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Green Zone (2010)
Paul Greengrass

La mémoire dans...

Par Jean-François Vandeuren

Suite à l’immense succès critique et commercial des deux derniers épisodes des aventures de Jason Bourne, il était à prévoir que la Universal chercherait à remplir ses coffres en réunissant de nouveau le cinéaste Paul Greengrass et l’acteur Matt Damon. Il faut dire qu’au-delà d’un Bourne Identity tout de même fort convaincant, c’est sous la tutelle du réalisateur britannique que Damon aura réellement prouvé sa crédibilité en tant qu’héros de films d’action. La formule défendue par Green Zone demeure d’ailleurs essentiellement la même que celle avancée par les deux précédentes collaborations du duo, et ce, autant sur le plan de l’écriture que du style. L’univers du présent exercice se révèle toutefois beaucoup plus concret, nous ramenant au front de l’un des plus grands mensonges politiques de mémoire récente. Nous nous retrouvons ainsi à Bagdad en mars 2003 alors que les États-Unis viennent tout juste de déclarer la guerre à l’Irak. Nous y suivrons le parcours du chef d’unité Roy Miller (Damon) et de son escadron affecté à la recherche d’armes de destruction massive. Un doute quant à la véracité des informations fournies aux militaires sur le terrain s’installera peu à peu dans l’esprit de Miller alors qu’aucun des sites investigués ne présentera la moindre trace de l’arsenal tant recherché. Après avoir communiqué ses inquiétudes à ses supérieurs, le soldat fera la rencontre d’un spécialiste de la question arabe (Brendan Gleeson) partageant les mêmes soupçons. Bien décidé à faire la lumière sur cette histoire, et surtout à donner un sens à sa présence en sol irakien, Miller s’esquivera progressivement de la tâche qui lui a été confiée pour mener sa propre petite enquête. Un haut dignitaire du gouvernement américain (Greg Kinnear) s’assurera cependant que ce dernier ne puisse pas naviguer à son aise afin que certains renseignements - qui plongeraient tout un pays dans l’embarras - ne soient jamais révélés au grand jour.

Tout comme dans les deux précédents efforts de Greengrass, Green Zone s’attarde essentiellement à illustrer les nombreuses divergences d’opinion existant au sein d’un même gouvernement en ce qui a trait aux moyens devant être pris dans les coulisses du pouvoir pour assurer la domination de celui-ci sur la scène internationale. Une opposition particulièrement vive qui se traduira une fois de plus par une diabolisation systématique de l’un des deux partis face à un second beaucoup plus tempéré et humain, voire moins rapide sur la gâchette et plus ouvert au dialogue. Et tandis que ces deux écoles de pensée s’affrontent en haut lieu afin de décider comment sera gérée la situation de crise en question, notre héros sur le terrain, lui, vivra directement les conséquences de ces choix. Le contexte général du présent exercice se révèle évidemment beaucoup plus significatif que le combat purement fictif qu’aura livré une machine à tuer amnésique face à ses anciens dirigeants pendant près d’une décennie. Greengrass et le scénariste Brian Helgeland concentrent d’ailleurs passablement d’énergie sur la transmission de l’état d’impuissance, voire même d’errance, de leur bon soldat - que Damon personnifie pour sa part avec une précision extrême. Mais cette illustration des propos tenus par le journaliste Rajiv Chandrasekaran dans son bouquin intitulé Imperial Life in the Emerald City n’échappe toutefois pas à certaines fautes souvent commises par ce genre de cinéma. Green Zone souffre ainsi à quelques reprises du ton insistant de ses instigateurs alors que le parcours dramatique de celui-ci finit de son côté par devenir un peu la victime de la réalité à laquelle il tente de se soumettre. Bien que le tout soit amplement justifié vues les circonstances, le film de Paul Greengrass semble néanmoins vouloir un peu trop imiter son protagoniste en faisant involontairement du surplace, et même en étirant inutilement la sauce.

Il faut dire que même sur papier, Green Zone constituait un gage cinématographique somme toute assez précaire, lui qui souhaitait s’attaquer à des événements avec lesquels le monde entier était déjà amplement familier. La mission de Greengrass et Helgeland était donc simple, mais néanmoins exigeante : exprimer toute la densité d’une mise en situation au dénouement archiconnu tout en s’assurant de rendre celle-ci captivante à l’écran. Une tâche dont s’acquitte aisément le duo, mais non pas sans effectuer un certain nombre d’accrochages. Les deux artistes ont d’abord le mérite de visiter cette terre déjà abondamment défrichée en cherchant à imposer autant leurs méthodes que l’enjeu dont ils font état. C’est d’ailleurs sans grande surprise que nous verrons le Britannique reprendre plusieurs trucs appris sur le plateau de ses productions antérieures et conformer davantage son opus aux codes du drame d’espionnage qu’à ceux du film de guerre à proprement parler. Ce dernier démontre d’autant plus qu’il se trouve encore aux commandes d’une machine excessivement bien huilée, mais qu’il ne cherche cependant pas ici à pousser aux limites de ses capacités. Greengrass propose ainsi un dosage toujours aussi consistant entre ses séquences de développement et celles d’action pures et dures. Mais l’ensemble paraît pourtant plus brouillon que la dernière fois, le niveau de confusion que le réalisateur avait su si brillamment éviter par le passé donnant parfois lieu ici à un chaos visuel dans lequel il peut être assez difficile de se retrouver. Le grain pesant de la direction photo de Barry Ackroyd - également responsable de celle du fameux Hurt Locker de Kathryn Bigelow - n'est évidemment d’aucune aide durant les moments les plus mouvementés. Celle-ci constitue tout de même l’une des forces de ce mélange généralement apprêté d’une main de maître par Greengrass et ses acolytes, même si certains ingrédients auraient gagné à s’y trouver en quantité un peu plus limitée.

Au coeur d’une ère où l’Histoire n’aura jamais joui d’une couverture aussi variée et intensive de la part des médias de masse, il est facile - et même naturel - de remettre en question la réelle nécessité d’une oeuvre de dramatisation s’intéressant à un conflit qui, en soi, est toujours d’actualité. La situation présente est évidemment bien différente de celle du temps, par exemple, de la Seconde Guerre mondiale, sur laquelle le cinéma, la télévision et à présent les jeux vidéo, continuent de spéculer année après année. Ce n’est pas non plus la première fois que le réalisateur britannique réagit aussi promptement à l’information, lui qui avait livré le controversé United 93 à peine cinq ans après les tristes événements du 11 septembre 2001. Greengrass réussit néanmoins à traiter le tout avec suffisamment de tact et de bonnes intentions, même si certains points sont parfois grossièrement résumés - on pense au fameux « it is not to you to decide » que lancera le complice irakien de Miller après avoir posé un geste irréparable qui placera ce dernier dans l’impasse. Mais c’est peut-être bien là que l’exercice de mise en scène de Greengrass révèle toute son importance, lui qui finira par donner une tout autre signification au fameux « support our troops » que scande la population américaine depuis bientôt dix ans. Car au-delà de l’odieux mensonge que cherche à immortaliser le scénario de Brian Helgeland, celui-ci fait principalement écho à un gigantesque bourbier dont le pays de l’Oncle Sam n’est pas près de se sortir. Le dernier plan du film amènera, certes, une hypothèse bien connue - et partagée par plusieurs - quant aux réelles motivations de l’invasion irakienne. Mais en réalité, il faudra attendre encore un bon moment avant que la lumière ne soit réellement faite sur cet aberrant fiasco militaire et politique.

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Critique publiée le 7 avril 2010.