ÉDITORIAL : À l'ombre de La Métropolitaine
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Mimic (1997)
Guillermo Del Toro

L'évolution du parasite

Par Maxime Monast
Le voyage d'un réalisateur étranger vers Hollywood est une aventure en soi. « Dis oui et souris » était le conseil du maître chilien Alejandro Jodorowski au Danois Nicolas Winding Refn avant le tournage de Drive; un conseil à propos pour n'importe quel cinéaste qui s'apprête à faire son premier film en terre promise. En effet, ce credo incontournable suite à toutes ces histoires de charcutage, de producteurs difficiles, des changements au budget, de problèmes au tournage accompagne plus histoires d'horreur, ces périples de grands réalisateurs venus tourner en Amérique (de Jean Renoir à Gavin Hood). Le mode de production hollywoodien – qu’on peut facilement qualifier « d’excessif » – est une bête en soi. Plusieurs la redoutent, tandis qu’une grande majorité essaye en vain de la vaincre.

Le but ultime, pour n’importe quel réalisateur qui s’apprête à faire son premier film à l'intérieur de telles contraintes, serait de respecter sa vision personnelle avec le support et le déploiement qu’entraîne la participation des moyens américains. Bref, un état de contrôle total, tant monétaire qu’artistique, pour créer l’aboutissement d'un 7e art divertissant. Voilà, le rêve et le piège. Par contre, si on regarde l’envers de la médaille, on peut facilement voir pourquoi les financiers d'un film pourraient avoir peur lorsqu’un jeune réalisateur débarque avec ces grandes idées et une idéalisation du processus collaboratif qu’est faire un film. Et dans notre cas, même si Guillermo del Toro a été invité pour sa vision singulière, celle-ci ne primera aucunement sur les égos des frères Weinstein et le dollar américain.

Après le succès critique de son premier film Cronos, del Toro se trouve dans la position où ses voisins du Nord lui proposent de faire son premier film avec leur aide. Le réalisateur mexicain se fait donner un projet qui, en théorie, résonne énormément avec des sujets et des éléments qui le fascinent. Des insectes, des métamorphoses, le suspense ne sont que quelques éléments qui font de Mimic un projet si alléchant... 

Suite à une infestation de coquerelles qui portent en elles une maladie mortelle, l’entomologiste Susan Tyler (Mira Sorvino) développe une nouvelle espèce capable de détruire le fléau. Par contre, ce nouveau spécimen évolue en ce que Kafka rêvait pour son Gregor Samsa et s’attaque à la population new-yorkaise. Cette prémisse offre la possibilité à del Toro d’introduire des éléments d’horreur fantastique, mais aussi du slasher. Lorsqu'on l'envisage de manière purement esthétique, Mimic est un accomplissement remarquable. Ce mélange entre le genre et l’atmosphère se marie à merveille. Avec les ruelles sombres et les vieux égouts de New York, il prend un malin plaisir à créer des moments intenses et assez vivides. C’est peut-être pourquoi le film n’a aucune difficulté à garder ses spectateurs sur le qui-vive. Par contre, malgré toutes les surprises visuelles, un film de genre, aussi beau soit-il, ne peut se sauver d'un mauvais scénario.

Plusieurs films ont su redéfinir l’importance de l’écriture au cinéma et ont utilisé des techniques formelles ou visuelles pour créer une histoire unique et intéressante. Par contre, dans notre cas, les prouesses visuelles de Del Toro, impressionnantes comme elles le sont, représentent peut-être son seul mérite ici. Mimic s'avère en fait être un film extrêmement technique, fait par un technicien. C’est dans des cas comme celui-ci qu’on sent encore plus le manque de scénario. En effet, le problème le plus flagrant se trouve à être les personnages qui ne parviennent à être que des esquisses qui ne créent aucun lien palpable avec ses spectateurs. Que ça soit la mauvaise dynamique entre les deux docteurs, Susan et Peter (Jeremy Northam) ou bien un Giancarlo Giannini idéalisé mais mal utilisé, on n’arrive jamais à rendre tangible la tension qui les habite. Ces protagonistes existent, mais sont décoratifs et tout bonnement instrumentalisés par le scénario. À l'inverse, lorsqu’on approche des moments de terreur pure – la finale dans les anciens systèmes de tramways par exemple – del Toro nous montre ce qui l’intéresse véritablement : ce penchant pour la suspense qu'il instaure par le biais d'une immersion dans un environnement fantastique et spectaculaire.

En prenant du recul, il est logique que del Toro soit retourné en terre natale pour son troisième film, le très sous-estimé El espinazo del diable alors que son retour vers Hollywood ne sera que pour la deuxième entrée superflue de la trilogie Blade. Le schéma tendra à se répéter durant les années à suivre : entre Hollywood et chez lui, on comprend très vite que del Toro s’attache à des projets qui l’intéressent, malgré peut-être les embûches qui viennent avec les Américains, malgré peut-être la surenchère technique qui, à un moment ou à un autre, finit par gruger le coeur et l'âme de ses films. Avec Mimic, del Toro n’a pas encore tous ses outils (notamment, son directeur photo, l’excellent Guillermo Navarro) pour rendre à terme sa vision ultime, un monde unique dont il livrerait une histoire mémorable, qui ancrerait ses personnages dans un monde fantastique et servirait à fuir le réel (il faudra attendre 2006 avec El laberinto del fauno, son chef-d’œuvre, pour que le réalisateur nous démontre enfin son plein potentiel).

Somme toute, le cas de del Toro et de Mimic en particulier est intéressant puisqu’il trace les contours et l’espace que le réalisateur occupera dans le monde du cinéma tout en confirmant les hantises du cinéaste. On reconnaît vite les traits à devenir d’un réalisateur hors pair qui construira son univers à partir d’acrobaties visuelles. De plus, Del Toro ira a même complètement retouché le ton et le rythme de son film il y a quelques années avec une version du réalisateur. Le produit final est une version beaucoup plus cohérente qui touche aux sensibilités profondes du film et rend hommage aux films série B. Malgré ses quelques retouches, le tout reste un tableau incomplet, la trace d'un réalisateur gobé par le système. Hélas.
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Critique publiée le 10 juillet 2013.