WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
L’équipe Infolettre   |

Largo Winch (2008)
Jérôme Salle

Lourd Winch

Par Mathieu Li-Goyette
Il y a Largo Winch en Europe et Largo Winch en Amérique. Milliardaire héritier, beau gosse tombeur de ses dames et machine à tuer, le personnage de Jean Van Hamme a une réputation toute relative à son port d’attache. Crée vers la fin des années 70 par ce comptable de profession bien nanti qui a depuis signé les textes des splendides albums de Thorgal et des tous aussi divertissants XIII, Winch a fait ses premières armes sous le sceau du roman. Au fil de six tomes aux allures de polar bien classiques et portés par une écriture prônant la complexité du récit et des intrigues au détriment d’un style des plus informatifs, le succès modéré de la série (au moins supporté par un fidèle lectorat) aura suffi à l’éditeur Dupuis pour publier des adaptations bédés du projet. Au fil de maintenant seize albums, une série télévisée, trois jeux vidéo et un film (compte tenu du succès de ce premier opus, le deuxième est déjà prêt pour sa sortie), Largo Winch a pris des allures démesurées. Des allures qui, mine de rien, ne s’allient pas nécessairement à la puissance de son intrigue première qui est vautrée ici dans une remise à neuf collée nez-à-nez à l’actualité. Et si le personnage n’en valait tout simplement pas la peine? Serions-nous à même de soulever la supercherie? Un succès populaire se calcule-t-il au nombre de facettes qu’occupent ses clones et ses différences anecdotiques?

Un aficionados de la série répondra maintenant qu’il y a entre le roman et le film un quart de siècle qui demande à la prémisse une certaine adaptation (le père de Largo, Nerio, a fait de Hong Kong l’épicentre de son empire et non New York, Largo est Serbe et non Monténégrais par peur d’évoquer la récente indépendance de la région balkanique - et en voilà qui en dit un peu sur le détachement politique, la malhonnêteté d’un projet populaire aux aspirations politico-économiques, son père n’est plus un vilain nain complexé et misanthrope, mais bien un généreux homme d’affaire qui est parvenu à partir une entreprise devenue la plus puissante du monde, etc.). La liste est évidemment longue et si l’on tient compte des détours pris depuis par les bandes dessinées et le très discutable jeu vidéo mettant en scène une historiette fidèle à l’univers de Winch, mais sans plus (jouabilité médiocre, palette d’interaction réduite au minimale, faible raffinement au niveau de la technique), on comprendra peut-être au détour que celui qui fut adopté par un richissime empereur du commerce, sacré roi du monde économique à la mort de son père indigne et maintenant le PDG au bon coeur capable de démanteler les pires magouilles des tréfonds de la finance demeure une expression bien peu évoluée des hantises de la carte géopolitique. Toujours là pour les grandes occasions, les adaptations de Largo Winch présentent le personnage à l’affut des derniers scandales, des dernières crises économiques. Si problème il y a dans l’économie, le gentleman-combattant qu’il est - une fidèle fusion contemporaine en costard italien de luxe de Bond, Lupin et Holmes - se révèle un personnage qui a tout pour plaire. Il est le sauveur des grandes occasions puis le plus charismatique des enfants gâtés (mais ça, il ne l’avouera jamais : « je n’ai jamais voulu de cet argent! »… et comme si ça l’excusait).

Desservi par ce genre d’excuses, le film à l’énorme budget de Salle s’étale de toute son innocente étiquette de divertissement au gré des bondissements du personnage de Winch aux allures de petit pantin à l'antécédent exotique capable d’encaisser cascades par-dessus cascades. Complètement invincible et éloigné des préoccupations psychologiques qui ont pourtant permis récemment la brillante résurrection des autres manifestations grandioses de l’héroïsme pop (Bond, Batman), Winch est une belle chose vide minée par le talent discutable de son interprète premier Tomer Sisley, trop peu investi de la verve et de l’attitude d’un véritable et honnête héros. Pas question pourtant de critiquer les quelques fautes de l’interprète principal, c’est dans la cohésion du grand projet de lancer une série de longs-métrages d’action dans le cinéma français qui prend un peu de vieux alors que l’idée et ses stéréotypes semblent tout simplement dépassés et alors qu’uniquement deux comédiens semblent trouver le ton de l’interprétation « bédé » (quelque part entre la classe et le sourire en coin avançant l’autodérision) avec l’ancien garde du corps Freddy (Gilbert Melki) puis le majordome Gauthier (Nicolas Vaude); on se fait rapidement à l'idée qu'il en faudra bien plus dans le coffre à outils de la production pour venir nous tirer les vers du nez. Manque de cohésion aussi, car c’est tout de même dans une Hong Kong toute française que se déroule un film aux dialogues paresseux et à la désignation bien classique des possibilités toutes polyglottes de la scène des grands marchés mondiaux. Tout le monde parle français, dès qu’il y en a un qui se met à parler russe, il suffit de crier au vilain pour comprendre que Salle n’a pas grande estime ni du réalisme, ni de l’originalité.

Comme de fait, on devancera trop facilement la progression du récit, précédant toujours le pas de quelques plans l’avènement des maladroits dénouements. Assassinats empilés sur trahisons et retournements, l’effort est au moins bien noble et tourné avec une énergie viable. Pendant que l’ensemble s’arme d’une bande sonore qui rappellera (trop facilement) celles des derniers opus de Bond, la gestion des scènes de combat, le jeu de montage et la volonté d’égaler avec goût la collecte d’indices aux quelques affrontements bien réussis parvient à dorer la pilule avec assez d’anesthésique pour permettre au temps de passer, de faire succéder l’interminable devinette ratée au visionnement d’un divertissement printanier (qui sort ici au Québec en hiver et deux ans plus tard…). Petite réussite si elle en est une, le premier volet de la série Largo Winch n’est pourtant pas celui qui sacrera la série comme viable en dehors des planches à dessin du neuvième art, ni celui qui parviendra à rallier le public d’ici au dandy milliardaire de Van Hamme. À l’heure de la crise économique et d’un regain de vie des théories conspirationnistes, Salle profite jusqu’à épuisement du monde réel sans jamais lui redonner ses dividendes : un discours, une altercation avec le réel qu’il semble fuir dans une peur minable. Écarté de cette lointaine époque de Guerre froide et d’hégémonie du capitalisme américain, Winch s’est aujourd’hui caché sous l’étiquette du réactionnaire, de celui qui se trempe dans les lubies du libre-marché de ses ténébreuses origines (le temps de quelques flashbacks intéressants par moment) comme si l’exercice pouvait excuser tout un assemblage de gâteries et de délires qui ne tiennent, détournement du récit original oblige, que sur une infrastructure fantôme. À avoir tenté de s’approprier jusqu’à un point de défiguration critique, c’est la solide base de tout un univers qui s’est dérobé sous les pieds du cinéaste et sa vaillante équipe de techniciens chevronnés. Une série mal initiée, un traquenard dont il sera bien difficile de s’échapper pour le deuxième volet.
4
Envoyer par courriel  envoyer par courriel  imprimer cette critique  imprimer 
Critique publiée le 15 janvier 2010.