WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
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Robber, The (2010)
Benjamin Heisenberg

Tu peux toujours courir...

Par Jean-François Vandeuren
Le but premier d’un vol de banque est de remplir les poches de ses instigateurs en un temps record, que ceux-ci commandent ou participent directement à ladite opération. Nous n’apprendrons évidemment rien à personne avec une telle affirmation. Car après tout, et ce, peu importe les circonstances, quelles autres motivations pourraient possiblement expliquer qu’un individu soit enclin à risquer de passer une très longue période de temps emprisonné entre quatre murs de cette façon? Voilà précisément ce qui fait de Johann Rettenberger (Andreas Lust) un personnage aussi énigmatique que fascinant alors que le butin accumulé au fil des nombreux hold-ups qu’il commettra tout au long du présent The Robber de l’Allemand Benjamin Heisenberg ne semblera avoir aucune utilité particulière, lui qui sera plutôt voué à passer un long moment caché sous le lit du principal concerné. Nous ferons la rencontre de Johann alors qu’il purgera les derniers jours d’une sentence pour tentative de braquage. Six années durant lesquelles le protagoniste sera demeuré à l’écart, ne cherchant pas inutilement les embrouilles avec les autres détenus et se dévouant corps et âme à un entraînement on ne peut plus intensif à la course à pied. Une fois sorti de prison, Johann reprendra aussitôt ses vieilles habitudes en prenant d’assaut une nouvelle institution financière. Le tout en poursuivant ce rigoureux entraînement qui lui permettra, à la surprise générale, de remporter le marathon de Viennes, l’élevant du coup au rang de célébrité sportive, voire même de fierté nationale. Nous découvrirons toutefois en cours de route que la logique unissant ces deux domaines d’expertise pour le moins particuliers s’avère beaucoup plus complexe que ce que nous pouvions imaginer au départ…

Ce seront ainsi les activités illicites de Johann qui sembleront d’abord servir ses ambitions de coureur, et non l’inverse, avant que celles-ci ne deviennent progressivement deux manières totalement différentes d’atteindre le même objectif. Basé sur l’histoire authentique de Johann Kastenberger qui, durant les années 70 et 80, aura mené cette double vie de coureur professionnel et de voleur de banque, laquelle aura ensuite inspiré le roman On the Run de Martin Prinz (qui en cosigne ici l’adaptation), le protagoniste de The Robber incarne en soi le criminel solitaire type s’étant créé son propre petit univers au centre du reste du monde en se soumettant à une discipline de fer. Avare de mots et d’émotions, il suit le rythme d’une vie discrète, à l’image, par exemple, des personnages qu’interprétaient récemment George Clooney dans The American ou même Isaach De Bankolé dans The Limits of Control, la seule différence étant que Johann ne se retrouve jamais ici à la solde d’un autre individu. Mais cette carapace qu’il croyait pourtant indestructible sera mise à rude épreuve lorsqu’il retombera par hasard sur une femme - car il y a toujours une femme -, vieille connaissance issue de son passé, dont il s’amourachera, le plaçant du coup face à une nouvelle avenue que sa longue réclusion aura visiblement fini par effacer complètement de son esprit. Positionnant de plus en plus son personnage à la croisée de deux parcours de vie diamétralement opposés, le réalisateur révélera progressivement toute la pertinence de son approche en faisant jongler ce dernier avec ses différentes options d’une manière toujours un peu plus laborieuse, lui qui ne pourra au final que perdre le contrôle de la totalité d’entre elles et les regarder, impuissant, se fracasser sur le sol.

Il sera évidemment de plus en plus apparent que nous sommes en présence ici d’un sérieux cas de dépendance à l’adrénaline. Johann commettra ainsi ses différents vols par impulsion, voire parfois même par ennui, expliquant le manque total de préparation avec lequel il réalisera chacun de ses coups, répétant une routine simple, mais diablement efficace, n’impliquant qu’un masque, un fusil de chasse et une voiture « empruntée » au hasard. Ce sera d’ailleurs ce besoin incontrôlable qui fera progressivement dévier le personnage principal de sa trajectoire initiale et qui mènera à une irruption de violence aussi soudaine qu’injustifiée qui finira inévitablement par causer sa perte. Le plus étonnant sera alors de voir le cinéaste adopter une approche aussi sereine que réfléchie, épousant sublimement les formes d’un naturalisme tel que popularisé par les frères Dardenne au cours de la dernière décennie pour mettre en scène une intrigue et des péripéties pour lesquelles le premier venu se serait normalement empressé de sortir l’artillerie lourde sur le plan stylistique. Heisenberg signe du coup une réalisation orchestrée et rythmée à l’image de la personnalité d’un protagoniste comparable à un volcan : imperturbable en surface, mais bouillonnant à l’intérieur. Le réalisateur a recours à des méthodes tout aussi minimalistes dans sa façon d’illustrer et de verbaliser son récit, ne s’encombrant jamais de détails superflus ou de dialogues inutiles, privilégiant plutôt une démarche faite de peu d’images, mais dont chacune d’entre elles s’avère extrêmement révélatrice. Le tout est complété par un travail impeccable au niveau sonore, laissant toujours les nombreux silences parler d’eux-mêmes en plus de révéler une brillante utilisation du support musical n’étant pas sans rappeler par moments celle habituellement imposée aux expérimentateurs du fameux Dogme95.

Et comme tout est essentiellement question d’harmonie dans The Robber, ou du moins de la recherche incessante de celle-ci au coeur du chaos, et ce, autant au niveau de la forme que du fond, il n’est pas surprenant de voir Andreas Lust se conformer avec autant d’aisance à la vision et au ton mis de l’avant par son metteur en scène. L’acteur, que nous avions pu voir précédemment dans l’excellent Revanche de Götz Spielmann, offre ainsi une prestation ensorcelante et d’une sobriété exemplaire, réussissant sans aucune difficulté à rallier le spectateur à la cause de ce personnage à la fois amorale et on ne peut plus difficile d’approche tout en l’invitant continuellement à porter un jugement assez sévère à son égard. The Robber ne s’impose donc pas tant par l’originalité de son concept ou même de sa facture esthétique, mais plutôt par l’extrême rigueur avec laquelle il les édifie. Il en ressort une oeuvre aussi posée que turbulente dont le parcours se terminera par une longue et tumultueuse séquence de poursuite que le cinéaste orchestrera en ne dérogeant à aucun moment de la cadence qu’il était parvenu à maintenir jusque-là. Une scène absolument mémorable au bout de laquelle notre coureur finira par frapper son mur, réalisant au cours des derniers instants tout ce que ses choix lui auront coûté au bout du compte. Une conclusion encore là tout à fait typique pour ce genre de personnages pour qui celle-ci s’avère plus souvent qu’autrement fatale, ne laissant la place à aucune forme de rédemption. Comme quoi à force de courir et de ne jamais s’arrêter, on termine inévitablement notre course à bout de souffle, loin de tout ce qui a pu nous importer.
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Critique publiée le 15 août 2011.