ÉDITORIAL : À l'ombre de La Métropolitaine
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Young Adult (2011)
Jason Reitman

La morale de cette histoire

Par Laurence H. Collin
La première voix entendue dans Young Adult est féminine et plaintive. Après quelques panoramiques de Minneapolis vue du haut d’une tour d’appartement, nous pénétrons une demeure bordélique dans laquelle le pleurnichement subsiste. Celui-ci ne provient pas d’un personnage visible, mais bien d’un écran où s’affiche une participante larmoyante d’une émission de téléréalité. Bien que jamais mentionné explicitement, ce baratin émotif des espèces peuplant les « reality shows » tels qu’on les connaît deviendra un motif récurrent de Young Adult. Quiconque a déjà été exposé à un épisode de ces plus abrutissants programmes connaît la chanson : de beaux jeunes adultes discourent en termes banals de leurs sentiments pour un ou pour une autre, éliminant tout autre préoccupation à l’extérieur de leurs quiproquos amoureux schématisés. À se gaver de confessions juvéniles sur « l’âme soeur », sur cet amour aussi réel que la réalité proposée par l’émission, on trouve matière à s’interroger : pourquoi célébrons-nous la conduite illusoire de ces adultes épris de fantaisies on ne peut plus adolescentes?

Young Adult, deuxième collaboration entre Jason Reitman à la réalisation et Diablo Cody au scénario, s’intéresse, entre autres, à cette conception comme quoi « l’amour véritable vainc tout ». Cependant, le phénomène ne sera pas abordé à travers le regard d’un personnage dont la naïveté pourrait être perçue comme « mignonne » aux yeux du spectateur. Tel qu’interprétée par Charlize Theron, oscarisée pour Monster en 2004, Mavis Gary est elle aussi un monstre effroyable qui ne sème que le mal sur son chemin. Auteure fantôme pour une série de livres jeunesse passée sa gloire commerciale, Mavis accumule les lendemains de veille improductifs, esquivant les appels de son éditeur impatient. Sa quête personnelle débutera avec un courriel affichant une photo du nouveau-né de Buddy Slade (Patrick Wilson), son ancienne flamme à l’époque du lycée. Immédiatement perturbée par la nouvelle, cette annonce ravivera les plus beaux souvenirs de Mavis en sa compagnie - elle et Buddy personnifiaient le bonheur parfait, se convainc-t-elle. Déterrant une vieille compilation sur cassette que celui-ci lui avait jadis offerte, Mavis se lancera donc en direction de Mercury, sa petite ville natale du Minnesota, pour rouvrir les yeux d’un homme dont l’existence ne peut clairement pas être comblée sans elle à ses côtés.

Avec ses rallonges blond platine, ses fringues sans classe et son mascara de la veille, Mavis Gary est une figure dont l’existence suscite un type de fascination morbide assez particulier. Propulsée par la prestation entière, éblouissante, de Theron, elle constitue exactement le mariage de cruauté, de pathos et d’aveuglement indispensable à la progression du texte de Cody. Durant le premier acte de Young Adult, Reitman l’exhibe presque à la manière d’un documentaire animalier; voici Mavis ingurgitant un deux litres de Coke diète, Mavis étalant ses produits de beauté sur le comptoir, Mavis se réveillant claquée aux côtés de sa dernière aventure d’un soir. Triste créature, nous disons-nous. Mais dès la seconde où celle-ci débarque dans son village natal et que l’on constate qu’elle porte encore sa couronne de la plus belle et populaire de ses jeunes années, ses instincts de première dame prennent le dessus et font des ravages peu importe où elle se dirige. La transition est foudroyante : dans les tavernes moroses et le décor banlieusard incolore de Mercury, la reine du bal est de retour et tient à régler ses propres comptes.

C’est justement dans un bar modeste qu’elle fera la rencontre d’un être lui étant diamétralement opposé, mais tout aussi complexe. Il s’agit de Matt Freehauf (Patton Oswalt, parfait dans un rôle ineffaçable), ancien finissant de sa cohorte, lui buvant sa vie depuis les deux dernières décennies après avoir subi un crime haineux à l’adolescence l’ayant laissé permanemment handicapé. Au fil des rencontres et des verres, lui et Mavis développeront ce que l’on pourrait en théorie désigner comme une certaine « camaraderie », mais l’incapacité pathologique de cette dernière à considérer un sort autre que le sien rendra leur rapport extrêmement difficile à définir.

La plume de Cody fait ressortir les plus brillantes annotations psychologiques de leurs scènes communes. Ses dialogues, ici libérés des excentricités néologiques qui en avaient agacé certains dans Juno et enterré Jennifer’s Body pour d’autres, sonnent juste et atteignent presque toujours leur cible. « Do you wanna get loaded, or something? », lance Mavis nonchalamment. Son nouveau partenaire de beuverie aura beau incarner la voix de la raison en lui disant que ses plans de reconquête sont absurdes, rien ne pourra mettra en doute ce qu’elle croit être un sauvetage absolument nécessaire. Il y a bien sûr un risque inhérent à étaler un schéma narratif autour d’un personnage moins antipathique que tout bonnement dépourvu de repères moraux, mais le duo Reitman/Cody parvient la plupart du temps à trouver l’équilibre vital à un tel exercice. Par son approche frontale, mais caustique, on ne nous demande aucunement de s’identifier à Mavis, et encore moins de souhaiter sa réussite. À en discerner cette propension pour l’observation au détriment des anecdotes cocasses, Young Adult prend ainsi la forme d’une étude de cas extrême plutôt que celle d’une comédie mordante.

Il ne faudrait pas déduire de cette affirmation que le film de Reitman néglige de faire s’esclaffer son spectateur à plusieurs reprises. Young Adult possède de nombreuses situations d’une désobligeance si perverse que la seule réaction permise est celle de rire devant l’énormité de la chose en question. Pour un réalisateur ayant manifesté dans tous ses projets précédents une tendance à assouplir sa verve une fois rendu aux dernières bobines, Jason Reitman surprend par la constance de son travail. Le réalisateur exécute les derniers pas de Young Adult avec une souplesse si désarmante que l’on cherche encore les mots qui pourraient témoigner de l’efficacité du pied de nez de sa scénariste face aux leçons d’apprentissage concluant généralement de tels récits. Je ne saurais personnellement en citer un récent qui se clôt sur une scène où le protagoniste se voit directement confronté à ses fautes et ses démons intérieurs et choisit pourtant volontairement de ne rien soutirer de constructif de l’expérience. Du haut de ses 94 minutes furtives, Young Adult ne cherche donc pas les éloges pour avoir épluché en profondeur une thématique essentielle, mais suscite forcément l’admiration pour n’avoir négligé absolument aucune tactique dans son assaut à la moralité hollywoodienne contrefaite.
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Critique publiée le 16 décembre 2011.