DOSSIER : QUEERS EN CAVALE
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Naked Gun, The (2025)
Akiva Schaffer

Let’s Get Retarded

Par Mélopée B. Montminy

La prémisse est franchement alléchante. Le retour d’un classique con, agrémenté d’une légende voulant que le rôle principal aurait été offert en raison de la sonorité du nom de l’acteur qui rappelle celui de la vedette d’autrefois. Du génie. Et puis il y a le contexte, cette quasi mort de la comédie burlesque. Aujourd’hui dilué dans un soi-disant sens de la répartie dont font preuve bien des personnages de blockbusters, l’humour au cinéma est dit intelligent et se veut sensible, (auto)réflexif — un passage obligé, en quelque sorte, pour recalibrer nos rapports entre le rire et le pouvoir afin d’éviter la reconduction éternelle du statu quo. Car pesante est cette impression qu’une blague, surtout de mauvais goût est, comme un vieux tweet, à la fois cruellement éternelle et exponentiellement péremptoire. À quoi bon se commettre à l’art de la comédie alors que l’humour semble constamment discuté sous l’angle de son obsolescence ? The Naked Gun imaginé par Akiva Schaffer répond à cela par le prisme de la nostalgie, en s’y vautrant autant qu’en la confrontant, et surtout en embrassant prodigieusement la ringardise.

Accueilli en messie tenu à ressusciter le rire, le dernier volet des aventures du lieutenant détective Frank Drebin (Junior) est animé par une espièglerie loyale. Il s’agit ici d’assumer une proposition humoristique vétuste, souvent volontairement de mauvais goût, le tout dans un esprit infusé d’une bonne foi qui donne envie de se laisser corrompre par la bêtise. Liam Neeson y incarne le fils du personnage iconique interprété par Leslie Nielsen, sans toutefois exalter le même air innocent et chérubin que l’original. À l’instar de son prédécesseur, Neeson joue l’idiot de flic sur le registre pince-sans-rire qui sème sans relâche le chaos sur son passage et, invariablement, interprète ce qu’on lui dit de façon trop littérale. On retrouve ces quiproquos d’un adorable crétinisme qui faisaient la signature de la collaboration entre Nielsen et Zucker-Abrahams-Zucker depuis la légendaire Shirley du film Airplane! (1980). Cette formule révèle toute la candeur du personnage et lui insuffle une sincérité attachante, rendue par un contraste avec le faciès flegmatique du personnage. Ces imbroglios qui ne ratent jamais la cible s’avèrent aussi un ingrédient clé pour garder captif le public qui ne trouvera pas forcément son compte dans tous les registres de drôlerie. Nombreuses sont les blagues et multiples sont les procédés humoristiques — et oui, la séquence du trip à trois avec le bonhomme de neige est hilarante —, mais le défi réside dans la jonglerie des farces, ce que réussit The Naked Gun. Il y a d’abord le sourire, pour mettre la table, quand la cocasserie a de l’esprit mais demeure confinée au cérébral, puis la blague que l’on trouve drôle, qui frôle le rire et dilate légèrement la rate, et finalement, ce rire qui se refuse à surgir tant l’humour est imbécile, mais qui finit par éclater comme une délivrance. Quand on étire le gag et que la stupidité se déploie dans l’allégresse plutôt que l’obstination, la résistance est futile.

À chaque torchon sa guénille, et à chaque parodie de film d’action policier faisant suite à une trilogie fructueuse elle-même dérivée d’une série télévisée diffusée en 1982 son méchant. Mais l’usuel vilain, Richard Cane (Danny Huston), est dans cette version plus qu’un visionnaire technocrate ; à l’image des farces qui tapissent l’arrière-plan, la satire témoigne parfaitement du contexte actuel. Le broligarque au discours vaguement eugéniste est propriétaire d’Edentech, connue pour ses voitures électriques qui se conduisent toutes seules. Leur slogan : We make impossible solutions for a doomed world. C’était mieux avant, et le présent est affreux, avance Cane, planifiant une accélération vers l’apocalypse, après quoi une nouvelle civilisation composée par l’élite repeuplera la Terre. Cette nostalgie d’un paradis perdu bien trempée dans le conservatisme porte les costumes du progrès technologique sans limite, alors qu’elle est confrontée à une idée plus bon enfant de la nostalgie, incarnée par le flic aux méthodes traditionnelles, nuisible mais foncièrement candide. Dans un cas comme dans l’autre, la moquerie cible le pouvoir, de la mégalomanie milliardaire à l’impunité policière.



:: Pamela Anderson (Beth Davenport)  et Liam Neeson (Junior) [Fuzzy Door Productions]


Certes, The Naked Gun est loin d’être le seul blockbuster à capitaliser sur le cash des millénariaux en cet été particulièrement saturé. Mais le film joue sur cette carte avec un certain sens de l’autodérision. Outre la présence pétillante et plus que bienvenue de Pamela Anderson incarnant la mi-fatale mi-gourde Beth Davenport, une pléthore de références sorties de la décennie 2000 pimente le récit. On parle de Buffy the Vampire Slayer (1997-2001), Black Eyed Peas, Catherine Zeta-Jones dans Chicago (2002), Janet Jackson au Super Bowl et, cerise sur le sundae, Clippy, l’assistant virtuel de la suite Microsoft Office. On s'éloigne du tissu référentiel de Naked Gun 33 1/3: The Final Insult (1994), qui s’ouvre en évoquant The Untouchables (1987) de Brian De Palma, scène qui faisait allusion au Cuirassé Potemkine (1925) de Sergueï Eisenstein. Schaffer, faisant le pari de la facilité, joue plutôt sur l’absurdité de ces références arbitraires et surannées s’adressant à une génération qui a découvert la trilogie de ZAZ dans les clubs vidéo. Sauf que, au-delà de l’aspect mercantile de cette nostalgie et l’apparente impertinence des clins d'œil fergalicious, logique est l’idée même de faire appel à un matériau d’un autre temps, ce genre comédique étant ancré dans une tradition qui date du muet.

« Ça m’intéresse pas, c’est de l’ancien humour », disait Georges à Blaise dans Steak (2007) de Quentin Dupieux, comédie absurde se moquant du désir obsessif de validation dans un monde superficiel, qui est apparue sur nos écrans aux balbutiements de la mode hipster et de sa posture nonchalante et ironique. Qu’il est cringe d’être volontaire, si éminemment dévoué à la farce. Afin d’éviter ce piège, on se braque derrière l’ironie, misant par exemple sur la distance entre la détresse d’un personnage et la cruauté d’une situation afin de provoquer le rire. Telle est la recette adoptée notamment par le duo Will Ferrell/Adam McKay, qui use de l’absurdité pour oser se commettre dans des élans plus ingénus. Le burlesque a fait place à la cringe comedy. L’embarrassement au cœur de cette norme humoristique n’est pourtant pas étranger à l’humour parodique de la recette Naked Gun. D’ailleurs, l’un des personnages qui représente le mieux l’archétype du cringe, le Michael Scott de Steve Carell (The Office, 2005-2013), ou son alter ego Michael Scarn (Threat Level Midnight, sorte de Naked Gun raté qui s’ignore) a quelque chose du Frank Debrin de Leslie Nielsen. Quelque chose de pur et naïf, qui se dessine dans leur regard bleuté, vide et profond. Or la comédie contemporaine s’est définie précisément en opposition au slapstickdes années 1980 et 1990 auquel appartient la trilogie Naked Gun. Le cringe, qui cible davantage un registre subtil, vise à créer l’inconfort et le malaise en jouant sur les codes sociaux, dans des contextes quotidiens, sur un ton généralement réaliste. Qui plus est, l’un de ses moteurs comiques consiste à rire du besoin maladif de validation de personnages en associant le désir de connexion à une tare lamentable. Vouloir est gênant, et en faire trop est le summum du pathétique. En ce sens, si l’on fait exception de son penchant absurde, le maximalisme à la Naked Gun, c’est dépassé. Et pourtant, sa générosité et sa bonhomie semblent répondre à un besoin actuel de sincérité dans le geste d’assumer le risible, alors que la comédie se fait maintenant plus timide et sérieuse. En résulte une niaiserie qui ravit l’enfant en soi, caché sous les couches d’un cynisme contaminant l’air ambiant. Éloge du ridicule, le film actualise un genre cinématographique et nous réconcilie avec celui-ci, en y intégrant des considérations courantes sans jamais forcer la note, sauf peut-être le do. The Naked Gun ne réussit pas à atteindre le climax ultime du rire, celui qu’on appelle le pissant, qui requiert une tension extrême de malaise, mais quand même, la soupe est nourrissante.

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Critique publiée le 18 août 2025.