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Watch, The (2012)
Akiva Schaffer

La mauvaise cible

Par Jean-François Vandeuren
En jetant un simple coup d’oeil au générique de The Watch, nous pourrions croire que son visionnement nous conviera au festin comique de l’année de ce côté-ci de l’Atlantique. Le projet présente en effet une liste de collaborateurs pour le moins impressionnante, lesquels auront participé à la création de certains des délires les plus mémorables que nous ait offerts la comédie américaine au cours de la dernière décennie. L’infatigable duo formé de Seth Rogen et Evan Goldberg (Superbad, The Green Hornet), auquel se joint ici Jared Stern (Mr. Popper’s Penguins), est à l’origine de ce scénario porté à l’écran par Akiva Schaffer (un tiers de l’hilarant trio The Lonely Island). Le vénérable quatuor de comédiens formé de Ben Stiller, Vince Vaughn, Jonah Hill et Richard Ayoade avait quant à lui la tâche - en apparence toute simple - de défendre le projet devant les caméras. Bref, tous les éléments semblaient réunis pour que la réussite de la production coule de source, tout ce beau monde ayant déjà prouvé par le passé qu’ils étaient aptes à travailler les uns avec les autres et à imposer leur style bien à eux tout en servant de tremplin pour ceux de leurs covedettes. Le problème, c’est que ces derniers se sont visiblement dit la même chose alors que tout est mis en place dans The Watch pour que les forces de tous et chacun soient mises en valeur, mais au détriment d’un scénario qui, au final, ne s’avère ni fonctionnel ni très stimulant.

Au premier abord, The Watch semblera vouloir marcher dans les traces du Attack the Block du Britannique Joe Cornish, lequel aura laissé une excellente impression chez plusieurs amateurs de cinéma de genre en 2011. S’ils laisseront bien paraître eux aussi un désir de toucher à plusieurs thématiques sociales, mais d’une manière beaucoup moins incisive, et encore moins réfléchie, Schaffer et ses acolytes auront visiblement concocté leur spectacle en ayant la comédie juvénile en tête avant toute autre considération. Ces derniers chercheront du coup à utiliser leur quatuor de « valeureux citoyens » afin de se rapprocher de la dynamique de celui désormais célèbre que mettait en scène le Ghostbusters d’Ivan Reitman. L’immeuble à logements d’un quartier peu recommandable du sud de Londres du film de Cornish sera dès lors remplacé par une ville tout ce qu’il y a de plus paisible des États-Unis. Une banlieue à l’image de tant d’autres où il fait bon vivre et ne se passe généralement rien d’inhabituel. Mais lorsque le directeur d’un magasin de la chaîne Costco (Stiller) trouvera son gardien de nuit sauvagement assassiné, celui-ci fondera une patrouille de quartier afin d’empêcher qu’un incident aussi sordide ne se produise de nouveau dans la petite localité. Une poignée d’individus plus ou moins fiables se joindront alors à l’opération sans trop la prendre au sérieux. Ce sera du moins le cas jusqu’au jour où ils découvriront la présence d’une entité extraterrestre particulièrement hostile sur leur territoire, laquelle serait vraisemblablement responsable de la mort du nouveau citoyen américain.

La principale lacune de The Watch découle en soi du fait que Rogen et Goldberg refusent continuellement de s’investir dans leur prémisse, au point où celle-ci ne semblera jamais progresser dans une direction clairement définie, préférant laisser tout le soin à leurs comédiens de répéter leurs routines habituelles, que celles-ci conviennent au contexte ou non. L’initiative donnera, certes, au film certains de ses moments et de ses dialogues les plus savoureux, mais ceux-ci finiront malheureusement par paraître comme tel plus souvent qu’autrement : une simple enfilade de gags dans un scénario s’entêtant à ignorer ses pistes narratives les plus substantielles et n’atteignant par conséquent jamais son plein potentiel en tant que comédie fantaisiste. Le résultat paraît ainsi beaucoup trop éparpillé en plus de faire part d’une inconsistance particulièrement problématique au niveau de l’efficacité comique. Le tout tandis que le ton neutre et le rythme relâché définissant de plus en plus ce type d’humour reposant essentiellement sur la force de répliques vulgaires et absurdes ne se mélangent pas toujours adéquatement à une intrigue réclamant un montage beaucoup plus relevé, menant parfois à des séquences s’étirant en longueur jusqu’à perdre tout impact. Akiva Schaffer éprouve également beaucoup de difficulté à gérer son film sur le plan esthétique, y allant d’un travail anonyme parsemé d’effets de style isolés ne produisant que rarement les effets escomptés. Une mise en scène sans ambition ni panache qui, encore une fois, ne se contente trop souvent que de laisser les quatre principaux interprètes à eux-mêmes.

Au bout du compte, The Watch réussit bien à inspirer plusieurs rires francs chez son public, mais par l’entremise de séquences qui auraient pu facilement se retrouver au coeur d’une autre comédie américaine fondée sur un concept beaucoup plus terre-à-terre. Le film d’Akiva Schaffer s’avère ainsi une suite d’opportunités ratées, ses maîtres d’oeuvre prenant un temps fou à mettre en place les bases d’un récit pourtant tout ce qu’il y a de plus rudimentaire en ne parvenant pas toujours à capitaliser sur l’essentiel. Le présent exercice ne cherchera d’ailleurs jamais vraiment à installer une quelconque atmosphère de paranoïa à la manière d’un Invasion of the Body Snatchers, laquelle aurait pourtant pu s’avérer extrêmement payante, en plus d’effleurer à peine les questions de xénophobie (jouant notamment assez pauvrement sur la notion de « (il)legal alien »), de justice citoyenne, de surconsommation et des relations parent-enfant à l’ère des médias sociaux, que les trois scénaristes introduisent dans l’histoire par nécessité beaucoup plus que par conviction. The Watch demeure néanmoins une production étrange dans laquelle chacun de ses participants atteint bel et bien la cible à répétition et sans effort sur le plan comique. Ces derniers ont néanmoins tendance à accorder beaucoup trop d’importance à des éléments qui n’auraient jamais dû être autant placés à l’avant-scène dans un tel opus. Ainsi, si Schaffer et son équipe parviennent bien à ensevelir une bonne partie de la médiocrité de leur projet sous les rires des spectateurs en cours de route, celle-ci finit inévitablement par ressortir dans l’esprit de ces derniers, et ce, dès la tombée du générique de clôture.
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Critique publiée le 31 juillet 2012.