ÉDITORIAL : À l'ombre de La Métropolitaine
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Across the Universe (2007)
Julie Taymor

Revolution 9

Par Louis Filiatrault
Souvent présenté comme simple prétexte à la musique, Across the Universe, ambitieuse création et troisième long-métrage de l'Américaine Julie Taymor, relève certainement d'un pari douteux, à savoir de bâtir une narration aux temps forts soulignés par les seules compositions des Beatles. Ceci dit, un peu de bonne foi révèle le simplisme réducteur d'une telle description ; ce que la réalisatrice (et instigatrice de l'écriture) parvient aussi à susciter, c'est une plongée rafraîchissante, intéressante à défaut d'être neuve, dans le riche imaginaire de l'Amérique des années soixante. À la fois plus et moins qu'une « méditation » sur une époque, évitant surtout les écueils de quelque moralisme que ce soit, Across the Universe condense une quantité satisfaisante de données socioculturelles tout en exposant plusieurs paradoxes et conflits nous les rendant encore si fascinantes. Connues d'avance (ou non), les chansons nous servent davantage de guides que de destinations, appuis esthétiques d'un voyage ludique tempéré par une histoire d'amour plutôt convenue.

L'intelligence de Taymor et de ses collaborateurs est d'avoir envisagé le catalogue des Beatles, unité cohérente et autonome en soi, comme le point de départ d'une stratégie d'éclatement généralisé débouchant finalement sur... le rassemblement. Dès l'ouverture, une opposition de styles, de milieux et de formes dresse les paramètres d'un univers composé, non pas de minorités cherchant l'intégration comme dans Hairspray (version 2007), mais bien d'équivalences complémentaires destinées à se rencontrer. L'illustration de la chanson Come Together (qui aurait tout aussi bien pu être le titre du film, à bien y penser), regroupant les diverses tranches de New York, variant la coloration et la temporalité, est un exemple par excellence de cette esthétique de la convergence qui n'a pourtant que très peu à voir avec l'idéologie traditionnelle du « melting pot », de l'uniformisation stérile. En embrassant pleinement la diversité des mises en scène, Julie Taymor propose finalement une conception très ouverte du film musical, un certain dialogue culturel où le gospel côtoie le chant de taverne sans rien perdre de son autonomie, où la figuration politique rejoint le délire psychédélique et la rêverie sentimentale, formant un mélange somme toute bien équilibré.

Bien sûr, Across the Universe n'est pas fait que de musique et de flamboyance ; il comporte aussi des personnages et des scènes dramatiques « normales », atténuant le flux audiovisuel dans une alternance qui, initialement, frustre. Mais un peu de recul permet d'apprécier la solidité particulière de ces « intermèdes » narratifs renforçant les bases concrètes d'une oeuvre à tendance plutôt fantaisiste. D'abord perçu comme une incohérence face à l'artifice des numéros musicaux, le naturalisme de cette « autre » mise en scène permet d'apprécier l'aisance charismatique des acteurs, pourtant choisis largement pour leurs habiletés musicales. S'ils apparaissent minces, ne serait-ce qu'en fonction des standards classiques, les personnages incarnent néanmoins des archétypes caractéristiques et diversifiés de leur époque, tandis que la simplicité de leurs tribulations nous les rend sympathiques et réels. Du côté des dialogues, une écriture intelligente, à défaut d'être toujours subtile, prolonge quelque peu la synthèse historique amorcée par le contenu visuel et musical, ressortant une poignée de clins d'oeil trouvant un écho dans le contexte. Finalement, par un travail fort inventif sur les transitions, Julie Taymor trouve plusieurs moyens de nous balancer d'un mode à l'autre avec dynamisme, ne façonnant jamais un rythme « naturel » et « transparent », mais préférant une suite de ruptures imprévisibles dont il demeure difficile de détourner le regard.

Ceci dit, au bout du compte, le centre d'Across the Universe se trouve bel et bien dans la musique et dans l'intense plaisir épisodique du visionnement. En campant ses mises en images dans des décors inusités (un hôpital, un bureau d'enrôlement...), en cultivant les flashs et en faisant occasionnellement surgir la rythmique visuelle ou sonore de sources inattendues, Julie Taymor renouvelle considérablement la présentation du film musical et lui procure une grande fraîcheur. À quelques exceptions près, la réalisatrice parvient à justifier convenablement son enchaînement de pauses musicales, de fragments ludiques (de vidéoclips, finalement), en les inscrivant dans un projet intellectuel d'une cohérence sautillante, mais suffisante, à savoir l'expression des multiples facettes d'une ère culturelle importante. Et s'il s'ouvre, se déplie et se referme autour d'enjeux sentimentaux, le film ne reste au fond que parfaitement constant avec l'oeuvre des Beatles, qui en ont fait plus souvent qu'à leur tour le centre de leurs compositions. Le seul problème du scénario, c’est peut-être de ne pas avoir su donner davantage de portée à l'alliance romantique transcontinentale centrale à son développement, tendant à ralentir considérablement cette oeuvre autrement très riche, foisonnante et passionnante par sa manière de donner un nouveau souffle (par le biais, notamment, de réarrangements prodigieux) à une musique que l'on a souvent prise pour acquise.
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Critique publiée le 13 février 2008.