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Fais-moi plaisir! (2009)
Emmanuel Mouret

Savoir se faire plaisir

Par Alexandre Fontaine Rousseau
Quiconque me connaît sait que je n'arbore pas à l'égard d'Emmanuel Mouret les plus auspicieux sentiments (et les autres pourront se référer à ma critique d'Un baiser s'il-vous-plaît afin de goûter au genre de réactions carabinées qu'ont pu provoquer chez moi ses films précédents). Quelque chose, pourtant, me pousse à revenir constamment vers son œuvre : un mélange malsain d'antagonisme véhément et de jalousie à demi avouée qui fait sans doute de moi l'individu le moins qualifié qui soit pour formuler une opinion objective sur son cinéma. Quelle ne fût pas ma surprise, donc, de prendre en l'espace de quelques plans à peine un plaisir fou à l'écoute de son quatrième long-métrage - justement intitulé Fais-moi plaisir!. Tout débute sur un dialogue laborieux entre deux paires de pieds, qui communique avec une coquine élégance les joies et les maladresses de l'intimité amoureuse. Force est d'admettre qu'en surface, l'alter ego de Mouret reste le même sympathique étourdi que mettaient en scène ses deux comédies précédentes : les mêmes manières, les mêmes hésitations, les mêmes phrases laborieuses ponctuent son jeu caricatural à souhait. Mais cette nouvelle frivolité marque pourtant le moment où ce même Mouret s'assume pleinement en tant qu'auteur comique, raffine sa réalisation en ce sens et signe enfin le film qu'il cherchait à faire depuis Changement d'adresse. Délesté des prétentions qui étouffaient le frustrant Un baiser s'il-vous-plaît, son style affiche une vivacité et une légèreté qu'il décuple en allant piger à sa guise dans le registre de la comédie burlesque.

Délaissant Rohmer (qu'il maîtrisait mal de toute façon), métabolisant mieux Woody Allen, le cinéaste français va cette fois emprunter quelques tours à Blake Edwards - dont le classique The Party constitue une inspiration claire et nette ici. Or, pour la première fois dans la carrière de Mouret, le résultat final livre plus que la somme de ses influences et génère un enthousiasme augmentant de manière exponentielle au fil des scènes. Fidèle à son habitude, le cinéaste imagine une prémisse parfaitement farfelue autour de laquelle s'articuleront ses chassés-croisés sentimentaux sens dessus dessous. Cette fois, il s'agit de l'histoire d'un couple bien établi (ils habitent à des adresses distinctes donnant sur le même appartement) qui frappe une crise lorsqu'elle (Frédérique Bel) apprend qu'il (Mouret) en a embrassé une autre (Judith Godrèche) dans le but de tester (dans une optique purement scientifique) la méthode de séduction réputée infaillible développée par l'ami d'un collègue de travail. Finalement, elle décide qu'afin de triompher sur le fantasme qui sommeille en lui, et d'inscrire leur couple dans une « force de progrès », il doit le vivre jusqu'au bout et coucher avec l'inconnue qu'il a charmée. Le pauvre Jean-Jacques se rend donc à une réception organisée par celle-ci et découvre qu'elle est la fille un peu excentrique du président de la République. En deux temps trois mouvements, le voici bien plus engagé qu'il ne le croyait avec cette femme accaparante, nageant tant bien que mal parmi la haute société au cours d'une séquence de fête habilement chorégraphie et parfaitement rythmée qui constitue le clou d'un spectacle comique carrément endiablé.

Ancrant la progression de son film à même un nombre réduit de séquences carburant presque exclusivement aux rebondissements amusants, Mouret signe un film en apparence moins cérébral qui s'avère cependant particulièrement intelligent dans son déploiement d'un humour visuel minuté au quart de tour près. Un gag n'attend pas l'autre, les cadrages exacerbant par leur rigidité le ridicule consommé de situations qui dérapent toujours dans une direction drôle à souhait. C'est parce qu'il ne sent plus le constant besoin de s'expliquer, parce qu'il ne tente plus à tout prix de prouver sa sophistication, que Mouret a enfin accouché d'une oeuvre fine et éloquente. Ce qui autrefois était laborieux s'avère enfin naturel ; et même les clins d'oeil, comme cet incident dans la cuisine éveillant le souvenir de l'épique combat entre Woody Allen et un soufflé géant dans Sleeper, se glissent sans ambages dans le flot limpide de l'ensemble. Tout comme Peter Sellers, qui arrivait tel un cheveu sur la soupe dans une fête à laquelle il n'était pas invité, Mouret s'infiltre dans chaque plan avec une incongruité calculée. Il demeure le centre d'attention, mais n'est plus le centre de gravité des images ; l'environnement le domine et il existe entre lui et chaque décor, chaque personnage, une tension qui génère l'humour au lieu de le forcer. Les situations ont prise le dessus sur les dialogues, et c'est dans le malaise des silences que naissent les meilleurs moments de ce film dont chaque instant contient plus d'invention à la seconde que l'oeuvre entière du cinéaste jusqu'à ce jour.

Dans le dernier droit, lorsque ce malaise devient chargé d'un désir physique palpable et que Jean-Jacques retourne à l'appartement d'une jolie domestique (Déborah François) rencontrée à la réception, Mouret arrive à entretenir durant près d'un quart d'heure l'enivrante tension de la minute précédant un premier baiser. Délicieuse agonie que cette séquence se terminant bien évidemment dans la loufoquerie plutôt que dans l'extase. Tout le lourd discours d'Un Baiser s'il-vous-plaît sur les opportunités ratées de la vie peut se résumer à cette sensation, ici exprimée par des moyens purement cinématographiques plutôt que par l'entremise de tirades verbales épuisantes. En quittant le registre des mots auquel il s'était cantonné, Mouret n'est pas simplement devenu plus drôle. Il est aussi devenu plus vrai, et ce, même s'il s'évade plus que jamais dans une fantaisie fabriquée de toutes pièces. Bien entendu, on pourra encore accuser le cinéaste d'utiliser le septième art pour matérialiser des fantasmes dans lequel il se donne le beau rôle, de se faire plaisir par son entremise. Mais cette fois-ci, il faut bien avouer que ce plaisir est partagé - et qu'il faut savoir profiter du plaisir quand il se présente à nous dans un emballage si aguichant.
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Critique publiée le 23 mai 2010.