagion insistera à cet effet sur la façon souvent anodine dont le virus sera transmis d’un individu à un autre, à un point tel où l’effort semblera parfois prendre les traits de la campagne publicitaire la plus élaborée qui soit pour toute la gamme de produits antibactériens pour les mains. Nous penserons du coup presque instantanément à l’épidémie de grippe A (H1N1) qui avait généré un vent de panique partout sur la planète il n’y a pas si longtemps, lequel aura été alimenté de manière quelque peu abusive par les médias de masse, qui auront créé une véritable congestion - c'est le cas de le dire - autour du sujet dans les bulletins de nouvelles, choses que souligne d’ailleurs habilement Contagion. Des caractéristiques qui s’appliquent également à la façon dont les vaccins auront été distribués, et ce, autant dans la réalité passée que dans la présente fiction. Et c’est là que se situe toute la pertinence d’une démarche où le recours constant aux plans fixes et aux subtils mouvements de caméras appuie ce désir d’entretenir une certaine distance entre l’action et le spectateur tout en parvenant à rendre celle-ci tout ce qu’il y a de plus marquante.

Contagion s’avère ainsi tributaire de certains des éléments les plus mémorables ayant été mis de l’avant au fil des ans dans la filmographie des plus hétéroclites du cinéaste américain, lequel figure assurément parmi les plus importants de son époque. La structure narrative et le ton de Traffic se fondent du coup à une direction photo n’étant pas sans rappeler celle de The Informant! et un souci de réalisme que l’on retrouvait récemment dans le très sous-estimé The Girlfriend Experience de 2009. L’ensemble baigne également dans un environnement sonore tout aussi spécifique à l’oeuvre de Soderbergh où le son et l’image évolue bien souvent à leur propre rythme tandis que viennent s’imposer les accents électroniques des compositions de Cliff Martinez, soutenant avec un doigté incomparable ce sentiment à la fois d’urgence et de fascination englobant le récit. Les mêmes éloges reviennent à une distribution pour le moins impressionnante réunissant les Matt Damon, Jude Law, Marion Cotillard, Laurence Fishburne, Kate Winslet et Jennifer Heil, pour ne nommer que ceux-ci, lesquels personnifient avec aplomb chacun des aspects de cette problématique, et ce, malgré un temps d’exposition parfois assez limité. Il en va de même pour un montage relevant l’esprit d’inquiétude entourant une telle mise en situation,  faisant passer quelques jours pour une période souvent beaucoup plus longue, tout en démontrant la pertinence du choix des séquences présentées au coeur d’une intrigue morcelée où chaque cas est appelé à compléter les autres. Le tout suivant un arc dramatique exposant le cours des événements de façon épisodique, jamais alarmiste, tandis que ce sera la science qui ressortira comme étant l’héroïne de cette production aussi pertinente que nécessaire dans laquelle le monde aura une fois de plus fait part de sa grande fragilité.
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Critique publiée le 4 janvier 2012.