ÉDITORIAL : À l'ombre de La Métropolitaine
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Land Before Time, The (1988)
Don Bluth

L'ère jurassique

Par Mathieu Li-Goyette
Il y a un peu plus de vingt ans, la mode était aux dinosaures. Non seulement The Land Before Time prenait-il l’affiche sur les écrans, mais We'are back! A Dinosaur's Story (Nibbelink, Wells et les frères Zondag), sortait à l’automne de 1993 dans le but de poursuivre la vague entamée par le Jurassic Park de Spielberg… distribué dans les salles du monde au printemps de la même année. Résultat : le réalisateur empochait doublement. La sortie de Nous sommes de retour, plus sombre, plus mature et rock’n’roll - l’histoire raconte la venue de dinosaures dans le Brooklyn d’aujourd’hui, tous menés par la voix et le talent comique de John Goodman - avait été préparée par le lointain cousin, plus réservé et plus fin, Petit-Pied. Les enfants des années 80, bercés par ces géants éteints et les jouets qui en découlèrent, se sont ensuite jetés sur le plus important succès de Spielberg. Ce qu’il faut dire, c’est que ce dernier avait produit le film des Zondag ainsi que Petit-Pied le dinosaure, titre célèbre moins approprié que sa version anglaise The Land Before Time, récit d’une terre d’avant notre ère. L’enfant né durant cette décennie - c’est-à-dire né en même temps que E.T. découvrait la Terre et annonçait le « nouveau » Spielberg - allait grandir avec ces êtres de l’ère jurassique, des lézards géants dont la représentation dans l’imaginaire collectif ne dépassait guère jusqu’ici les trucages de Harryhausen, du King Kong américain ou du Godzilla japonais. En s’appropriant cette image qu’il schématisa de nouveau pour les bambins, Spielberg allait non seulement s’assurer la suprématie au box-office, mais aussi le culte d’une génération qu’il aura su, jusqu’à ses dernières excentricités enfantines, entretenir sous les jupons de la bonne conscience de son cinéma.

Seulement, avant ce tour de businessman aguerri vint Don Bluth, Gary Goldman et la renaissance de l’animation commerciale des années 80. Alternatives à Disney, leurs projets s’accumulaient depuis le succès de Secret of NIMH et leur ont même permis un passage remarqué dans l’univers alors primitif du jeu vidéo (Dragon’s Lair, 1983). Après le succès d’An American Tail (1986), financé par Spielberg, le conseiller et stratège en produits dérivés Lucas se joint à l’opération visant à remodeler les rêves des jeunes enfants. Pendant ce temps, Disney produisait la pire série de films de son histoire. Même James Horner, célèbre compositeur américain, fut attaché à la création des thèmes musicaux d’An American Tail, The Land Before Time et We’re Back! A Dinosaur’s Story. Connaissant son importance pour la création d’un souvenir nostalgique et d’un air fredonné facilement, la trame sonore de ces films sera régulée dans le même esprit par trois fois. Chez Spielberg, inutile de redire que l’on parie sur des valeurs sûres.

Au fil de cette série d’oeuvres misant sur des situations familiales où chacun y trouve son compte, le film pour enfants y atteindra une certaine indépendance artistique et visera de plus en plus à créer ses propres contes au lieu de les remodeler. On se met alors à insister sur l’idée du récit initiatique, du voyage américain vers l’Ouest (An American Tale, The Land Before Time) où la collectivité, composée de membres hétéroclites, est à la fois microcosme, à la fois regroupement qui deviendra famille. La recette est simple : on « genre-ifie » le cinéma d’animation, on lui enlève la structure du conte classique pour lui redonner, en échange, celle du cinéma hollywoodien, celle du western ou du film d’aventures. Le disant peut-être bien mieux, Marcel Jean se penche sur cette période dans Le Langage des lignes (Les 400 coups, 2006) que l’on pourrait baptiser, sans trop de gêne ici, l’époque néoclassique :

[…] Ces films, souvent dirigés par Walt Disney ou ses émules (Don Bluth en tête), comptent parmi les plus connus, et les plus reconnus, de l’histoire de l’animation. Ils le sont, en fait, justement parce qu’ils profitent, à cause de leur conformité aux genres, du circuit d’exploitation mis en place par la grande industrie du cinéma. Leur format - le long-métrage - est garant de leur distribution, leur genre - […] - garant de leur succès.  (p. 108)

Cette époque néoclassique est portée sur le dos des apprentis de Disney ayant fait cavaliers seuls. Ils s’évertuent à apporter à l’animation commerciale, par le soin du détail, un degré de précision visant à faire progresser leur quête de la beauté. Repassant sur les mêmes lignes d’encre qui avaient été tracées autrefois par le grand studio, la nostalgie les pousse à remplir ces traits de détails minutieux visant à s’emparer, à même l’image animée, de toutes les prouesses possibles. Où un étang pouvait alors être arrière-plan fixe et peint, ils iront jusqu’à le dessiner, lui faire des ondelettes et des reflets en inversant la pellicule du dessin, en changeant la mise au point pour créer cet effet de flou produit par l’eau. Petits conteneurs des éléments de la nature (eau, vent, feu, ombres) remplis jusqu’à rebords et se déversant sur le canevas, la démarche des animateurs est d’épater, mais surtout d’émerveiller l’enfant devant une image plus luxuriante qu’autrefois. Comme si le classicisme était maintenant un art « complet » où la recherche d’innovations narratives était de mise, on pense à la prochaine étape en termes de pure qualité du produit. Un produit de bonne qualité, avec des animations fluides, des budgets plus imposants, rentabilisera sur la nouvelle mentalité du blockbuster, elle, étrangère à l’époque classique de Disney : « plus la qualité sera élevée, plus mon billet de cinéma sera proportionnellement rentable pour (à) mes yeux ».

Mais tout cela est bien mastiqué, bien envoyé ensuite aux enfants assis innocemment devant ce qui, depuis, est devenu un film culte pour toute une génération de bambins s’étant tiraillés à coups de dinosaures en plastique. Une voix hors-champ interpelle le spectateur, s’adresse à lui en disant que l’histoire se déroule à une époque où il n’était pas encore né. Et, décision hasardeuse probablement due aux pressions Lucas/Spielberg, elle revient sporadiquement tout au long du film pour expliquer la scène en cours, attitrer des émotions à des visages magnifiquement animés qui n’en avaient aucun besoin. En fait, possible que Petit-Pied le dinosaure ait été un film muet si les choses s’étaient passées autrement. Car, de par sa courte durée et son histoire simple, la magnifique musique d’Horner (qui, vous m’excuserez l’aparté croustillante, est devenu, tenez-vous bien, le thème musical officiel des cérémonies du Festival de Cannes) et l’utilisation d’une structure empruntée au film de fiction, l’oeuvre ne ressent que rarement le besoin de s’exprimer par des mots alors que les images et le comique de la mouvance particulière injectée par le trait de Bluth suffisent amplement. Uniquement dans les scènes où Petit-Pied, « long coup » à la recherche de la Grande Vallée, s’amusera avec ses compagnons de route, trouvera-t-on des anecdotes et des mots doux susceptibles de faire craquer le coeur des plus sensibles. Tous ensembles, ils tentent d’échapper aux éruptions ravageant l’Est du continent en se dirigeant vers l’Ouest. Leurs traits raciaux les empêchant d’abord de fraterniser, c’est finalement l’épopée du voyage qui viendra les unir et « mettre du sens dans leurs vies », comme le disait Goldman dans notre entretien avec le duo.

En fait, c’est vers le western que l’on devra finalement se retourner pour compléter l’analyse. Genre dissolu depuis son stade crépusculaire, le western est la base sur laquelle a été bâti Petit-Pied le dinosaure et l’American Tail des mêmes Bluth et Goldman. La Monument Valley de Ford devenant leur Grande Vallée, il ne faut pas oublier de remarquer que l’entièreté du film se déroulera au crépuscule, le ciel étant sans cesse obscurci par des nuages volcaniques. C’est seulement lorsqu’ils parviendront à la vallée de verdure que le soleil se lèvera enfin sur le « nouveau monde ». Leur permettant, comme le pointait Marcel Jean, de voguer sur les vagues d’une structure connue de tous, il faut, je crois, attribuer un rôle différent à ces films en fonction du spectateur qui les consommera. C’est-à-dire que, non seulement l’enfant n’est pas familier avec la structure classique du western - elle lui sera apprise plus tard soit par lesdits westerns, soit, plus probablement, par d’autres prototypes de l’acabit « Petit-Pied » allant de Conan the Barbarian (1982) à Titanic (1997); le tout n’est qu’une question de structure narrative - mais aussi et souvent en plein apprentissage des signifiants du fait cinématographique. Le jeune spectateur, face à l’histoire divertissante, voire enrichissante de Petit-Pied et ses compagnons, se fait la dent en compagnie de la voix hors-champ lui dictant quoi ressentir, comment suivre le fil d’une aventure. En plus des talents de Bluth et Goldman nous immergeant dans cet univers indémodable par les moyens d’expressions usuels du cinéma d’animation, la voix du narrateur a pour but de s’assurer doublement de la digestion des péripéties par le spectateur. Le plaisir de se faire raconter une histoire de multiples fois contribue à la réussite du procédé tout en s’assurant, pour Spielberg et comparses, de modeler, à même leurs espérances commerciales, une génération toute entière éduquée par cette volonté quasi religieuse d’instaurer, dans le film d’animation pour enfants, la racine des mythes fondateurs de l’Amérique.
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Critique publiée le 27 juillet 2010.