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Truman Show, The (1998)
Peter Weir

Une banlieue sous verre

Par Claire-Amélie Martinant
Emblématique et édifiant, The Truman Show est le film annonciateur de ce qui deviendra l’ère du voyeurisme à travers la déferlante des « reality shows » pour une société occidentale en mal de vivre, qui a perdu sa singularité et recherche un espace de recueillement à la hauteur de sa culture de l’image ; bref, un miroir propre à rassurer son insécurité vis à vis de la perte de ses valeurs.  
 
Christof, le créateur et producteur de l’émission télévisée The Truman Show qui, sans aucun scrupules ni remords, épie continuellement la vie de Truman Burbank depuis sa naissance truquée (il a été choisi parmi six autres bébés issus de grossesses involontaires et deviendra le premier enfant légalement adopté par une compagnie) par le truchement de milliers de caméra cachées en diffusion continue 7 jours sur 7 et 24 h sur 24 h et sans interruptions publicitaires, énonce parfaitement ce mal-être profondément identitaire, et ce, dès les premiers instants du film par un discours révélateur: « We’ve become bored with watching actors which give us phony emotions. We are tired of pyrotechnics and special effects. While the world he inhabits is, in some respects, counterfeit, there is nothing fake about Truman himself. No scripts, no cue cards. It isn’t always Shakespeare, but it is genuine. It’s a life. »
 
Truman suit le chemin de vie qui lui a été minutieusement planifié, à Seahaven, ville côtière proche de Los Angeles, manipulé par sa famille et ses amis, qui ne sont que des « acteurs » et refréné dans ses moindres désirs d’évasion par la création de traumatismes tels que la mort de son père en mer alors qu’ils voguaient ensemble sur un optimist et furent pris dans une tempête houleuse.
 
Peter Weir porte l’auto-critique du rêve américain symbolisé par la clôture blanche qui métaphoriquement apporte sécurité, confort et promesse d’un avenir encore plus radieux pour sa descendance; il le fait jusqu’à son paroxysme en nous donnant à voir sa déchéance à travers les agissements de Truman qui, malgré une vie matérialiste et sociale plutôt réussie conformément aux critères de la classe moyenne, réfute l’hypocrisie et le moule préconçu qu’on lui a attribué sans discernement et rêve de se laisser guider par la spontanéité.
 
Truman, véritable héros aux yeux de la population américaine qui traque ses moindre faits et gestes et s'en distrait docilement, évoluera dans une banlieue typique, parfaitement rangée et crée de toutes pièces pour les besoins extravagants d’une mise en scène contrefaite. Belliqueux et impétueux, Christof s’est élevé au rang de Dieu en donnant naissance à un monde miniaturisé observable à la loupe en tout temps. La télévision sert de mère porteuse, conférant aux spectateurs le rôle de nourricier et aux acteurs de cette banlieue idyllique, celui de guide-usurpateur. Ainsi la télé-réalité qui, par le fait même provoque de nouveaux besoins extrêmement addictifs et glorifie la vie par procuration, renverse les lois de la gravité en entretenant une relation de cause à effet avec la banlieue qui n’est autre que la télé-réalité qui n’est autre que la banlieue.  
 
L’architecture de Seahaven obéit au langage géométrique, agencée de points alignés, demi-droites et segments formant perpendiculaires et parallèles, se croisant et se recoupant à l’intérieur d’un beau demi-cercle délimité par la mer d’un côté et la forêt de l’autre, lui-même enclavé sous une cloche de verre. Les habitations répondent au principe de la modélisation uniforme, gratifiées d’un blanc, plus blanc que neige évocateur de la pureté des moeurs et régies par le capitalisme obéissant à la règle économique d’un faible coût de revient pour l’utilisation de matériaux identiques. La magie des décors façonne une ligne d’horizon infinie comme le mirage d’un monde à portée de main mais qui reste l’otage de la bulle de verre dans laquelle il est enfermé.
 
Truman acquiert la science de la prédiction en surprenant les figurants à exécuter les mêmes actions, le tout dans un mouvement circulaire abrutissant rappelant celui du poisson dans son bocal. Les acteurs démarrent leur journée de travail avec un sens aigu de la répétition, au même endroit et à la même heure tous les jours, donnant toute son ampleur au fameux « arrêt sur image ». La circulation est orchestrée tel un ballet de danse aquatique synchronisée et le temps tout comme la lumière sont factices et s’actionnent à l’aide d’une interface logée au creux de la lune – la régie.
 
La diversité est reléguée aux oubliettes et Truman, lui-même pris au piège de cet éternel recommencement, répétera à ses voisins chaque matin: « Good morning, and in case I don’t see ya, good afternoon, good evening, and good night! »qui deviendra la phrase culte de l’émission. Sa femme, porte-parole pantin de la société de consommation, lui fera ingurgiter maints produits commerciaux qui seront par la suite adoptés par la population répondant fort bien au principe du mimétisme. Elle ira même jusqu’à faire la publicité d’un mélange de café et de chocolat, appelé Mococoa, afin de calmer les ardeurs de son mari, en réponse à une situation conflictuelle sans précédent et incapable de la gérer d’une façon raisonnée.
 
La classe moyenne américaine est ici mise à mal sous toutes ses dérives. L’aliénant est porté sur un piédestal et l’on se retrouve face à une nouvelle dictature, celle de la manipulation et de l'illusionnisme. Y sont prônés la désinformation et l’ignorance, offrant une longue vie à l’adage « moins on en sait, mieux on se porte ». La banlieue proprette et aseptisée se propose d’être le reflet d’une vie facile, sans encombre, où l’inquiétude est remplacée par la tranquillité d’esprit, livrée en kit et sans réel besoin de se déplacer car tout ce dont vous avez besoin est déjà sur place. Les questions dérangeantes sont censurées et ressasser le passé est prohibé.

Peter Weir fait état de l’hégémonie moraliste et contrôlante d’une banlieue qui s’ennuie terriblement et a perdu contact avec la réalité. Condamnée à sa propre asphyxie, elle se referme sur elle-même petit à petit, tel un insecte indésirable que l’on attrape avec un verre mais meurt rapidement privé d’oxygène. Truman, bravant ses peurs et les interdits, fait preuve d’un courage héroïque lui seyant à merveille, et libère cette banlieue aux prises des intérêts égocentriques et astringents de Christof en lui donnant un nouveau souffle, celui de la spontanéité et du libre arbitre, véritable richesse de la vie.
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Critique publiée le 11 mars 2016.
 
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Panorama-cinéma Volume 4. Numéro 1.


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