Le plaisir des meilleures séquences des Final Destination repose sur un jeu d’attentes créées et déjouées, sur le contraste entre le caractère surprenant, incongru, improbable d’une mort pourtant prédéterminée. C’est ce que maîtrise Bloodlines, le sixième épisode de la franchise, qui s’avère une réussite assez inattendue. Prenons cette scène de barbecue estival (déjà présentée dans la bande-annonce, pour éviter de divulgâcher les autres) : il y a ce morceau de verre brisé, tranchant, qui se retrouve caché dans la glace rafraichissant les breuvages des protagonistes ; cette bouteille de bière chancelante, sur un coin de comptoir ; ce râteau traînant, pics vers le ciel, sous un trampoline dont les coutures menacent de déchirer ; ce boyau de gaz naturel alimentant le barbecue ; ce feu trop vif du gril, crachant des flammes ; cette tondeuse tranquille, à l’arrière-plan, guettant la scène ; etc. Ces éléments représentent des menaces potentielles, ou du moins ce sont des objets qui peuvent s’inscrire dans une chaîne imprévisible de causes à effets se refermant comme un piège sur une victime encore non identifiée. En l’absence d’antagoniste incarné, tout peut arriver, et c’est le quotidien lui-même qui semble conspirer contre les personnages.
La franchise repose ainsi sur cette idée très forte d’une mort omniprésente, inéluctable, qui se terre dans les situations les plus banales, familières, comme si tout ce que nous connaissions se retournait contre nous et souhaitait notre mort. Quand on sait que le concept original, par Jeffrey Reddick, était destiné à un épisode d’X-Files avant d’être réécrit pour en faire un long métrage (à l’aide de deux scénaristes habitués de la série télévisée, James Wong et Glen Morgan), on y repère aussitôt les inflexions conspirationnistes ésotériques typiques des années 1990 : nous pouvons facilement imaginer Mulder devant un tableau blanc relier ensemble les divers noms des victimes en les ramenant toutes à un accident mortel auquel elles auraient échappé. Sous l’œil sceptique de Scully, il proposerait une explication saugrenue mais néanmoins avérée : « Et si ces personnes devaient mourir ce jour-là dans un avion ? Et si la Faucheuse essayait de corriger la situation en tuant celles et ceux qui lui ont échappé à cause d’une prémonition surnaturelle ? » C’est cette idée que Bloodlines reprend à nouveau, de manière décomplexée, en se contentant d’y ajouter des variations mineures, sans jamais se justifier ni par un discours réflexif sur la nostalgie ni par un ancrage franc dans le contemporain qui viendrait réinterpréter la série — autrement dit, c’est une « simple » suite, en ce sa continuité repose sur la reprise d’une formule éprouvée.
En fait, les cinéastes Zach Lipovsky et Adam Stein, de relatifs inconnus, comprennent bien que Final Destination comporte déjà une forme de jeu méta, alors que la protagoniste (sympathique Kaitlyn Santa Juana) essaie d’aligner adéquatement les signes pour prédire comment la mort viendra. Ils mettent ainsi en scène notre propre exercice spéculatif, mais uniquement dans le but de jouer avec nos attentes, pour les combler autant que pour les surprendre. C’est la grande habileté du film, et il faut bien dire qu’une telle franchise repose à peu près exclusivement sur cela (qui se rappelle ce qui se déroule entre les scènes de meurtre ?), et à ce niveau Bloodlines remplit bien sa fonction, en nous offrant quelques séquences mémorables, beaucoup plus violentes d’ailleurs que dans les épisodes précédents, avec un gore si satisfaisant que même un abus d’effets numériques désincarnés ne parvient pas tout à fait à le gâcher. Mais dans un tel film, le résultat, la représentation du corps mutilé, importe moins que la mécanique qui en est la cause, l’accent étant mis sur une sorte d’engrenage burlesque (un autre art de détournement du quotidien) qui suscite le rire bien plus que le dégoût : la mort, dans Bloodlines, n’est qu’un punch line cruel. Un ton comique pleinement assumé lorsqu’un piano à queue tombe du ciel pour écraser violemment un enfant mesquin.
[New Line Cinema / Practical Pictures / et al.]
Un Final Destination ne mériterait pas son titre s’il n’y avait pas, en guise d’ouverture, une scène de catastrophe meurtrière s’ancrant dans nos peurs ordinaires : qui n’a jamais imaginé le pire avant de prendre un avion, d’aller sur l’autoroute derrière des camions transportant des billots de bois, de s’asseoir dans une montagne russe, etc. ? Bloodlines poursuit dans cette veine en introduisant un restaurant dans une tour haut perchée au-dessus d’une ville, et encore là il s’agit d’un exercice délicieux de mise en place patiente avant d’enchaîner le plus de morts grotesques possibles à partir de la prémisse d’un immeuble qui s’effondre. C’est peut-être le prologue le plus réussi de la franchise, le plus jouissif du moins, surtout qu’il évacue pratiquement le sentiment de peur pour se concentrer sur le pur plaisir d’un spectacle de destruction sanglante — c’est sans doute, d’ailleurs, la principale différence avec les épisodes précédents, les cinéastes gardant surtout le ludisme au détriment de l’horreur en tant que telle. L’humour s’infiltre aussi dans le récit de manière plus franche, ce qui ne le rend pas nécessairement plus réussi (tous ces films finissent par se heurter à la difficulté de garder le suspense quand il n’y a ni créature à combattre, ni manière évidente de tromper une entité abstraite comme la Mort), mais au moins plus plaisant à suivre. Même l’inévitable inclusion de la dimension du traumatisme, scénario contemporain oblige, se fait assez naturellement, sans emphase, et l’idée de suivre cette fois les membres d’une famille permet de resserrer le drame et de ne pas perdre de temps à courir après les prochaines victimes potentielles, ce qui alourdissait souvent les films précédents.
Enfin, impossible de ne pas mentionner l’apparition de Tony Todd, le seul acteur régulier de la franchise, dans le rôle secondaire d’une sorte de prophète mystérieux que les protagonistes viennent consulter à chaque film pour comprendre la situation et essayer de déjouer le destin. Décédé à l’automne dernier, Todd s’avère des plus touchants dans cette ultime performance, notamment parce que nous le découvrons plus frêle que jamais, son long corps émacié par la maladie (il était atteint d’un cancer de l’estomac), une fragilité qui contraste avec la présence autrefois imposante de celui qui a été connu sous les traits de Candyman. N’empêche que même affaibli, Todd demeure magnétique et fascinant, avec sa voix grave, râpe et hypnotique, et les cinéastes lui réservent un moment pour nous dire au revoir, dans des répliques qu’il aurait improvisées : son personnage, se sachant mourant, quitte la scène en se tournant vers nous pour dire « Life is precious. Savour every second that you got », une leçon certes simple, mais qui résonne bien avec les thèmes de la franchise, et qui paraît, dans les circonstances, empreinte d’une sagesse mélancolique.
Il y a donc beaucoup de choses à apprécier dans ce dernier Final Destination, mais c’est d’abord la simplicité et la sincérité de la proposition qui séduisent, cette façon d’embrasser le genre en restant au plus près du plaisir immédiat qu’il procure. Et peut-être, surtout, cette manière de rester fidèle à la nature d’une formule sérielle, c’est-à-dire à son aspect prévisible, immuable, réglé d’avance, que l’on réussit à répéter en restant pourtant surprenant.
7 |
![]() |
envoyer par courriel | ![]() | imprimer | Tweet |