
On aperçoit Arnold Schwarzenegger sur les billets de « néo-dollars » du film, dans un clin d’œil à l’adaptation psychotronique de 1987 du roman éponyme de Stephen King, mais on s’ennuie de lui quand même. On s’ennuie de ses one-liners ringards, de son casting incongru [1] et du kitsch assumé que sa présence implique devant cette nouvelle itération terne et décevante, où Edgar Wright et sa bande se retrouvent le cul entre deux chaises. Coincé entre l’impératif de réalisme endémique des productions hollywoodiennes contemporaines et le burlesque de la satire, l’œuvre voit son penchant pour l’action pure (façon Baby Driver [2017]) entravé par un drame social futuriste aux contours grossiers, stagnant toujours en eau tiède, ne se livrant qu’à des excès de pathos au gré d’un scénario explicatif où tout doit être immédiatement lisible. On s’ennuie de la conception foraine et bordélique du spectacle et des truculents chasseurs thématiques de 1987 devant cette production standardisée où le froid technicisme du réalisateur (amorti autrefois par le charme réjouissant de Nick Frost et Simon Pegg) évoque presque celui de la machine d’État diégétique. On s’ennuie de la camaraderie qui liait les protagonistes de la précédente adaptation, qui, en travaillant de concert, évoquaient un sens de la communauté exempt du présent film, où les personnages secondaires se greffent subrepticement et disparaissent soudainement de la trame centrale, en route vers une conclusion d’autant plus improbable que la révolte populaire paroxystique semble sortir de nulle part. On s’ennuie des imperfections flagrantes du film de Paul Michael Glaser, de tout ce qui le rendait si humain, des tares qui nous donnaient l’impression que ce n’était pas une machine qui nous mettait en garde contre les machines.
Se déroulant en 2025, le roman de King nous apparaît d’autant plus prescient aujourd’hui que ses allusions à la stigmatisation des pauvres et des opposant·e·s politiques, à la propagande médiatique et à la manipulation technologique des faits n’ont jamais semblé aussi opportunes. C’est là d’ailleurs que cette nouvelle adaptation pourrait se justifier, dans la critique de la société de spectacle, certes, dans les références escomptées au « panem et circenses » de Juvénal, mais surtout dans la catégorisation calomnieuse de son héros indigent, identifié comme un profiteur et un ennemi de l’État, dans les invitations à la délation encouragées par les studios et dans la représentation complaisante de sa filature par un agent masqué et lourdement armé. Mais il aurait fallu pour ça que l’univers du film soit assez étoffé pour permettre à la critique de prendre…
Fidèle au matériel source, l’œuvre nous présente Ben Richards (Glen Powell) comme un pauvre ouvrier qui, son bébé malade dans les bras, insiste auprès de son patron pour garder son emploi industriel malgré ses écarts de conduite. Après avoir essuyé un inéluctable refus, il sort dans une antichambre où un écran de télévision mural fait la promotion de l’émission titulaire, où quiconque pourra survivre à la traque d’un groupe de chasseurs d’élite durant 30 jours recevra la somme faramineuse de 1,000,000,000 néo-dollars. « Je ne suis pas si désespéré », confie-t-il alors à son enfant. Or, il ne faudra que quelques scènes pour qu’il finisse par céder, quelques vignettes familières de misère prolétaire, de persuasion corporatiste et du spectacle navrant de la téléréalité comme le nouveau Colisée romain. Alimenté par une direction artistique usitée, où les appartements troglodytiques qui abritent les pauvres dans les soubassements bétonnés d’une mégalopole cyclopéenne contrastent avec la beauté aseptisée d’un centre-ville qui s’étend à perte de vue, le film nous livre un récit toujours immédiatement intelligible, où tout saute aux yeux, où ni les nuances psychologiques ni les excès caricaturaux ne semblent de mise. On se retrouve ainsi posés sur des rails à la suite du héros, catapultés dans un récit linéaire où tout déboule de façon inexorable.
Techniquement soigné, la production mise sur une interprétation ad hoc et toujours dans le ton, qui malheureusement ne parvient jamais vraiment à étoffer ses personnages archétypiques. Ainsi, l’énergie fébrile de Powell nous rappelle sans cesse que seuls sa colère, son indigence et son amour pour sa famille le caractérisent, l’exubérance de Colman Domingo dans le rôle du populaire et retors animateur de la série, Bobby T, nous renvoie à l’énergie maniaque des animateurs de la Fox et la sereine mesquinerie du Dan Killian de Josh Brolin évoque une longue lignée de cadres sans cœur qui servent toujours la même fonction au cinéma. Or, le problème réside plutôt dans le développement de tous les personnages périphériques, dans la représentation lacunaire de l’univers diégétique, où seuls se découpent les contours vagues d’une âpre lutte des classes. Mais qui sont les gens qui regardent The Running Man exactement ? S’agit-il des pauvres avides de trash TV ou d’une classe moyenne asservie à la haine ? Où se situe la critique du spectatorat ? Et sur quoi repose l’encensement du vivre-ensemble et du pouvoir d’action communautaire si aucune relation humaine significative n’est tissée en cours de récit, pas même entre le héros et sa famille, dont l’amour va de soi ?



:: Julia Cumming (Cynthia) // Josh Brolin (Dan Killian) et Glenn Powell (Richards) [Complete Fiction / Genre Films / Paramount Pictures]
Les personnages secondaires sont particulièrement instrumentalisés dans l’économie du film, ne servant toujours qu’une fonction passagère auprès du protagoniste, bénéficiant d’une caractérisation précipitée effectuée à l’aide des mêmes supports visuels didactiques qui permettent aux méchants de catégoriser les coureurs de l’émission. Ainsi Richards croise-t-il Bradley Throckmorton (Daniel Ezra) qui s’introduit à lui par le biais d’un épisode de son émission pirate dédiée à lever le voile sur les rouages occultes de Running Man, et qui l’acheminera ensuite vers le Maine, à la rencontre de son ami Elton Parrakis (Michael Cera). Ce dernier a même droit à son propre spectacle de diapositives pour expliquer le sort tragique de son père, dont la mort aux mains de la police l’a poussé vers l’activisme. Tout le monde a sa petite façon de nous faire comprendre qui il est, mais de manière expéditive, dans l’absence d’une narration qui saurait développer leurs relations plus en profondeur, sur la durée. À preuve, la rencontre de Richards avec la jeune Amelia Williams (Emilia Jones), qu’il kidnappe au volant de sa voiture pour échapper à un groupe de poursuivants, et qui, dans l’espace de quelques minutes, troque sa posture de mépris intransigeante pour un amour inconditionnel de Richards, dont elle devient soudainement la cheerleader. Mais seulement pour les besoins d’un scénario qui nécessite le concours d’une jolie fille empathique pour appuyer le héros lors du climax.
Il se dégage finalement du film une sorte d’utopisme creux, pour ne pas dire hypocrite, où la révolte populaire ne tient jamais à la création de liens interpersonnels, mais à la foi aveugle en un leader messianique, l’« initiateur » dont parle Parrakis ou la « star » encensée par Killian, cristallisée dans la figure de Richards — « Richards Lives! » nous informent les pancartes que brandissent les foules révolutionnaires à la fin. Outre l’idée fallacieuse selon laquelle l’éclatement de la vérité entourant les magouilles des puissants saurait mobiliser les masses — les théoriciens de « l’ère post-vérité » ou du « truthiness » ont bien prouvé le contraire — le film supporte paradoxalement une conception utilitaire de ses propres personnages, qui ressemblent à des pions dans son scénario au même titre qu’ils le sont pour l’État diégétique…
[1] Selon l’auteur du roman, le protagoniste Ben Richards est « aussi éloigné du personnage d’Arnold qu’il pourrait l’être », pour le meilleur et pour le pire.
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