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I Love You Phillip Morris (2009)
Glenn Ficarra et John Requa

Catch Me If You Can 2

Par Élodie François
Si le cinéma abonde de premières fois où se révèlent à la lueur d’une chandelle les tendances sexuelles des uns et des autres, il faut reconnaître que pour I Love You Phillip Morris les cinéastes Glenn Ficarra et John Requa s’en passent. Car depuis les cinq dernières années, le discours sur l’homosexualité a changé. Là où la révélation était une confidence désastreuse pour la vie de ceux qui s’en voyaient gardiens (rappelez-vous de Brokeback Mountain), elle se change ici en aléas. Oui, aujourd’hui la vie est faite de cocufiages pardonnés, de divorces à l’amiable, et surtout de nouvelles expériences dont il serait dommage de se priver.

Que sa sortie ait été aussi retardée nous aura permis d’apprendre ce qu’il est difficile d’omettre lorsque l’on tente de qualifier ce film. I Love You Phillip Morris est en fait un Catch Me If You Can gay, la sincérité et la justesse de DiCaprio en moins. Bien sûr, c’est une version plutôt potache et décalée de son très respecté et très élégant aîné. Tiré d’une histoire vraie, « vraie de vraie » comme nous le signale la brève motion à l’ouverture, le film retrace les exploits de Steven Russell (Jim Carrey), un ancien flic marié et père de famille, qui, au lendemain d’un grave accident de voiture, décide d’assumer son homosexualité alors secrètement gardée. Mais voilà, être gay à un prix - au sens propre du terme - particulièrement élevé. Accumulant les fausses identités et les tours de passe-passe financiers, Russell se fera arrêter non sans mal et condamner à purger une peine de prison au cours de laquelle il fera la connaissance de Phillip Morris (Ewan McGregor), rien de moins que l’homme de sa vie.

Quelque part entre la comédie de moeurs et le slapstick échevelé un peu passé de mode, l’exercice bascule entre une vulgarisation de l’histoire et une histoire vulgaire. L’homosexualité n’étant plus réellement un problème dans le cinéma de l’après Brokeback Mountain, nul besoin de lubrifiant pour faire passer au spectateur les idées les plus cocasses. De la déclaration d’amour invraisemblablement soudaine dans les rayons de la bibliothèque carcérale à la scène de fornication particulièrement explicite, I Love You Phillip Morris ne cesse de jongler maladroitement entre la caricature burlesque et la comédie sentimentale. Un déséquilibre qui trouve sa source dans le jeu toujours plus cabotin de Jim Carrey et dans la mise en scène émancipée à plus d’une reprise de ses fonctions narratives - la personnalité de Carrey finissant, comme toujours, par triompher de la personnalité de la mise en scène. Un essoufflement qui opère dès l’entrée en jeu de Phillip Morris et qui laisse entendre que les sentiments qui unissent réellement ces deux hommes ne sont jamais complètement assumés par les cinéastes.

Toutefois, dans les quelques moments où les amants se voient séparés (par les barreaux de la prison ou par les rocambolesques décisions de Russell), se détache une certaine idée du drame. Non pas celui que vit Russell d’être toujours arrêté dans ses coûteuses démonstrations d’amour, mais bien celui de Morris de ne jamais pouvoir être comblé dans le plus simple apparat du sentiment; l’amour selon Russell étant un chemin pavé d’or dont la richesse doit constamment être nourrie. Jamais Morris ne sera aussi heureux que lorsque son amour n’aura eu pour demeure que les épaisses cloisons de sa cellule. Dans cet univers kitsch dont les couleurs nous rappellent davantage la côte californienne d’Harvey Milk que le Texas de Georges W. Bush (où se déroule pourtant l’action), la légèreté du sentiment amoureux plie devant l’excentricité de sa démonstration, car les réalisateurs n’ont rien trouvé de plus original ou subtil que cette combinaison. Toutefois, contrairement à ce que l’on pourrait penser, la faute du cliché n’est pas à incomber à Ewan McGregor qui, malgré ce qui s’est dit d’une tribune à l’autre, n’est pas à contre-emploi. À posteriori, pour l’acteur révélé par Trainspotting et Moulin Rouge, c’est interpréter un jedi qui l’était. En d’autres mots, McGregor est acteur là où Carrey est humoriste.

Enfin, le dernier accroc est plus embarrassant, car au détour des nombreux gags qui dirigent plus qu’ils n’habillent le récit, on finit par chercher le véritable propos du film. Au-delà de la comédie, y a-t-il une quelconque intention adressée au vrai Steven Russell et à sa cause? Au fond, le cinéma peut-il, aujourd’hui encore, influencer l’opinion publique? Malheureusement, en lieu et place du sujet grinçant et satirique que cette longue attente nous laissait espérer, nous n’avons droit qu’à une comédie dont la valeur du gag, unique valeur du film, réside dans les qualités d’imitation du couple. Deux comédiens, hétérosexuels affirmés, singeant ici et là les mille et un clichés qui entourent l’homosexualité : précieuse, extravagante, colorée. Malgré sa performance McGregor ne saura équilibrer le cabotinage de Carrey et le résultat nous confronte alors à cette tendancieuse question : le cinéma peut-il ridiculiser son sujet pour « mieux » le servir?
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Critique publiée le 19 mars 2011.