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Café de Flore (2011)
Jean-Marc Vallée

Une seconde chance

Par Jean-François Vandeuren
Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il se sera fait attendre ce Café de Flore, première oeuvre francophone - résultat d’une coproduction entre le Canada et la France - qu'aura signé Jean-Marc Vallée depuis l’on ne peut plus primé C.R.A.Z.Y. de 2005. Le délai paraît évidemment beaucoup plus court si nous considérons qu’il y avait tout de même eu dix ans entre ce quatrième long métrage et le Liste noire de 1995. Entretemps, le cinéaste québécois aura eu la chance de travailler pour le compte d’intérêts américains et britanniques en prenant la barre du drame d’époque The Young Victoria, qui lui aura d’autant plus permis de collaborer avec nuls autres que Graham King et Martin Scorsese à la production. Il est toutefois clair dès les premiers balbutiements du présent exercice, au cours desquels Vallée semblera vouloir marcher dans les traces d’un Cédric Klapisch, que le réalisateur était impatient de replonger dans un univers cinématographique qui lui ressemble. Les hurlements de la mythique « Breathe » de Pink Floyd - autour de laquelle le cinéaste créera un véritable leitmotiv - précéderont ainsi une suite d’images extrêmement léchées qui nous introduiront progressivement à la petite, mais ô combien imposante, histoire de personnages ayant tous souffert d’amour. Le tout d’une manière à laquelle il n’aurait pratiquement manqué que le bon vieux « il était une fois ». Si Vallée ne commet pas l’erreur de se copier lui-même, plusieurs points unissent néanmoins Café de Flore à C.R.A.Z.Y.. Visiblement conscient des attentes qu’il serait appelé à combler, le Québécois y est allé pour le coup de circuit avec ce sixième opus. Mais son scénario s’appuie-t-il sur des bases suffisamment solides pour supporter le poids de telles ambitions?

Vallée nous invitera ainsi à faire des allers-retours constants entre le Montréal d’aujourd’hui et le Paris de la fin des années 60, entre le récit d’Antoine (Kevin Parent), un DJ de réputation internationale, et Jacqueline (Vanessa Paradis), une mère monoparentale faisant tout ce qui est en son pouvoir pour assurer le bon développement de son fils Laurent, qui est atteint de trisomie. De son côté, Antoine viendra tout juste de mettre un terme à la relation pourtant harmonieuse qu’il entretenait avec Carole (Hélène Brochu) depuis qu’ils étaient sur les bancs d’école après être tombé éperdument amoureux de Rose (Evelyne Brochu). Le tout au grand dam de la plus vieille de leurs deux filles et, bien évidemment, de Carole, qui semblera incapable de tourner la page, elle qui est d’autant plus habitée depuis peu par des rêves particulièrement inquiétants. Pour ce qui est de Jacqueline, les rapports extrêmement puissants qu’elle aura développés avec sa progéniture à force de lui consacrer un nombre incalculable d’heures chaque jour afin d’assurer son bien-être et son bonheur sembleront menacés lorsqu’une fillette se trouvant dans la même condition que Laurent entrera soudainement dans la vie de ce dernier, et que les deux bambins seront dès lors littéralement inséparables. La question sera évidemment de savoir ce qui finira par unir ces deux histoires au-delà de leurs thématiques. Nous penserons d’abord qu’il s’agit de cette pièce à laquelle le titre du film fait référence alors que la version originale de Matthew Herbert comme le remix qu’il signa sous le pseudonyme de Doctor Rockit joueront un rôle presque vital dans la vie de Laurent et d’Antoine, respectivement. Bien que nous aurions pu nous satisfaire jusqu’à un certain point d’une telle explication, le Québécois poussera la note encore plus loin, beaucoup trop même.

C’est définitivement à ce niveau que les fondements du scénario de Jean-Marc Vallée finiront par s’affaisser alors que bien qu’il cherchera à créer un constant état d’apesanteur autour d’une mise en scène mélangeant onirisme et réalisme, ces intentions ne seront jamais suffisantes pour légitimer les éclaircissements de nature ésotérique que finira par avancer le cinéaste. C’est à croire que ce dernier n’avait lui-même aucune idée concrète pour faire le pont entre ces deux drames - pourtant fort puissants sur papier. Le tout traduira néanmoins un désir immense de proposer quelque chose d’unique, et surtout de grandiose, mais en passant par des stratagèmes ayant déjà été utilisés abondamment, et de manières beaucoup plus pertinentes, par le passé. Vallée nous entraînera du coup au coeur d’un montage parallèle - dont il est également l’auteur - et inutilement labyrinthique où les effets de style se succéderont pour conférer une certaine profondeur à l’ensemble, laquelle passera toutefois rarement le stade de vague impression. Le Québécois aura également pu accompagner de nouveau ses élans d’une trame sonore réunissant des noms aussi importants que Pink Floyd, Nine Inch Nails, The Cure et Stars of the Lid. Mais cette initiative se révèle ici à double tranchant alors qu’autant elle s’avère indispensable pour certaines séquences tout comme pour mettre en relief l’essence des personnages, notamment celle d’Antoine, autant elle prend trop souvent la forme d’une béquille devant permettre au réalisateur d’inspirer des émotions qu’il aurait été incapable de transmettre autrement. Vallée n’arrivera d’ailleurs pas toujours à dissimuler convenablement ses sources d’inspiration, comme pour l’utilisation particulièrement marquante de la chanson « Svefn-g-englar » du groupe islandais Sigur Rós, dont le vidéoclip réalisé par Agust Jakobssen en 1999 mettait lui aussi en scène des interprètes atteints du syndrome de Down.

Bref, si nous ne pouvons en aucun cas accuser le réalisateur de manquer d’ambitions, nous pouvons certainement lui reprocher un manque flagrant de constance au niveau de ses élans. Il ne fait aucun doute que Vallée est capable d’orchestrer des moments de cinéma à couper le souffle - lesquels sont parfaitement illustrés ici par l’élégante direction photo de Pierre Cottereau (Poupoupidou) - et nous retrouvons bien dans Café de Flore une quantité non négligeable de séquences où ce dernier réussit à allier style et sensibilité pour produire des effets d’une grande beauté lyrique. Là où ça se complique toutefois, c’est lorsque le cinéaste tente d’aller plus loin que ce qui est réellement nécessaire, capitalisant sur une symbolique beaucoup trop chargée frôlant le ridicule plus souvent qu’autrement. Il est évident que Vallée cherche tant bien que mal à pousser le spectateur vers un état d’innocence, et ce, autant par le choix de ses thématiques que par la façon simplette, voire parfois moralisatrice, dont il les déploie à l’écran. Le Québécois semblera d’ailleurs avoir énormément de difficulté à faire confiance à son public, insistant sur certaines images tout en ayant cette habitude des plus agaçantes de verbaliser les moindres émotions de ses protagonistes par l’entremise de dialogues manquant souvent cruellement de naturel. Pour leur part, les interprètes s’acquittent de leur tâche en y allant de performances généralement convaincantes, malgré quelques moments d’égarement et des comportements pour le moins incongrus sur lesquels ils n’avaient cependant aucun contrôle. Leur jeu est encore là tributaire d’une oeuvre qui est définitivement à son meilleur lorsqu’elle fait les choses un peu plus simplement, mais qui, en voulant à tout prix en mettre plein la vue, finit par tourner horriblement en rond et, ultimement, par se perdre en chemin.
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Critique publiée le 23 septembre 2011.