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Mank (2020)
David Fincher

Mentir en beauté

Par Mathieu Li-Goyette

À titre d’hommage critique au Citizen Kane (1941) d’Orson Welles, film qu’on ne peut plus présenter et dont personne, ni le temps ni les modes, ne sont venus à bout, Mank tient sa réussite dans ce qu’il invoque de similaire en matière de mystères et d’engueulades historiques ; cette part à la fois la plus fascinante et la plus inaccessible de l’histoire du cinéma hollywoodien, ces coulisses d’atelier : contraintes, tromperies, ego, une fascination qu’Hollywood a intégrée à son propre patrimoine comme revers à sa liquidation éventuelle. Sunset Boulevard (1950), The Bad and the Beautiful (1952), Singin’ in the Rain (1952), A Star is Born (1954), exemples parmi d’autres réalisés dans les années 1950, ils témoignent bien de cette propension à vendre les meubles pour mieux les sauver. Quand les stars, les scénarios et les mises en scène ne convainquent plus, il ne reste souvent qu’à raconter leur propre chute, pour l’embellir, mieux diviser l’héritage et modeler, sur un mode rétrospectif, les étapes et les coups durs qui auront mené vers l’inéluctable. Un curieux mystère, donc, ce Mank, pour David Fincher qui le réalise à partir du scénario de son feu père Jack, mais aussi pour Netflix qui le finance, tout comme pour le cinéma contemporain qui n’a pas grand-chose à faire des enjeux que propose ce film de scénario au scénario d’un autre temps portant sur un temps plus ancien encore. Or malgré ses imperfections assez évidentes, ce « grand film malade », pour reprendre l’expression de Truffaut, tient sa plus grisante victoire face à la plus difficile des épreuves wellesiennes : celle de mentir en beauté.

L’énigme de Mank repose dans la superposition des couches qui rendent son existence improbable, les cloaques référentiel, industriel, technique et historique qui l’entourent important pratiquement plus que le film en lui-même, plus que ses très bonnes performances (Gary Oldman en Herman Mankiewicz cynique et malade, Amanda Seyfried en Marion Davies généreuse et discrète, Charles Dance en William Randolph Hearst à l’étiquette glacée…), que ses très bonnes scènes (les scènes de tournage en plein air, le discours de Louis B. Mayer, le sidérant souper final chez Hearst…), ou que ses moments les moins convaincants (tout ce qui entoure Orson Welles…). Car l’histoire de la scénarisation de Citizen Kane par Herman Mankiewicz, scénariste majeur des débuts du parlant, est une histoire des plus classiques : un bon travailleur, script doctor par excellence de la Paramount, ensuite de la MGM et de la RKO, cumule depuis des années des demi-succès malgré sa célèbre intelligence que personne ne remet en cause. Un jour, Welles, 24 ans, enfant prodigue arrivé de New York, se fait offrir les clés du royaume avec le contrat le plus célèbre de l’histoire d’Hollywood : il aura droit à la pleine indépendance créative, le mythique final cut, et ce du scénario jusqu’à la première projection publique. L’écriteau d’introduction expédie ce contexte, vérité bien connue qu’est la genèse de Kane.

Arrivent ensuite les mensonges dès le générique d’ouverture. De belles menteries qui suffisent au film comme les joutes verbales suffisaient à Mankiewicz et aux disciples qu’il a recrutés [1]. À la manière de leurs tirades interminables et joyeuses de la comédie screwball, il m’apparaît maintenant moins intéressant de nous pencher sur l’intrigue, son contenu, ce qu’elle a de vrai ou de faux, qu’au contexte et aux rythmes individuels qui le font vivre. Moins captivant de redire que ce film est bien plus que l’adaptation de l’article le plus célèbrement raté de Pauline Kael [2], tellement que j’aimerais m’en tenir à cet écriteau d’ouverture et au générique d’apparence banale qui le suit, tant tout ce qui nuit et constitue la beauté de Mank se tient dans sa prémisse.

 

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Les références du film de Fincher devraient intéresser tous les cinéphiles. Qu’on les reconnaisse d’emblée ou pas, les noms d’Irving Thalberg, de Louis B. Mayer, de Hearst, Davies, Hecht, Sternberg, sont balancés dans Mank comme ailleurs on balance des noms de superhéros ou de maîtres Jedi. La tactique de Fincher repose ici dans sa passivité, dans son rapport affectif au cinéma qui demeure un rapport clinique, en retrait, distancié, poli, professionnel. À raison, puisque ses films témoignent de l’efficacité de sa méthode, Fincher est un perfectionniste notoire, connu pour demander des dizaines, des quarantaines de prises afin d’ajuster le geste de ses comédiens à un rythme d’ensemble dont il détient la partition secrète. Or il n’est pas étonnant en retour que Fincher n’ait jamais très bien raconté l’amour (exception faite de Benjamin Button, dont la structure romantique se balisait toutefois autour d’un mécanisme temporel et narratif – il y a toujours une machine obsessive et compulsive, sept péchés capitaux, un jeu, un club, un gadget, une grande enquête sur homicide, un réseau social, une machine non humaine au sein du cinéma de Fincher, qui propulse et distribue les sentiments humains), qu’il ait toujours considéré l’amour comme un instrument, une relation de pouvoir dissimulée dans une familiarité de refuge. Mank n’est pas différent, ni dans la relation qu’il détaille entre Davies, Hearst et Mank, ni dans son amour cinéphile pour les figures légendaires qu’il montre sans se donner la peine de les présenter, au point que c’est à se demander si de nouveaux cinéphiles auront la curiosité de creuser la carrière de ces cinéastes et scénaristes cités à tour de bras. Si l’on saura se perdre dans ces personnages ou s’ils demeureront là, figés dans un carton-pâte à consoler les cinéphiles qui pensent encore que le meilleur cinéma ait été réalisé entre 1920 et 1940 (conception à laquelle il est parfois difficile de ne pas adhérer), ou si de nouveaux spectateurs, pétris de culture geek, iront fouiller la référence, armés d’IMDB et du Criterion Channel (qui regorge d’ailleurs de comédies screwball). Le fait est que Fincher aime de toute évidence ce monde qu’il nous montre, mais qu’il ne nous montre pas l’amour qu’il a pour lui, qu’il n’investit pas ses références, qu’elles demeurent dans l’ordre de l’apparat de son générique d’ouverture, des noms défilant, dont le génie créatif, la verve inimitable, sont absents de Mank. Sternberg apparaît bien pour livrer quelques lignes qui font plaisir, mais ces lignes sont bien peu comparées à son Underworld (1927, aussi scénarisé par Hecht), comme si Fincher, par cynisme ou tristesse, ne ressentait guère l’utilité, ni même l’urgence, de revaloriser ces figures du patrimoine cinématographique.

Face à ces références, le film privilégie donc une posture à mi-chemin entre l’érudition décomplexée et le bombardement cryptique, brodée en travers des autres mensonges qu’il nous présente, épaississant la brume de son mystère, l’amplifiant à travers l’anachronisme tonitruant de son ouverture. C’est là qu’on voit apparaître le titre « Netflix International Pictures presents », qui prend les allures du logo d’un studio qui n’existe plus depuis 1959 (la RKO), avant d’ouvrir sur un générique défilant dans un noir et blanc contrasté. Que Mank brandisse son époque de façon si ostentatoire en négligeant le développement des individus qui ont fait la richesse de ladite époque en dit beaucoup sur l’évolution de la mise en scène de Fincher depuis Button, à travers la crise numérique de Social Network, la faillite médiatique de Gone Girl, le soin du contexte (et son apport théorique et judiciaire) dans Mindhunter. Mank est lui aussi un film de contexte, où le contexte s’avère déterminant pour la tenue des personnages, les réduisant à des rôles narratifs avec une certaine violence psychologique qui fait l’efficacité habituelle de ce cinéma, mais qui se voit et se ressent bien différemment ici, lorsqu’il est question d’une querelle, certes créative, mais surtout humaine, entre un vieux routier et un jeune premier. On se demande alors qu’est-ce que Fincher peut bien puiser dans son vieux générique, si ce n’est qu’un peu de nostalgie instantanée, mais surtout, peut-être, une première promesse, de celles faites pour être brisées, à savoir que son film dansera entre une esthétique ancienne, analogique, de chiaroscuro, et l’esthétique contemporaine froide, précise, flat, qu’il a lui-même fortement popularisée dans les dix dernières années.

 

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Mais avant le choc esthétique à venir, c’est bien à une prise de conscience industrielle que nous convie ce générique d’ouverture surmonté de son « Netflix International Pictures presents ». Netflix, qui peut tout s’acheter, même la noblesse et la bonne conscience cinéphile, a dans les dernières années su nuancer son image de marque aux yeux des plus preux en finançant tour à tour des auteurs majeurs ainsi que le chef-d’œuvre inachevé d’Orson Welles, The Other Side of the Wind (et maintenant — coup de théâtre ! — le Napoléon d'Abel Gance [1927]). Le géant rouge s’est ainsi constitué un catalogue d’excellents films primés qui en font le major avec la plus belle feuille de route contemporaine. Aidée dans son ascension par le monopole gluant de Disney, la panique de Warner et l’étiolement triste de la MGM, de la Universal et même de Sony, l’aile cinématographique de Netflix cumule les grands noms, défiant les vieilles logiques du marché, proposant en somme un modèle où les « Safdie », « Cuarón », « DuVerney », « Scorsese », « Soderbergh », « Fincher » et oui, même « Welles », sont des marques intellectuelles ayant une valeur symbolique dépassant nettement la valeur comptable d’un quelconque box-office ou d’une éventuelle vente régionale ou télévisuelle (ce qui oblige d’ailleurs tout le monde — et par tout le monde j’entends les cinéastes jusqu’au public en passant par la critique — à envisager le cinéma contemporain en deux familles : Netflix et les autres).




 

Or comment Netflix a su séduire ces auteurs et autrices ? Avec la même promesse que la RKO avait faite à Welles en 1940, soit celle de la liberté créative. Pas comme Welles en a profité — comme nul autre —, ni comme elle devrait idéalement exister, mais comme une liberté aux frontières algorithmiques, où les créateurs.rices se retrouvent plus que jamais réduits au substrat de leur image de marque, ayant l’autorité de mener leur final cut, mais seulement parce qu’ils présentent à Netflix ce pour quoi et ce par quoi ils et elles sont justement devenu.e.s des auteurs.rices (on imagine mal Netflix approuver tous les dépassements budgétaires de The Irishman si Scorsese avait plutôt prévu une comédie de pêche en chaloupe avec De Niro et Pacino). C’est pourquoi à bien des égards Netflix marque le bout de la route pour la politique des auteurs, son parachèvement économique, l’ultime remise en question du politique de sa politique : son hitchcockisation mondialiste s’alignant sur le vecteur d’une liquidation patrimoniale où la singularité artistique peut se troquer contre une exclusivité commerciale ou, pour le dire carrément : le moment où l’auteurisme, où un nom comme Fincher, n’a jamais été aussi près d’être assimilé à Mickey Mouse ou à la marque du magasin (Mindhunter comme un True Detective version Choix du Président).

Ce que dit l’écriteau d’ouverture sur la liberté créatrice de Welles, puis ensuite le titre « Netflix International Pictures presents » et le générique qui le suit n’a pratiquement rien à voir avec la réalité netflixienne, mais participe plutôt à produire une image industrielle que Netflix laisse miroiter pour charmer les cinéastes méfiants et les non-abonnés récalcitrants. Le recours au vétuste générique d’ouverture est un leurre cognitif, une pirouette référentielle aux équivalences trompeuses, finalement moins intéressante dans son exécution que dans la trame industrielle qu’elle laisse deviner, car si Netflix se souciait réellement du monde invoqué par Fincher, on retrouverait sur leur plateforme quelques films scénarisés par Mankiewicz ou réalisés par son frère Joseph, puis quelques-uns de Sternberg, d’autres avec Clara Bow, une production de David O. Selznick, une performance de John Gilbert, voire même ce satané Citizen Kane, des figures classiques, toutes citées ou montrées dans Mank, mais pourtant confinées à une diégèse de bibelots, sans agentivité avec les colonnades de la plateforme écarlate, et ce pas même au terme d’un vagabondage VPN [3]. Le mensonge industriel de Mank est un mensonge de diffuseur, un désaveu systémique prononcé sur une terre hostile à cette cinéphilie.

 

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En même temps, Mank n’aurait pu exister ailleurs que chez Netflix, qui semble se faire un malin plaisir à financer les projets de prestige que les autres majors au bord du gouffre refusent de financer (à une autre époque, on imagine que la Warner, qui détient les droits du film de Welles, aurait pu sauter sur l’occasion), d’autant que le scénario de Jack Fincher traînait dans les projets de son fils David depuis une vingtaine d’années sans qu’un autre studio ait daigné s’y intéresser. Financer ce que les autres ne financeraient pas, voilà le genre d’argument qui n’a pas de prix lorsque Netflix jouit déjà d’une suprématie populaire qui n’a d’autre écueil que celui de la qualité de ses productions. Et comme Mank ne présente aucune difficulté à être une production de qualité, on comprend mieux pourquoi ce film moins bon qu’il n’aurait du l’être a tout de même atterri là, à la merci de tous.

Car Mank adhère en tous points à la qualité habituelle du cinéma de David Fincher, en particulier celle qui imbibe ses images depuis qu’il a commencé à travailler sur Mindhunter avec son nouveau directeur de la photographie, Erik Messerschmidt. Ce dernier, avec sa maîtrise des dégradés lumineux de l’image numérique, permet à Fincher d’imaginer une palette de noir et blanc agissant en contrepoint sur l’époque représentée. Le noir et blanc des années 1930 et 1940 était généralement beaucoup plus tranchant qu’ici, et ce pas seulement dans les films noirs. Le noir et blanc de la pellicule telle qu’on l’exposait et la développait à cette époque produisait des images contrastées, où les silhouettes se découpaient très facilement sur des arrière-plans souvent sous-éclairés, dans une logique lumineuse davantage dédiée à mettre en valeur les stars habitant ces images. Transvasée dans la haute définition dynamique des dernières années (piètrement compressée si vous ne l’expérimentez pas en 4K), cette logique imagière s’avère inversée : le tranchant du noir et blanc fait place à toutes ces nuances de gris qui fourmillent dans les images de Mank, provoquant une dilution des différents points de focalisation de l’image, permettant aussi de nuancer davantage les noirs (qui ne sont plus aussi obscurs) ainsi que les blancs (qui viennent chercher de nouveaux pics de saturation dans les brûlures surexposées qui imbibent certains visages au soleil, notamment celui de Seyfried en Davies). L’utilisation du numérique ne peut donc se réduire ici à ce qu’on dit habituellement des tournages de Fincher (à savoir qu’à tourner 70 prises pour un plan, il ne peut pas se permettre de tourner en pellicule) : le numérique lui sert aussi, surtout, à renverser les polarités du noir et blanc contrasté de la période classique, les recouvrant d’un nuancier inédit, permis par l’avancée technologique des dernières années.
 


 

Ainsi la mise en scène de Fincher, quoiqu’elle puisse calquer à certains moments jouissifs celle de Welles (les scènes au manoir de Hearst, la double focale sur les barbituriques échappés), en est plutôt le contrepoint, le retour tordu à un classicisme qu’il refuse d’invoquer intégralement parce qu’il s’agirait après tout d’un grossier mensonge. Le cinéma a changé. On ne peut plus tourner des films comme on les tournait en 1941 et Fincher, peut-être parce qu’il a lui-même ses propres caprices de metteur en scène, sait qu’il ne peut pas assumer ceux des autres, et surtout pas ceux de Welles, puisqu’après tout, qu’est-ce que Mank sinon la plus grande attaque jamais intentée contre le mythe wellesien ?

Alors il ne reste à Fincher qu’à trouver de plus beaux mensonges afin d’être à la hauteur de ceux de Welles — peut-être les plus beaux du cinéma —, de raconter la même histoire sans parler la même langue, et même si celle-ci énonce ses origines holistiques en défendant une intégrité sans fondement (puisqu’encore une fois, tout semble dire que Mankiewicz et Welles ont réellement collaboré). Autrement dit, il ne reste à Fincher qu’à échafauder un film-mensonge qui n’ait d’autre salut que d’affirmer dans sa réflexivité transhistorique son profond anachronisme, son improbabilité industrielle et esthétique érigée en monument tacite à Netflix. « Voyez comme je suis libre », semble dire Fincher, sans pourtant saisir que la liberté de Welles n’avait de sens qu’en vertu d’un système où elle n’existe pas et qu’aujourd’hui, toute liberté accordée par Netflix ne peut l’être qu’au nom d’un investissement symbolique dans un capital de sympathie qui a plus à voir avec la réputation consumériste qu’avec l’art de faire des bons films. Dans le même ordre d’idée, les mensonges numériques de Fincher font bien pâle figure lorsqu’on les compare aux mensonges d’illusionniste de Welles, qui écrivait ses mensonges, les travaillait, les mettait en scène, les construisait, alors qu’ici les mensonges de Fincher se contentent d’être des états de fait, des platitudes prononcées avec l’autorité de figures historiques désinvesties, cadrées dans une image dont le mensonge technocrate confond la précision pour de la beauté. 

 

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Un échec, donc, ce Mank ? Loin de là, pour peu qu’on puisse se satisfaire de ses prétentions sophistiquées, d’être en position d’apprécier ses références, ses clins d’œil, qu’on puisse comprendre les trahisons numériques de Fincher comme faisant partie d’un jeu de mensonges réflexifs et extériorisés qui ont fait la réputation de l’auteur de Fight Club et de Gone Girl. Il est vrai que ce n’est pas beaucoup à se mettre sous la dent, qu’une suffisance auteuriste parcourt de bord en bord le film et que la performance pleine d’ivresse de Gary Oldman semble participer à faire de Mankiewicz ce personnage complètement à l’opposé des héros calculateurs habituels du cinéaste et que, même sur papier, sachant que Mankiewicz était, à titre de script doctor infatigable, un brillant plombier mais un plombier tout de même, on peut se demander encore pourquoi avoir fait un film sur Mankiewicz si l’homme qu’il était trouve si peu d’agentivité dans cet univers autrement plus clinique et professionnel.

La vérité, si tant est qu’elle s’assume, repose en fin de compte dans l’insondable lien unissant Fincher à son père Jack, scénariste de cet unique scénario portant sur un des inventeurs de la forme scénaristique hollywoodienne. Sur ce lien émouvant, que le cinéaste assume plus que jamais à son générique de fin, on voit croître mieux qu’ailleurs les vertus d’un tel projet paradoxal, à la fois pétri de sincérité et façonné dans un labyrinthe absolument mensonger, à la manière d’une question de Sphinx que Fincher contemple, à se demander si les bribes de vérité qu’on retrouve au fond d’un mensonge valent leurs méandres et si le cinéma, comme John Ford l’a souvent montré, pouvait endurer certains mensonges au nom de vérités nécessaires, aussi fausses soient-elles. L’insolvabilité de la question et de ce Mank qui la brandit comme sa raison d’être persiste dans l’ouverture qu’elle permet, sur cette période chérie du cinéma, sur ce père avec qui Fincher a fini par travailler mais trop tard, comme une façon de forcer la béance plutôt que la proximité entre le mensonge et la vérité, de préserver le cloaque, les intentions brouillées qui, à défaut d’être idéales, n’empêchent guère d’être ému.
 


 


[1] Comme Ben Hecht ou Edwin Justus Mayer, responsables d’avoir écrit respectivement les deux films les plus drôles jamais tournés : Twentieth Century (Howard Hawks, 1934) et To Be or Not to Be (Ernst Lubitsch, 1942).

[2] « Raising Kane », paru en deux parties dans deux numéros consécutifs du New Yorker en février 1971, au moment même où Welles cherchait à faire de The Other Side of the Wind son ultime retour étasunien. L’attaque de Kael fut vigoureusement déboulonnée par une réplique de Peter Bogdanovich, fidèle collaborateur de Welles, dans son article « The Kane Mutiny », paru dans le Esquire d’octobre 1972. Depuis, il a été largement démontré que Kael avait non seulement omis d’interviewer les collaborateurs de Welles en privilégiant des gens de l’entourage de Mankiewicz, elle avait aussi plagié l’essentiel de ses recherches à partir des travaux de l’universitaire Howard Suber (UCLA), à qui elle avait promis une coécriture avant de faire paraître à son insu l’article du New Yorker.

[3] L’usage des VPN (virtual private network) est illicite (mais sécuritaire à condition de payer). Si d’aventure vous vouliez les essayer, il faut savoir que les VPN permettent de naviguer virtuellement à partir du pays de votre choix (ouvrant donc l’accès alternativement aux catalogues américain, français, chinois, etc., tous foncièrement différents, de Netflix).

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Critique publiée le 31 décembre 2020.