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Magic in the Moonlight (2014)
Woody Allen

Est-ce le scepticisme qui enchante le monde?

Par Alexandre Fontaine Rousseau
Au-delà des banalités d'usages, qui veulent que rien ne ressemble plus à un film de Woody Allen qu'un autre film de Woody Allen, on peine à imaginer un titre plus foncièrement allenien que Magic in the Moonlight. Ce titre qui pourrait convenir à une vieille chanson d'amour semble en effet convoquer simultanément tous les éléments de la mythologie de l'auteur : le romantisme suranné, la fascination pour la prestidigitation, la lueur bleutée d'un ciel étoilé, la mélancolie rythmée du jazz qui annonce l'atmosphère de l'ensemble dès ce générique dont la typographie même nous est si familière… Magic in the Moonlight est un titre irrémédiablement nostalgique, qui semble appartenir à une autre époque et n'avoir en commun avec la nôtre que ce qu'il y a de commun à toutes les époques. Il convient en ce sens parfaitement à ce film dont les préoccupations pourraient presque paraîtres anachroniques si elles n'étaient pas aussi intemporelles.

Comédie crépusculaire, dont la légèreté faussement naïve ne saurait masquer le ton subtilement élégiaque, Magic in the Moonlight s'amuse à jouer avec les attentes du spectateur, Allen structurant son exposé à la manière d'un tour de magie dont il nous dévoilerait progressivement le fonctionnement. Le cinéaste, prenant un plaisir manifeste à expliquer les rouages de son scénario, jette dès les premières scènes du film les bases de cette idée. Il filme, telle une manière de résumer par un présage la suite des choses, le spectacle de l'illusionniste Wei Ling Soo (Colin Firth). Par le biais d'un unique plan dont la frontalité suggère ingénieusement l'objectivité, Allen nous mystifie; son magicien nous a bernés avec brio, laissant planer un doute dans notre esprit. Mais il y a toujours un truc, rappelle le prestidigitateur dont le véritable nom est Stanley, promettant à son ami Howard (Simon McBurney) de lui expliquer un jour celui-ci.

À l'ère du numérique, alors que tout est désormais possible à l'écran, Allen cultive une matérialité résolument classique qui permet l'émergence de la magie véritable : celle qui triomphe sur les limites de la raison, dans un monde où de telles limites existent toujours. Le cinéma, comme le réel, est un système où les apparences peuvent être trompeuses. Encore faut-il que les règles du jeu soient clairement établies. C'est en ce sens, aussi, que Magic in the Moonlight est un film profondément nostalgique : il renvoie à une époque où l'on pouvait encore croire au cinéma, comme l'on croit en la magie. Car le cinéma est comme la magie. Il sert à « faire croire », à tromper les sens et la raison. Voilà d'ailleurs l'enjeu fondamental de Magic in the Moonlight : nous rappeler que le seul monde où la magie est véritablement possible est celui où elle relève de l'impossible. Le scepticisme, chez Allen, s'avère nécessaire pour enchanter le réel.

Faisant miroiter l'idée que l'auteur vieillissant aurait pu se laisser séduire par le discours rassurant de la religion, le film se laisse sciemment embobiner par les combines d'une jolie voyante (Emma Stone) qui prétend pouvoir lire dans les pensées et communiquer avec les morts. Cherchant à prouver que les tours de la belle relèvent de l'imposture, Stanley doit au bout d'un moment se rendre à l'évidence que la démonstration est dépourvue de failles et remettre en question ses propres croyances. Reprenant en sens inverse un schéma cher à Bergman, Magic in the Moonlight met en scène le récit d'une « crise de foi » frappant de plein fouet un athée qui commence à croire bien malgré lui en ce qu'il s'était jusqu'alors évertué à nier. Évidemment, le véritable secret c'est qu'une autre forme de magie est à l'oeuvre : l'amour, force surnaturelle car irrationnelle en laquelle il est pourtant possible de croire sans pour autant admettre l'existence d'un au-delà.

Alternant habilement entre enchantement, désenchantement et réenchantement, Magic in the Moonlight fait de la préfiguration de sa conclusion l'une des principales assises de son ingénieuse construction. La finale repose sur une série de rappels ingénieux aux événements clés du film, la révélation de la supercherie renvoyant par un amusant clin d'oeil au discours rationnel de l'introduction ainsi qu'à l'illusionnisme tandis que la conclusion romantique se place sous le signe de la foi et de l'envoûtement par le biais d'une référence aux séances de spiritisme la précédant. Par cette alternance entre le doute et l'adhésion, Allen articule un discours nuancé qui, s'il sert à réaffirmer des convictions qui sont au fond les mêmes depuis toujours, ne s'enlise jamais dans la certitude. Au contraire, c'est par le vacillement de la remise en question que Stanley découvrira le sens profond des positions qu'il a toujours défendu.

Il y a là quelque chose qui vient tromper la routine, déjouer les habitudes. Même si Magic in the Moonlight se plaît à revisiter de vieilles idées, même si rien n'y est à proprement parler neuf, cette crise de foi que met en scène l'auteur révèle une belle modestie – une incertitude touchante à laquelle renvoie adroitement une série de critiques qu'il formule à l'égard de son éternel alter ego. Petit film s'assumant comme tel, ce divertissement estival table sur le charme de la photographie sobrement éblouissante de Darius Khondji, sur l'élégance avec laquelle les répliques fusent, sur l'adresse d'une écriture qui brille sans grande ambition… Tout, ici, nous rappelle d'ailleurs que la légèreté sied bien à l'intelligence d'Allen. Mais, derrière ces apparences quelque peu frivoles, Magic in the Moonlight évoque les craintes d'un athée vieillissant qui voit venir le jour où il devra assumer totalement les conséquences de ses croyances – et qui cherche, encore et toujours, à leur trouver un sens.
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Critique publiée le 8 août 2014.