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Élégant (2009)
Yan Giroux

Alcool, dérision et vent marin

Par Clara Ortiz Marier
Documentaire improvisé sur un délire entre amis ayant rapidement dérapé, Élégant témoigne des événements survenus lors du passage du groupe montréalais Chocolat, aux Îles de la Madeleine, à l’été 2008. Invités à donner deux concerts au bar Les Pas Perdus, les membres du groupe débarquent aux Îles avec leurs copines, leur gérant (Pierre), ainsi que Yan Giroux, réalisateur du film qui devait, à la base, seulement les accompagner pour filmer deux vidéoclips. Mais les choses prennent rapidement un tout autre tournant et le projet de Giroux se transforme en documentaire. Peu de temps après leur arrivée, Jimmy Hunt (chanteur et guitariste), Ysaël Pépin (bassiste) et Dale MacDonald (guitariste) s’attaquent à leurs deux bouteilles de Jameson et la situation se détériore brusquement. Que les fans du groupe soient bien avisés, ceci n’est pas un film sur le groupe en tant que tel, ni même sur leur musique. Malgré quelques ponctuations musicales reprenant certaines mélodies des chansons de Chocolat, la musique est loin d’être la ligne directrice de ce film. Nous avons plutôt affaire à trois joyeux lurons, grisés par l’alcool, la liberté et le vent marin, dont les enfantillages auront pour conséquence de confirmer leur réputation de fauteurs de trouble. Le groupe s’était déjà fait remarquer lorsqu’un épisode similaire était survenu au Festival de musique émergente d’Abitibi-Témiscamingue. Eh non, casser les bouteilles de bière des autres artistes n’est pas la meilleure manière de se faire des amis.

Mais qu’on se le tienne pour dit, Élégant n’est pas là pour justifier le comportement de quiconque, ni même pour réparer les pots cassés. Les quelques membres du groupe, responsables de la triste tournure des événements, n’avaient pas de mauvaises intentions en arrivant aux Îles. Pourtant, les trois comparses, ivres et insouciants, vont tout de même réussir à repousser les limites du bon goût, sous le regard sidéré de leurs copines et de leur gérant. La colère et l’incompréhension mutuelles auront pour effet de scinder l’équipe en deux clans, et Giroux, s’efforçant de s’effacer derrière sa caméra, se fera sommer par Jimmy de tout enregistrer. Le comportement irrévérencieux du groupe leur vaudra de se faire évincer de leur hôtel moins d’un jour après leur arrivée; les deux concerts seront du même coup annulés. Cette histoire tout aussi dérisoire que désolante avait beaucoup fait parler dans la scène musicale indépendante montréalaise. Les répercussions sur la carrière du groupe furent d’ailleurs considérables: querelle avec leur gérant, conflits internes, rupture de contrat avec leur maison de disque Grosse Boîte/Dare to Care. 

Pouvions-nous espérer que ce film puisse, d’une manière ou d’une autre, donner justice aux protagonistes de cette farce? Ou encore démystifier cette malheureuse histoire de beuverie aux Îles de la Madeleine? Sans trop savoir à quoi s’attendre, le spectateur doit se contenter de ce qu’on lui présente, tiraillé entre le rire (jaune?) et le soupir désolé. En témoin silencieux dont la présence se fait presque oublier, Giroux nous propose les faits comme ils se sont déroulés, sans rajouter de commentaires en voix off ou d’artifices. Il faut dire que les images parlent déjà d’elles mêmes, comme dans cette scène particulièrement éloquente, où Jimmy tente de s’expliquer et de défendre le comportement de Dale, alors que celui-ci s’amuse au même moment à uriner en bas de la terrasse de l’auberge où ils étaient logés. Une ironie circonstancielle, capturée par la caméra de Giroux, qui résume bien l’ambiance générale du film. Emportés par l’émotion du moment, les protagonistes finissent par perdre le contrôle; les actions et réactions sont décalées et inappropriées. Malgré la confrontation des copines outrées, du gérant et des propriétaires des lieux, le dialogue reste fermé. Sans vraiment admettre avoir adopté un comportement déplacé, les trois gaillards réagissent plutôt en adolescents espiègles pris en faute. Chacun s’accroche à son argument tout en cherchant à se justifier ou blâmer l’autre. 

Nul besoin de dire que ce film ne donne pas une image très glorieuse du groupe. Le titre (référence à une de leurs chansons) en est d’ailleurs d’autant plus ironique. L’élégance n’est pas au rendez-vous dans cette histoire de beuverie ayant tourné au vinaigre, et c’est bien dommage, puisque le film en soi n’est pas totalement dénué de poésie. Composé principalement de scènes filmées dans les douze premières heures suivant l’arrivée du groupe, le film est tout de même marqué par certains passages plus calmes et contemplatifs (plans de plage et de paysages marins où déambule le groupe), qui viennent entrecouper les événements du premier jour et alléger un peu la chose. Le son n’est pas toujours idéal et le vent des Îles se charge de voler les dialogues, tandis que l’image, prise dans le feu de l’action, est souvent instable, décadrée et parfois (peut-être volontairement) hors foyer. Avec peu de moyens et une équipe technique inexistante (Giroux travaillait sans scénario ni assistant), le côté un peu brouillon du film s’explique. Mais dans l’ensemble, le film reste assez décevant, et la pertinence de celui-ci semble questionnable. Pourquoi faire un tel film? Pour qui et dans quel intérêt? Ces questions ne font que renforcer le malaise que nous laisse cette mésaventure filmée. Cette incursion au sein du groupe était-elle nécessaire, ou même représentative de leur dynamique? Malgré la qualité de leurs compositions, aux mélodies accrocheuses et paroles narquoises, les faits demeurent : un film a été fait sur Chocolat et ce que l’on retient surtout du groupe ne concerne en rien leur talent de musiciens. Leur passage houleux aux Îles aura suffi à marquer les mémoires et Élégant sera désormais là pour en témoigner. Cette histoire s’oubliera bien un jour, mais si les paroles s’envolent inévitablement, les films quant à eux restent, à l’instar des écrits. 
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Critique publiée le 26 septembre 2009.