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Your Highness (2011)
David Gordon Green

De très moyens détournements du moyen âge

Par Alexandre Fontaine Rousseau
Auteur indépendant à juste titre réputé pour la finesse de ses quatre premières oeuvres, David Gordon Green s'était en quelque sorte « réinventé » en 2008 avec la comédie à haute teneur en THC Pineapple Express. On se disait, sans trop s'en faire, qu'il s'agissait pour l'auteur d'All the Real Girls d'une façon de payer le loyer, les factures d'électricité et (de toute évidence) les plaisirs herbacés. Ce virage inattendu nous semblait d'autant plus bénin qu'à défaut d'être particulièrement bon, Pineapple Express était en son genre une amusante distraction; on la pardonnait donc, et on riait un peu bêtement en attendant le prochain film sérieux du cinéaste américain. Or, suite à un silence de trois ans, voilà que Gordon Green récidive avec Your Highness - autre comédie à vocation strictement commerciale dans laquelle on cherche plus désespérément encore toute trace de l'auteur, cette fois-ci parfaitement digéré par un système de production allergique aux idiosyncrasies de tout acabit et autres traces d'identité. Il serait inutile d'expliquer pourquoi Your Highness n'est pas « vraiment » un film de David Gordon Green : cela tient de l'évidence, et force est d'admettre que nous n'en sommes pas surpris outre mesure.

Le véritable problème, dans le cas présent, c'est que même en se rabaissant à juger cette débile escapade médiévale selon les critères plutôt médiocres de la comédie américaine contemporaine, le produit final peine à se hisser au-dessus de la mêlée. Disons, pour demeurer à un niveau strictement primaire, qu'au-delà de quelques « ha » et d'un ou deux « ha-ha », on s'ennuie franchement en écoutant ce divertissement manqué, et qu'il est inutile d'espérer ce prestigieux triple « ha » décerné exclusivement aux gags de qualité supérieure. Rien, ici, n'atteint cet illustre standard d'excellence, et pourtant aucune bassesse ne nous est épargnée dans l'espoir d'y arriver : tandis que Danny McBride porte en guise de pendentif un pénis de Minotaure, James Franco doit caresser le sexe d'un vieux sage pédophile pour le remercier de ses judicieux conseils. Mais le problème, ce n'est pas tant cette vulgarité exacerbée (quoiqu'elle devienne au bout du compte plus redondante qu'amusante) que la totale incapacité du film à trouver un véritable rythme comique : parsemé de séquences d'action anonymes, qui viennent nous rappeler ce qui nous ennuie dans le genre de cinéma qu'il parodie, Your Highness s'étouffe dès qu'il semble trouver son souffle.

Autre défaut de taille : Danny McBride, qui en plus d'avoir co-écrit le scénario du film le porte en bonne partie sur ses épaules, n'est jamais à proprement parler attachant. Systématiquement éclipsé par le sourire joyeusement ahuri d'un James Franco qui, fidèle à son habitude, a l'air enfumé au plus haut point, notre anti-héros n'arrive jamais à obtenir le capital de sympathie minimum pour que la dynamique entre nos deux compagnons d'armes soit fonctionnelle. Le reste de la distribution se tire plutôt mal d'affaire : Zooey Deschanel n'a qu'à conserver son regard craquant de biche égarée pour remplir son rôle décoratif, et se contente par conséquent d'abuser de ce stratagème (quand elle ne chante pas), tandis que Natalie Portman est réduite à nous dévoiler son postérieur pour nous séduire même si, théoriquement, c'est par son cran de « femelle alpha » qu'elle devrait le faire. Voilà donc comment, tout en feignant de se moquer des conventions du genre « fantastique médiéval », Your Highness en réitère du point de vue des rôles sexuels les clichés les plus éculés : la vierge en détresse (ici assoiffée de sexe) et la fière guerrière aguichante (qui est aussi un brin cinglée). Voilà donc les traditionnels fantasmes de geeks comblés par la présence d'archétypes qu'on se contente d'exacerber.

Les détournements et les déviations sont quant à eux superficiels, prévisibles, et les dents de la satire si peu aiguisées qu'elles n'ont aucune poigne sur leur prise. Entre une énième réitération de l'homo-érotisme inhérent à toute forme de confrérie virile et quelques références à l'inévitable impuissance des vieux sorciers qui sont réduits à kidnapper de jeunes femmes pour combler leurs appétits sexuels poussiéreux, que nous offre donc cette comédie? Quelques blagues correctes au sujet d'un lézard de compagnie particulièrement inutile, James Franco beurrant épais la tartinade du décorum médiéval et deux ou trois autres rires déjà oubliés le lendemain de la projection. Quant à David Gordon Green, son « style » est ici réduit à la direction photo naturaliste de son collaborateur de toujours Tim Orr ainsi qu'à cette tendance à filmer différemment les moments où ses protagonistes sont agréablement affectés par la drogue. Espérons qu'après cette monumentale erreur de parcours, le réalisateur de George Washington retrouvera le droit chemin. Car il s'avère avec Your Highness réduit au rôle de simple exécutant, muselé en tant que créateur; et le simple fait de voir un artiste de talent se compromettre ainsi pour se plier à ses rouages nous rappelle tout ce qui, dans la machine hollywoodienne, nous écoeure au plus haut point.
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Critique publiée le 8 avril 2011.